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Monia Sbouaï en mode raisonnée

Par Nathania Cahen, le 7 janvier 2021

Journaliste

Photo Joao Bolan pour Argot Magazine

Contre la consommation débridée de vêtements, elle crée en 2016 sa ligne upcyclée : Super Marché. De petites collections fabriquées à partir de vêtements existants, chinés dans les vestiaires d’Emmaüs ou de la Croix-Rouge, dans les ressourceries et vide-greniers. En septembre dernier, Monia Sbouaï a pris un aller simple Paris-Marseille.

 

Du côté des Chartreux, un appartement lumineux avec tommettes, perché en haut d’une volée de quatre étages. C’est là que Monia Sbouaï a posé ses valises en septembre. Mobilier et vaisselle chinés en phase avec ses principes. Une pièce-atelier avec table de couture et portants – « c’est ici pour l’instant, après le déconfinement je verrai ». Pourquoi Marseille ? Parce qu’elle a grandi sous le soleil de Biot. Parce que marre de Paris, envie de changement.

Peu de stylistes (même si elle se définit plutôt comme designer) sont passés par la case éducateur spécialisé. Monia Sbouaï si. Elle hésite après le bac – « la mode me tentait aussi mais me semblait peu accessible ». Six mois après son diplôme, elle intègre finalement le London College of Fashion – « avant le Brexit c’était possible ! ». De retour en France, elle poursuivra avec un CAP couture « car sans être experte, je voulais me familiariser avec toutes les étapes de la création d’un vêtement ». Elle travaille chez Kenzo, puis chez Maison Kitsuné. « De belles entreprises haut de gamme, avec une certaine éthique. Mais je m’interrogeais beaucoup, devenais de plus en plus sceptique sur la course à la consommation, les efforts déployés pour susciter l’achat. Même moi, adepte des vêtements d’occasion, il m’arrivait de consommer aussi fast fashion », commente la jeune femme.

[(re)lire aussi notre article sur le mouvement Anti_Fashion

 

Super Marché, contrepied des supermarchés

Monia Sbouaï en mode raisonnée 1En 2016, elle a donc créé sa marque de vêtements upcyclés, Super Marché. Forte d’un double constat : « beaucoup de vêtements existent déjà. Et beaucoup de personnes savent coudre mais sont éloignées de l’emploi. Pourquoi ne pas moderniser les premiers en recourant aux seconds ? » Ses créations seront donc fabriquées à partir de vêtements existants, chinés dans les vestiaires d’Emmaüs, la Croix-Rouge, Leboncoin, dans les ressourceries et les vide-greniers. Ou taillées dans des surplus de rouleaux de tissus, récupérés notamment chez Agnès B.

Super Marché ? « Je ne voulais pas une marque à mon nom, ni quelque chose vide de sens. Super Marché prend le contrepied des supermarchés, de leurs tentations et de la consommation de masse. Super est envisagé au sens de chouette ». Et elle renoue avec le travail social en confiant le montage de ses patrons à des personnes éloignées de l’emploi. « Mais compétentes en couture », précise Monia Sbouaï dans un sourire. Tant qu’elle est à Paris, installée aux Grand Voisins (bonus), elle travaille avec les ateliers de Mode Estime. À Marseille, elle va se rapprocher de l’atelier d’insertion 13Atipik et de L’épinglerie, atelier de confection classique mais qui affectionne « la mode collective, sociale et vertueuse ».

[(re)lire aussi notre article sur l’atelier d’insertion spécialisé couture 13Atipik]

 

Le look Super Marché

Monia Sbouaï en mode raisonnée 2Les pièces créées par Monia Sbouaï ne se comptent pas par milliers. Elles apparaissent au fil de l’eau, en accord avec les saisons, en petites quantités, au gré des trouvailles chinées par la créatrice. Les collections sont plutôt « organiques et androgynes, pratiques et originales ». Avec un éventail de prix des plus corrects, de 60 à 140 euros. Le vestiaire compte beaucoup de pièces uniques, essentiellement des chemises, tuniques, robes-chemises, vestes et doudounes.

Ainsi, d’anciennes chemises hommes en jean sont « féminisées même si le terme me déplaît », raccourcies, cintrées, froncées, parées d’une basque issue d’un autre vêtement. Des vestes en bleu de Chine revisitées. Un lot de couettes défectueuses a donné une série d’écharpes matelassées et de doudounes sans manches, certaines réalisées avec des foulards d’évasion (bonus). De l’achat des matières à la coupe, c’est Monia qui est aux manettes.

[(re)lire aussi notre article sur la réflexion écolo de Kaporal

 

Des collaborations avec Kaporal et Leboncoin

Lors d’une édition des Rencontres Anti_Fashion, elle rencontre la DG du groupe Kaporal, Laurence Paganini. L’entreprise marseillaise multiplie les incursions dans la mode durable et lui propose de signer une collection-capsule, qui n’est pas sortie en avril dernier en raison du Covid, mais à l’automne.

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Avec le site Leboncoin, des discussions autour d’une série de tutos sur l’upcycling ont débouché sur une série de pièces dédiées, récemment vendue sur le site. Une autre est prévue pour mars.

« Ce sont des projets où tout fait sens », résume celle qui entend « bien faire les choses, engager sa responsabilité morale, sociale, éthique ». Après un premier trimestre à Marseille, Monia Sbouaï justement aimerait mettre en place de nouvelles connections, en lien avec la problématique de l’emploi, des jeunes, pourquoi pas  des personnes en milieu carcéral, « tous ces publics à qui il manque le bon maillon pour raccrocher »… Et puis un lieu qui ne soit pas une boutique mais qui décline les usages : hybride, modulable, partagé, « où les gens auraient de vraies bonnes raisons de revenir ». ♦

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous a offert la lecture de cet article*

 

 

Bonus [pour les abonnés] Le foulard d’évasion – L’upcycling – Les Grands Voisins –

  • Le foulard d’évasion – Avant d’être un objet de collection, ce foulard en soie aux imprimés cartographiques était utilisé par les aviateurs alliés de la Deuxième Guerre mondiale qui le dissimulaient sous leur col afin de s’orienter en territoire occupé. En 1939, les services secrets britanniques créent une organisation secrète, le MI9, chargée de donner aux pilotes de la Royal Air Force opérant au-dessus de l’Allemagne et des territoires occupés les moyens de s’évader.
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La doudoune « carte d’évasion »

La panoplie comprend notamment un foulard dit « d’évasion », morceau de tissu représentant les cartes des théâtres d’opérations sur lesquels étaient envoyés les pilotes. Cette carte comprend les zones d’occupation et les zones libres avec le tracé des routes, des voies de chemin de fer, des points de passage et l’échelle de grandeur. Beaucoup représentent le territoire français, l’Allemagne et l’Italie. Imprimée d’abord sur de la soie, puis sur de la rayonne, la carte se dissimule facilement sous les vêtements ou se noue autour du cou. Contrairement aux cartes traditionnelles en papier, elle se déploie en silence, résiste à l’eau et à l’usure.

Après l’entrée en guerre des États-Unis, les officiers du renseignement américain créèrent à leur tour une unité de renseignement appelée MIS-X qui produisit des cartes en tissu pour les troupes aéroportées. Des foulards d’évasion furent ainsi distribués aux unités de parachutistes américains quelques jours avant le Débarquement en Normandie. Ils étaient généralement remis aux combattants avec une boussole de la taille d’une pièce d’un centime et une petite lime capable de scier des barreaux. Cet article du Temps s’est emparé du sujet.

 

  • L’upcycling – Ou, « en bon français », l’upcyclage ou recyclage, terme désignant l’action de récupérer des matériaux ou des produits dont on n’a plus l’usage afin de les revaloriser. On recycle donc « par le haut », en produisant des objets dont la qualité est supérieure au matériau d’origine. Le concept est apparu dans le milieu des années 1990 grâce à Reiner Pilz. Le terme a ensuite été repris par William McDonough et Michael Braungart dans leur ouvrage Cradle to Cradle : Remaking the way we make things, paru en 2002.

 

  • Les Grands Voisins – Pendant 5 ans, jusqu’en septembre 2020, à Paris, l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul (14e), voué à la destruction, a trouvé une nouvelle vie grâce à l’impulsion de trois associations : Aurore, Yes We Camp et Plateau Urbain qui luttent contre l’exclusion et pour la solidarité. Elles ont monté un projet d’occupation urbaine temporaire, les « Grands Voisins ». « Grands » pour les valeurs de partage et de solidarité et « Voisins » pour un lieu d’échange et de mixité. Un modèle d’économie solidaire et surtout de mixité qui s’est parfaitement intégré dans le paysage urbain. Si le sujet vous intéresse, voici le bilan tiré de cette expérience inédite.