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Des associations de quartiers dans les instances du Mucem

Par Olivier Martocq, le 21 avril 2023

Journaliste

©Cyril Delattre

L’expérience se déroule à Marseille. Ouvert en 2013 à l’occasion de Marseille Capitale européenne de la culture, le Mucem – musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée – veut aujourd’hui toucher de nouveaux publics. Cette orientation s’accompagne d’une décision majeure, puisqu’il devient le premier musée national doté d’un conseil d’orientation composé d’associations et centres sociaux de quartiers populaires de la ville.

 

C’est un musée national pas comme les autres : le Mucem abrite des objets du quotidien, utilisés par des générations de Français qui ne les considéraient pas, à l’époque de leur fabrication ou de leur utilisation, comme des œuvres d’art.

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Le Mucem, la passerelle et le fort Saint-Jean © Cyrille Weiner_Mucem

De surcroît, sa conception architecturale – signée Rudy Ricciotti – est unique. Miroir inversé du bâtiment qui abrite sur la même esplanade de l’entrée du vieux port la réplique de la Grotte Cosquer, le Mucem est depuis dix ans l’étendard culturel de Marseille. Avec le fort Saint-Jean qui lui est relié administrativement, cela donne 1,25 million de visiteurs, soit le lieu le plus visité par les touristes après Notre Dame de La Garde (1,8 million). Si le chiffre est flatteur il soulève néanmoins une interrogation, car deux tiers de ce public ne viennent pas pour les expositions ; ce qui est quand même la raison d’être d’un musée.

 

Un nombre d’œuvres considérable 

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Dans les réserves © Yves Inchierman

La superficie totale occupée par le Mucem en dehors de ses réserves situées dans le quartier de la Belle de Mai avoisine les 20 000 m2. Mais 14% seulement sont des espaces culturels, soit 3 000 m2 de salles d’exposition. C’est à la fois peu – le Louvre dispose de 60 000 m2 – et beaucoup pour un musée dont la vocation originelle est d’exposer des objets relevant des arts et traditions populaires. Ce qui pourtant n’a pas été sa priorité au cours de la décennie passée.

Près d’un million d’objets de toutes sortes composent des collections qui s’enrichissent en permanence, via une politique d’acquisition ouverte aux thématiques méditerranéennes, du Néolithique à l’art contemporain. L’inventaire et leur numérisation sont toujours en cours. Quand ils ne sont pas montrés aux visiteurs, ils sont entreposés au Centre de conservation et de ressources du Mucem (CCR) ; un bâtiment tout aussi emblématique signé Corinne Vezzoni. Les réserves : 250 000 objets, 350 000 photographies, 200 000 affiches, estampes et cartes postales et 150 000 ouvrages répartis dans quatre espaces dédiés ouverts au public.

 

Équation compliquée 

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Pierre-Olivier Costa, président du Mucem ©Agnes Mellon

Pierre-Olivier Costa qui a pris ses fonctions de président du Mucem cette année entend revenir à la raison d’être de ce musée dédié aux arts et traditions populaires, créé en 1937 à Paris. « L’idée, c’est d’intéresser un public populaire qui ne fréquente pas les musées. Et donc de remettre au cœur de nos expositions cette collection qui est un atout parce que c’est une collection qui raconte des choses de la vie. Ces objets ont vécu avec les hommes, dégagent de l’émotion, de l’affect et n’ont pas ce côté intimidant que peuvent avoir les œuvres exposées dans les musées des beaux-arts, confie-t-il. Et d’enchaîner : « Souvent, les gens se disent qu’il faut avoir des connaissances pour pouvoir appréhender et comprendre des tableaux, des sculptures ou des installations. À tous ceux-là qui ne poussent pas la porte des musées, on va dire : Bienvenue, vous êtes ici chez vous ! »

 

Une programmation accessible 

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© Cyril Delattre

Mettre en valeur un fonds aussi éclectique, qui va de la machine à café fabriquée dans les années 20 au skateboard, en passant par la charrette à bras, l’épingle à nourrice ou la houe est en soi une gageure. Ce travail de conception d’exposition relève de la direction artistique du Mucem, qui peut faire appel sur des experts et des spécialistes de tel ou tel sujet. Sans oublier des équipes internes qui connaissent bien ces questions pour avoir déjà valorisé des pièces de ce fonds par le passé.
Le vrai défi consiste en revanche à faire venir un nouveau public ciblé. Pour Françoise Pams, en charge de cette partie stratégique, la mise en place d’un conseil d’orientation composé de membres d’associations issues de quartiers difficiles s’impose (sa composition est en cours – Ndlr). La mise en place d’une telle structure, adossée au conseil d’administration classique, est une première en France pour un musée national. « Pour être sûrs que notre programme corresponde aux attentes de ces nouveaux visiteurs, nous allons voir avec eux nos outils de médiation, nos outils de communication afin que ceux-ci leur parlent. L’idée est de s’ouvrir et de s’adapter aux attentes d’une population qui n’est pas la cible prioritaire du monde de la culture ».

 

♦ Relire l’article : Le Mucem affrète un bus gratuit pour les cités

 

Des préconisations de bon sens 

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© Cyril Delattre

Sofia Taibi, la présidente de l’association Culture sans frontière Marseille (CSF13) a relevé le défi. Pour elle, la réussite de ce projet passe par des décisions très concrètes auxquelles les acteurs culturels classiques ne pensent pas. « Faire une exposition sans guide, pour nous ça n’est pas intéressant, car nous n’avons pas l’histoire, explique-t-elle. Dans les quartiers, la majorité des habitants n’a pas l’habitude de lire des revues spécialisées ou des critiques qui vont traiter des expositions. Ensuite, c’est le bouche-à-oreille, les réseaux sociaux simples, visuels, que l’on utilise tous les jours comme Tiktok ou Instagram qui vont faire que ça intéressera les gens ».

Autre idée avancée, lancer une application simple qui permette de fluidifier le parcours en évitant par exemple les files d’attente et donne des avantages à l’utilisateur.

Et puis il y a l’accès au Mucem. Les élèves du lycée Saint-Exupéry, situé dans le 15e arrondissement, s’estiment défavorisés pour les dessertes en transport en commun par rapport aux jeunes scolarisés à Thiers, Perrier ou Saint-Charles. « On ne va pas se mentir, dans les quartiers sud ils ont le métro, des bus, le tramway, des Vélib pour se déplacer sur des pistes cyclables. Nous, pour aller au Mucem, c’est compliqué ». Les rotations du bus gratuit « destination Mucem » qui dessert les quartiers nord une fois par mois seront donc renforcées. ♦

*La Criée, Théâtre national de Marseille, parraine la rubrique éducation et vous offre la lecture de cet article*

 

Bonus
  • En ce moment au Mucem. L’exposition « Alexandrie : futurs antérieurs » revisite l’histoire et le présent de la ville égyptienne, loin des mythes et des stéréotypes qui lui sont traditionnellement associés. Conjuguant deux approches – la recherche archéologique et l’art contemporain –, elle invite à considérer Alexandrie sous un angle inédit.
  • Des photos signées Cyril Delattre. Entrepreneur, photographe et marcheur, Cyril Delattre parcourt quotidiennement depuis plusieurs années les quais et les rues de Marseille, toujours muni de son iPhone qui a désormais remplacé pour lui les appareils plus lourds et moins spontanés qu’il utilisait depuis très longtemps. Parmi ses lieux marseillais inspirants, figure en tête de liste le Mucem qu’il a pu observer et photographier sous tous les temps, sous toutes les lumières et tous les angles. “C’est un espace singulier, magique, j’ai eu beau y passer des centaines de fois, j’ai l’impression de faire de nouvelles images à chaque fois !“.Au cours des derniers mois, Cyril a exposé à trois reprises, à La Cantine, chez Mama Spice et tout récemment à la Maison Montgrand. Vous pouvez voir ses photos sur son compte Instagram @cyrildelattre