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Migrants : des associations et bénévoles ressources

Par Olivier Martocq, le 16 novembre 2022

Journaliste

Une nouvelle fois, le cas d’un bateau de sauvetage humanitaire interdit d’accoster dans les ports européens de Méditerranée fait l’objet d’un focus politico-médiatique. Accueillir les 234 migrants rescapés d’un naufrage ne représente pas une problématique insurmontable pour un pays comme la France, capable d’intégrer 100 000 Ukrainiens en six mois. Ce que cette affaire illustre, en revanche, c’est l’absence d’un cadre clair sur le sort des réfugiés et demandeurs d’asile. Qu’ils proviennent de zones de guerre, qu’ils migrent pour des raisons climatiques, politiques ou économiques. Face à ce vide idéologique, politique et administratif, les associations et les bénévoles se retrouvent seuls à gérer des situations humainement insupportables !

 

La prise en charge des rescapés de l’Ocean Vicking aura mobilisé plus de 600 personnes dans le Var. Un casse-tête logistique et un coût exorbitant pour l’État, qui auraient pu être évités si les procédures classiques de l’accueil des migrants avaient été appliquées. Le contexte diplomatique européen, et le psychodrame qui en a découlé, ont empêché une gestion sereine de ce dossier. Cette affaire aura, peut-être, au moins, le mérite de faire bouger les lignes. La Commission européenne a été saisie pour redéfinir les conditions d’accueil des réfugiés au sein de l’UE (lire bonus).

 

Les difficultés d’une prise en charge dans l’urgence 

Migrants : SOS Méditerranée reprend ses patrouilles 2En écoutant ou lisant les témoignages de bénévoles comme Richard Fradin de la Croix-Rouge, on est frappé par les besoins des migrants – en dehors de l’essentiel comme de la nourriture, des vêtements ou des soins. « Ils veulent pouvoir rassurer leurs familles. Il faut donc mettre à leur disposition des téléphones ou du wifi pour qu’ils puissent communiquer vers l’extérieur. Certains ont ainsi pu contacter des parents déjà en Europe ». Les cas de 44 mineurs isolés se sont inscrits dans un parcours parfaitement balisé : Érythréens, Égyptiens, Maliens ou encore Syriens, ils ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et envoyés provisoirement dans une structure d’accueil et de mise à l’abri (SAMA).

Après un examen de santé approfondi, un long parcours les attend. Avec une multitude de scénarios possibles. « Il y a la possibilité de rechercher si, en Europe, un membre de la famille est présent pour essayer de les rapprocher, explique Gérard Sadik, responsable asile à la Cimade. Sinon, la demande devra être enregistrée auprès de l’Ofpra. L’enfant sera assisté par une personne chargée de défendre ses intérêts le temps de la procédure ». Dans le cas où l’enfant n’est pas considéré comme mineur ou isolé lors de l’entretien, « la prise en charge s’arrête. Derrière, le jeune se retrouve littéralement sans aucune protection et à la rue parfois ».

 

♦ (re)lire : Pourquoi et comment SOS Méditerranée persévère

 

Des associations débordées 

Loin de cette actualité, à Marseille, plus de trente associations qui sont mobilisées au quotidien sur les problématiques des demandeurs d’asile et des réfugiés. Elles les aiguillent dans le méandre des démarches administratives. Pour scolariser les enfants, trouver un logement, de la nourriture et des vêtements. Parmi celles-ci, l’AUP (Association des usagers de la PADA), lancée en 2020, est une structure de premier accueil des demandeurs d’asile. Elle a une vue d’ensemble notamment parce qu’elle peut les domicilier.

Pour Pierre Albouy, qui s’y investit à titre bénévole, la situation n’est plus tenable : « Les Bouches-du-Rhône offrent 3 138 places en centre d’accueil (CADA) et dispositifs d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA). Or nous avons 5 800 demandeurs d’asile officiellement recensés par l’office français de l’immigration et de l’intégration (OFIL) en attente d’une décision qui peut prendre 4 ans (lire bonus). Toutes ces personnes, qui ne sont pas en situation illégale, n’ont pas trouvé de place dans ces structures. Soit ils arrivent à se regrouper et à trouver un logement ou un squat via des marchands de sommeil. Soit ils sont à la rue, avec tout ce que cela comporte de risques et de difficultés supplémentaires pour s’intégrer ».

 

Quand un squat est reconnu d’utilité publique 

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Jalo Allieu, réfugié, et Pierre Albouy de l’AUP ©DR

Dans ce contexte très tendu, une première en France est testée à Marseille. Un squat est devenu officiellement « résidence temporaire d’accueil » (lire bonus). Durant l’été 2021, le 25 rue Saint Bazile, dans le 1er arrondissement, avait été investi, via son premier étage dont les fenêtres n’étaient pas obturées par des parpaings. Les occupants illégaux de cet immeuble situé à proximité de la Canebière peuvent désormais y demeurer jusqu’à fin mars. Et ce, dans le cadre légal d’une convention d’occupation temporaire signée avec l’Établissement public foncier régional.

Comme nombre de voisins, Ange s’en félicite : « Longtemps je les ai vus grimper avec une corde pour pouvoir entrer et sortir. Maintenant au moins, ils passent par la porte. Il y a des femmes des enfants. Ils sont très respectueux et cela fait vivre le petit bar de la rue ».

 

Se prendre en main et s’intégrer

Porte-parole de cette petite communauté, Jalo Allieu a émigré de Sierra Leone, un pays anglophone d’Afrique de l’Ouest. L’odyssée de l’Ocean Vicking ne le laisse pas indifférent. Il a lui-même été sauvé de la noyade par un bateau d’une ONG en 2016, au large de l’Italie. Arrivé à Marseille un an plus tard, il s’est fait connaître de l’administration en engageant immédiatement les procédures pour obtenir le droit d’asile. Mais cela ne lui a apporté aucune aide par rapport à la clandestinité. « On dormait dans la rue ou dans des squats sans la moindre sécurité. Il y avait cet immeuble vide pour s’abriter. On s’est installé et on s’est organisé ».

Comme plusieurs de ses compatriotes installés dans l’immeuble, il a depuis obtenu le statut de réfugié. « Mais nous n’avons pas encore de solution de logement. Les six mois qu’on nous offre vont nous permettre, j’espère, d’en trouver ». À ses côtés, Mohamed évoque tout le travail accompli depuis son arrivée en France. « On veut prouver à notre terre d’accueil qu’on peut se prendre en main et s’intégrer. Ce lieu nous permet de suivre des cours de français ensemble dans la salle du rez-de-chaussée ».

 

♦ Lire aussi : Les Terrasses Solidaires ancrent l’hospitalité du Briançonnais

La doctrine de l’État : fermeté et accompagnement 

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Le squat de la rue Saint-Bazile à Marseille ©DR

En quelques mois, cet immeuble est passé du statut de squat à celui de « projet autogéré St Bazile ». Ce projet est porté par plusieurs associations. Elles voient ce lieu comme une alternative à la rue pour des demandeurs d’asile auxquels l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration n’a pas proposé d’hébergement durant l’étude de leur dossier. « Le squat, c’est l’ultra précarité », résume Jean-Régis Rooijackers coordinateur de l’association Justice and Union toward Social Transformation (JUST, lire bonus).

Le militant de cette plateforme de transformation sociale pointe que « dans cet immeuble vide de belle facture, les chambres et les salles de bains étaient en état. Mais pour obtenir une convention officielle d’occupation, il nous a fallu mettre le bâti en sécurité, notamment au niveau de l’électricité. Soit plusieurs milliers d’euros d’investissement pour quelques mois, regrette le bénévole. De l’argent utile jeté par la fenêtre pour des raisons purement administratives ».

Sophie Camard, la maire d’arrondissement, s’est félicitée de cette initiative. Tout en soulignant que dans le centre-ville, de nombreux immeubles en péril sont gérés par des marchands de sommeil. Ou transformés en squat. « Il y a toute une chaîne du logement social à reconstruire. Les Marseillais ont pris conscience de l’état de délabrement et d’insalubrité de l’habitat avec la rue d’Aubagne. On a recensé les immeubles dangereux à occuper. Il faut maintenant que l’on puisse lancer leur rénovation à grande échelle ».

Appliquer la loi en accompagnant l’humain

Cheville ouvrière de cette convention d’un nouveau type, le préfet délégué pour l’égalité des chances réaffirme le positionnement de l’État dans ce type de dossier. Pour Laurent Carrié, en matière d’expulsion, « il s’agit d’appliquer la loi de façon ferme tout en veillant à l’accompagnement humain et au suivi des personnes évacuées ». 

Les chiffres de la préfecture illustrent la problématique locale. « En 2022, le nombre de recours de la force publique est passé de 300 à 500 (+60%). Mais, surtout, le nombre de squats évacués a été multiplié par quatre. Il est passé de 39 en 2019 (année de référence avant Covid) à 167 en 2022. Chaque jour à Marseille, l’État propose 7 800 places d’asile et hébergement d’urgence (non réservées aux seuls migrants – Ndlr). Concrètement cette opération permet de mettre à l’abri une quarantaine de personnes qui ne se retrouvent pas à la rue, tout en respectant le droit de propriété ». ♦

 

Bonus
  • Migrants : des associations et bénévoles ressources
    Sous le pont voisin de la gare Saint-Charles, à Marseille ©OM

    Vers une redéfinition des conditions d’accueil de l’UE ? Quatre pays européens, l’Italie, la Grèce, Malte et Chypre ont rendu publique une déclaration conjointe dans laquelle ils appellent à une intervention de la Commission européenne pour redéfinir les conditions d’accueil des réfugiés au sein de l’UE.

Ces quatre pays méditerranéens font partie – avec l’Espagne qui n’a pas signé le texte – des pays dits de « première ligne ». Ceux par lesquels la majorité des migrants arrivent sur le sol de l’Union européenne. Ils réclament une relocalisation et une répartition automatique des réfugiés au sein des Vingt-Sept.

Malte, Chypre, l’Italie et la Grèce pointent d’ailleurs du doigt l’échec de l’accord trouvé au mois de juin dernier par lequel un mécanisme de solidarité prévoyait qu’une douzaine d’États membres, volontaires pour cela, accueillent 10 000 personnes arrivées dans les pays de première entrée. Mais « le mécanisme est lent », dénoncent les quatre capitales. Pour le moment, en effet, seuls 117 réfugiés ont ainsi été relocalisés. Les quatre signataires demandent également aux États qui accordent leur pavillon aux navires de secours des ONG de prendre les rescapés en charge. La Commission de son côté appelle à une réunion extraordinaire des ministres de l’Intérieur européen sur le sujet, selon le média en ligne Politico.

 

 

♦ (re)lire : Ramina, réseau citoyen pour épauler les migrants mineurs isolés

 

  • L’association des usagers de la PADA. L’AUP est une association qui regroupe plus de 500 adhérents de 28 nationalités différentes, tous actuels ou anciens demandeurs d’asile à Marseille, qui ont décidé de s’entraider au quotidien et de défendre ensemble leurs droits.

« Nous permettons l’accès au droit avec à une permanence juridique hebdomadaire. Avec des permanences décentralisées dans des lieux d’hébergement et dans des squats et avec l’accompagnement au quotidien de nos membres dans leurs démarches administratives. Organisons des distributions alimentaires pour nos adhérents les plus précaires. Facilitons, avec l’aide d’associations amies, l’accès à un hébergement plus digne en soutenant les demandeurs d’asile obligés de vivre en squat. De même, nous construisons et portons des plaidoyers auprès des élus, des pouvoirs publics et des marseillais, en concertation avec les associations qui aident les migrants et en lien avec des universitaires. Nous sommes aussi en relation régulière avec la Direction Régionale de l’OFII, avec la Préfecture des Bouches du Rhône et avec la Mairie de Marseille. »

 

  • Justice et union pour la transformation sociale. JUST développe et promeut en France et à l’international des expérimentations et actions qui permettent une transformation sociale vers plus de justice sociale. L’association s’appuie sur la participation active des personnes concernées, en réunissant autant que faire se peut des compétences universitaires, médicales, sociales, d’expérience vécue.