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Ménopausée, femme tu resteras

Par Hervé Vaudoit, le 19 octobre 2020

Journaliste

Photo Pexels / Pixabay

Au lendemain de la « Journée internationale de la ménopause », qui se tient tous les 18 octobre à l’initiative de l’International Menopause Society, l’occasion était trop belle d’évoquer le joli petit succès que se taille sur Instagram le compte @menopause.stories. Ouvert il y a moins d’un an par Sophie Kune, il combat sans violence le silence qui entoure ce moment incontournable de la vie des femmes. Et dont on parle trop souvent comme d’une maladie grave, potentiellement mortelle pour leur sexualité. Haro sur le tabou ! C’est du reste un homme qui signe l’article…

 

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Sophie Kune et ses podcasts Ménopause stories @studio Madam

Des tabous qui ont, de tout temps, empoisonné la sexualité des femmes, c’est sans doute le plus dur à cuire. Et celui que les femmes elles-mêmes n’aiment guère aborder avant d’en avoir l’âge : la ménopause. C’est d’ailleurs là tout le problème : avant d’être aux yeux des femmes la fin programmée de leur ère procréatrice, la ménopause est surtout vue comme la porte symbolique de l’entrée dans la vieillesse. L’instant où on perd brutalement tous les artifices de sa féminité triomphante. Beaucoup de femmes l’avouent : pour inéluctable qu’elle soit, cette étape physiologique majeure n’a jamais été un sujet de préoccupation… Jusqu’aux premiers signes indiquant que leur tour était venu.

Quelque chose d’abstrait

Sophie Kune fait partie de ces filles ménopausées qui ne réalisaient pas qu’elles le seraient un jour avant de l’être pour de bon. Sauf que pour elle, la rencontre s’est faite plus brutalement encore que d’habitude. À 47 ans, un problème de santé survient qui conduit ses médecins à la placer en « ménopause artificielle ». C’est-à-dire à provoquer la déconnexion de ses ovaires à coups de médicaments.

« Jusque-là, raconte la tout juste quinqua, la ménopause était quelque chose de totalement abstrait pour moi. Je ne savais rien dessus. Ni quels étaient les signes, ni les conséquences que cela pouvait entraîner. Je n’en avais jamais parlé dans le cadre familial ou amical. C’était un vrai tabou bien ancré, mais je n’en étais pas réellement consciente. Gros silence sur ce qui allait m’arriver. Sur ce qui allait nous arriver à toutes.» Les seules infos qui lui étaient alors remontées aux oreilles étaient purement médicales. Pas de quoi la préparer au séisme à venir.

 

 

Bouffées de chaleur et sueurs nocturnes
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@ PrincessH

Les premières manifestations typiques sont chez elle particulièrement violentes. Bouffées de chaleur suffocantes, sueurs nocturnes, nausées… « J’étais tellement mal qu’il a fallu interrompre le traitement », poursuit Sophie, qui se jette alors sur tout ce qui traite de ménopause comme une boulimique sur la porte de son frigo.

À l’époque, elle affiche déjà une bonne douzaine d’années d’expérience en tant que consultante pour les grandes marques de la beauté, de la santé et du lifestyle. Le cabinet-conseil qu’elle dirige s’adresse à des entreprises dont l’essentiel de la clientèle est féminine. « Mais les marques n’en parlaient pas », feint de s’étonner Sophie. Elle réalise à ce moment-là tout ce que la ménopause entraîne, en plus des symptômes désagréables liés à la décrue hormonale. « La première étape de la ménopause, elle se produit avant les bouffées de chaleur, souligne-t-elle. C’est ce que la sociologue Cécile Charlap appelle la ménopause sociale. À partir de 45/47 ans, on te fait bien sentir que la roue tourne et que la date de péremption approche pour la femme que tu es. »

La ménopause sociale

Mince ou grosse, belle ou laide, brune ou blonde, mère ou pas, rares sont celles qui assurent n’avoir jamais ressenti le vent de relégation à l’approche de la cinquantaine. « La société jeuniste ne tolère pas que les femmes prennent de l’âge », déplore Sophie Kune. Comme si leurs dernières règles emportaient dans leur flot, non seulement leur pouvoir de séduction, leur sexualité, mais aussi leur légitimité à exister socialement en tant que femmes. La seule perte inévitable liée à la ménopause reste pourtant leur capacité à enfanter. Tout le reste demeure, n’en déplaise à Yann Moix. Car une femme vieillit strictement au même rythme que les hommes, un an de plus tous les ans, quoi qu’il arrive.

Le compte Insta avant le livre

Au départ, c’est seulement pour comprendre ce qui lui arrivait qu’elle a tout avalé sur la ménopause. Puis, constatant qu’elle était loin d’être la seule ignorante parmi les femmes, elle conçoit un projet de livre pour aider ses semblables à aborder cette phase avec sérénité. Et sans tabou. Un projet aujourd’hui bien avancé, mais qui a engendré en phase de mûrissement un avatar numérique, Ménopause stories, ouvert sur Instagram le 29 janvier 2020. En 9 mois, le compte @menopausestories s’est taillé un joli petit succès auprès des femmes, et pas seulement les ménopausées, avec ses « conversations débridées pour ménopause décomplexée ».

Comme son nom l’indique, il héberge des histoires endocrines – mais pas que – de femmes qui ne trouvent rien de plus insupportable que le silence et la gêne qui entourent souvent cette phase de leur existence. Avec la volonté de crier haut et fort que la ménopause, ce n’est pas la fin de la vie. Ce n’est pas la fin du désir et du plaisir. Ce n’est pas forcément les seins qui tombent, les hanches qui s’élargissent et la séduction qui s’envole. C’est juste un moment de la vie des femmes que la parole partagée adoucit et dédramatise. Comme le disait Talleyrand, « ce qui va sans dire va mieux en se disant. » ♦

 

* L’AP-HM parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

 

  • Lecture – Dans « La fabrique de la ménopause » (20 euros, CNRS Éditions), Cécile Charlap, docteure en sociologie, porte un regard original sur ce passage, qui s’appuie davantage sur des considérations sociales que médicales. On y apprend par exemple que selon les sociétés, la cessation des menstruations peut être un accroissement des possibles et des pouvoirs, l’avènement d’une sexualité enfin libérée de la fertilité, ou même un non-événement, ne faisant pas l’objet d’une attention particulière, au point qu’il n’existe pas de mot pour le désigner. Ouf !

On peut aussi lire son interview parue l’an dernier dans 20 Minutes. Sur la question de la séduction : « La féminité, elle, est articulée autour des notions de jeunesse, de fécondité et de procréation. Ainsi, quand les femmes ne peuvent plus « performer » sur ce terrain, elles sont exclues du marché amoureux, ce qui n’est pas le cas pour les hommes : il y a un double standard au détriment des femmes ».

 

  • Le sondage MGEN/Fondation des femmes sur le tabou de la ménopause – Réalisée en 2020 par l’institut Kantar, cette enquête réalisée auprès d’un échantillon de 1 505 personnes (représentatif de l’ensemble de la population âgée de 18 ans et plus – dont un sur-échantillon de 500 femmes âgées de 45 à 60 ans – selon la Ménopausée, femme tu resteras 2méthode des quotas) révèle qu’une femme ménopausée sur deux a peur de vieillir. Mais la ménopause est aussi une libération : 59% des femmes ménopausées y voient autant d’avantages que d’inconvénients. Le premier avantage rapporté étant la fin des contraintes et des douleurs liées aux règles. Reste que parler de ménopause n’est pas si simple, ce qui est révélateur d’un tabou. De fait, seule une femme en couple sur 2 a parlé du sujet avec son ou sa conjoint(e). À lire aussi en version infographique, plus ludique.

 

  • Le documentaire Ménopausées – Certain.e.s ont peut-être eu la chance de le voir en septembre ! Les autres se contenteront de la bande-annonce.
    Elles s’appellent Stéphanie, Marie-Agnès, Fabienne, Gaëlle, Florentina, Catherine et Zahra, sept femmes entre 51 et 62 ans, d’origines et milieux sociaux divers. Pendant les 52 minutes de ce film écrit par la journaliste Blandine Grosjean et réalisé par Joëlle Oosterlinck, elles racontent la traversée de ce phénomène naturel, mais déstabilisant dans la vie d’une femme.