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Rue d’Aubagne, et après ? (4)

 

Très sensible à tous les gestes de solidarité, lui-même engagé dans différentes actions*, Alain Barlatier a donné la parole aux Marseillais qui se mobilisent depuis la catastrophe. Des femmes et des hommes « qui viennent de tous horizons d’un point de vue social et culturel ». À l’image de celles et ceux croisés dans les rangs de la marche blanche du samedi 10 novembre.

 

Alain Barlatier : « Dans le petit local de l’AJC (Association Jeunesse et Culture), en plein quartier de Noailles, à quelques dizaines de mètres du vaste chantier de déblaiement, c’est l’effervescence. Depuis ce matin, des dizaines et des dizaines de personnes venant de tous les quartiers de Marseille, de l’Estaque à Mazargues et même des communes environnantes (Lambesc, Salon…) défilent et apportent leur contribution. Des vêtements chauds, du linge de maison, des draps, de la nourriture, des produits d’hygiène… L’immédiat nécessaire pour des centaines de personnes qui n’ont plus de toit, qui ont tout perdu, qui ne peuvent plus rentrer chez elles, quand elles ont encore un « chez elles », pour ces enfants qui n’ont plus rien à se mettre sur le dos.

Ces bénévoles pour qui c’est parfois la première expérience de la solidarité active viennent suppléer les services insuffisants de la Municipalité qui, après avoir laissé pourrir la situation pendant des années, est aujourd’hui débordée par les conséquences de la catastrophe. Et ce, malgré le dévouement plein et entier des personnels municipaux, des marins-pompiers, des services sociaux. Depuis la première heure, Hafida, Admarie, Magali, Zohra, Moindjié et bien d’autres se dépensent sans compter. Ils parlent de leur motivation, de leur trajectoire, de leurs espoirs. »

Noailles, la solidarité après la catastrophe. Portraits de mères courage 4
Les prénoms des huit victimes de l’effondrement.

 

Admarie

Noailles, la solidarité après la catastrophe. Portraits de mères courage 5« J’ai 37 ans, j’habite dans le 13e arrondissement et je suis arrivée à Marseille il y a 20 ans. C’est la première fois que je suis confrontée à une telle situation. Je n’étais jamais venue rue de l’Arc mais je fréquente régulièrement le quartier. Ma fille est inscrite à l’école musicale du Cours Julien, elle y apprend le solfège et  pratique la flûte traversière en lien avec le Conservatoire voisin. Je viens souvent en ville, je passe toujours par la rue d’Aubagne. C’est l’association « Destination familles » qui ne pouvait plus recevoir de colis qui m’a envoyée ici et je me suis dit « pourquoi pas moi, je peux aider moi aussi». Je suis devenue bénévole. Je reviendrai dans les jours prochains car il faut toujours aider.

Cette solidarité m’a beaucoup touchée, elle me paraît indispensable. Tout ce qui s’est passé m’a fait beaucoup de peine. Je suis au chômage, et donc disponible.

Je pense qu’il faut faire entendre notre voix, je ne sais pas si cela va apporter quelque chose mais ne rien dire, c’est l’échec assuré. »

 

Hafida

Noailles, la solidarité après la catastrophe. Portraits de mères courage 1« J’ai 50 ans, je suis née dans le Var et je vis à Marseille depuis l’âge de 20 ans. J’habite dans le troisième arrondissement. Depuis toute petite, j’ai toujours aidé tout le monde… y compris les familles en difficulté. En 2005, j’ai quitté mon travail pour m’occuper de ma famille et je me suis trouvée dans la galère. J’ai alors créé une section du Secours Populaire dans le quartier de la Porte d’Aix, et à ce moment là, j’ai compris que je n’étais pas la seule à être dans la misère. Au début, j’étais seule ; au bout de quelques jours, j’étais en lien avec une cinquantaine de familles qui vivaient la même situation. Progressivement tout le quartier a été au courant de mes activités solidaires.

Souvent les gens ont honte de venir demander de l’aide, ils ont essuyé tellement de refus qu’ils n’osent plus taper à aucune porte et se renferment chez eux, se replient dans leur univers.

Maintenant je fais partie d’une association (en fait c’est moi qui l’ai créée) qui s’appelle Destinée, elle est située au 10 rue Jean Roque. Suite à l’effondrement, nous avons été obligés de quitter nos locaux et l’AJC nous a hébergés pour pouvoir continuer notre action.

Par ailleurs, je suis une formation, prise en charge par Pôle Emploi à l’hôpital, et mes enfants eux ont du travail, Dieu merci.

Aider les gens aujourd’hui, cela me renvoie à ma situation de 2005, donner à manger à une personne qui a faim me fait plaisir. Aujourd’hui, j’ai accompagné Luc à la CAF, il ne pouvait pas se déplacer tout seul pour faire valoir ses droits. »

 

Magali 

Noailles, la solidarité après la catastrophe. Portraits de mères courage 2« J’habite le quartier Noailles depuis le mois d’août. Auparavant, j’avais un bel appartement aux Réformés, mais je suis venue vivre ici pour l’adresse, afin que mon fils puisse être scolarisé au lycée Thiers.

Je suis révoltée, Gaudin a eu le culot de parler de la Marche Blanche lors de sa conférence de presse, alors qu’il est responsable de la situation. Il s’approprie notre idée, elle a été formulée ici, dans ce local. C’est encore une fois du déni. Il a dit que ce qui c’était passé était pénible. Et bien moi, je pense que c’est lui qui est pénible. Il est temps pour lui de laisser la place. Il ne regrette rien, même pas les 56 millions pour la patinoire. Sa priorité c’est le tourisme, ce n’est pas les pauvres gens comme nous, qui payons des surloyers pour des taudis, des logements miteux.

Moi, je suis allée à la Mairie, j’ai pris en charge la petite Julie qui s’est retrouvée seule. J’ai aussi lancé un appel sur les réseaux sociaux pour dire que ces personnes avaient tout perdu.

Le 5 novembre, la Mairie de secteur refusait de recevoir les vêtements, maintenant elle les accepte, nous avons gagné ce combat.

Ce matin, il y avait 60 personnes de plus qui attendaient d’être prises en charge (NDLR : suite à l’extension du domaine d’évacuation NDLR).

On est devenus une vraie famille, les liens qui nous unissent sont plus forts que les liens du sang, nous sommes une famille de mal-logés, une famille de deuil, une famille de sinistrés ».

 

Moindjié

Noailles, la solidarité après la catastrophe. Portraits de mères courage 3« Je viens du 15e arrondissement près du Marché aux Puces. Là où j’habite, ce sont des vieilles maisons comme ici ; ce ne sont pas des HLM. Je connais ce lieu (la rue de l’Arc) grâce à l’école coranique que mes enfants fréquentent. Je connaissais bien une des personnes qui est morte, une femme extraordinaire, elle habitait au 65 rue d’Aubagne au premier étage (logement frappé de péril dans un premier temps puis autorisé à être occupé NDLR).

Depuis le 5 novembre, je viens tous les jours, j’aide pour les habits, je porte et range les cartons, j’ai demandé à ceux qui déposaient leurs dons de venir samedi à la manif. »

 

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Bonus

  •  Alain Barlatier a signé toutes les photos de l’article. Il est l’auteur du blog : « Conversations de mon quartier et d’ailleurs… » et réalise des documentaires sur des thématiques sociales et culturelles. Dernier en date, un court-métrage réalisé dans l’urgence ‘’Ce n’est pas la pluie… 2mn35 en hommage aux victimes de la catastrophe’’.

 

  •  Les besoins actuels pour les sinistrés de la rue d’Aubagne, à apporter à l’AJC – 11, rue de l’Arc dans le 1er, ouvert 7j/7 et toute la journée :

-Produits d’hygiène

-Sous-vêtements neufs femmes/hommes/enfants

-Jouets/peluches

– Quiches, taboulé, poulet rôti…  tout ce qui vient du cœur et de la maison pour organiser des buffets pour les sinistrés et les personnes du quartier dans la précarité