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De bonnes idées qui tournent court #4 : Oléo-Déclic

Par Agathe Perrier, le 25 janvier 2023

Journaliste

L'association marseillaise Oléo-Déclic avait élaboré un système de nettoyage des huiles de friture usagées pour les réemployer ensuite en combustible pour alimenter notamment des chaudières © DR

[série] Oléo-Déclic a fait des huiles de friture usagées des restaurants marseillais sa matière première. Un déchet nettoyé et valorisé en biocombustible pour alimenter des chaudières. Mais faute de gros clients et de réel appui politique, l’association a cessé son activité. Alain Vigier, son fondateur, revient sur cette aventure qui, bien que terminée, a permis de poser les bases d’une filière dont on entend beaucoup parler aujourd’hui.

 

Le recyclage des huiles usagées alimentaires (HUA) connaît un regain d’intérêt depuis que l’Assemblée nationale et le Sénat ont autorisé son usage comme carburant pour les véhicules à moteur thermique. Un réemploi pourtant prôné et expérimenté, depuis de nombreuses années déjà, par quelques précurseurs (bonus). Parmi eux, Oléo-Déclic s’était démarqué en l’exploitant pour approvisionner non pas des voitures, mais des chaudières. « Notre projet était de valoriser l’huile de friture en circuit court, via un procédé low-tech et pour un usage collectif plutôt qu’individuel », rembobine Alain Vigier, fondateur de cette association en 2010.

L’équipe de quatre salariés avait élaboré un système de nettoyage des huiles par filtration et décantation, avec l’aide d’ingénieurs. « On arrivait à obtenir de l’huile très propre via cette méthode sobre énergétiquement et simple techniquement parlant. De plus, elle n’était pas chère et facilement reproductible ». À son plus haut, l’association, installée dans le quartier de la Valbarelle (11e arr. de Marseille), a remis en circulation jusqu’à 70 000 litres d’huile propre en une année.

 

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Alain Vigier a accepté de faire le bilan de son aventure entrepreneuriale avec Oléo-Déclic © Agathe Perrier

200 restaurants jouent le jeu


Assez rapidement, Oléo-Déclic s’est créé un réseau de 200 fournisseurs d’huiles de friture dans toute la métropole Aix-Marseille. Majoritairement des restaurants indépendants mais aussi des établissements universitaires, hospitaliers, des maisons de retraite… Un développement facilité par la loi : depuis 2016, toute personne produisant plus de 60 litres d’huile par an a l’obligation de les recycler (bonus).

Sur le papier, la collecte était on ne peut plus simple. Une fois le partenariat avec un restaurant scellé, Oléo-Déclic y laissait des bidons vides destinés à recueillir au fur et à mesure les huiles usagées. L’association les récupérait régulièrement, tout en déposant de nouveaux fûts vides pour le prochain passage. Et ce gratuitement. « En pratique, c’était vraiment l’étape la plus lourde et chronophage. Ça prenait un temps fou ! Les restaurants étaient éparpillés et beaucoup se situaient dans le centre-ville, où il était compliqué de circuler. Et puis on se cassait littéralement le dos », se souvient Alain Vigier. Sans compter parfois sur les « petites surprises » avec des déchets autres que des HUA dans les bidons.

 

 

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L’équipe de quatre salariés avait élaboré un système de nettoyage des huiles par filtration et décantation avec l’aide d’ingénieurs © DR

De l’espoir…

Si l’association n’a pas eu de mal à identifier des fournisseurs, trouver des clients s’est avéré moins évident. Une brasserie et un producteur d’huiles essentielles se sont bien servis de ces huiles propres pour chauffer leurs équipements. Idem pour la ville de Six-Fours afin d’approvisionner les chaudières de deux écoles et un bâtiment communal. « Des petits usages, emblématiques certes, mais pas suffisants », regrette Alain Vigier.

Le virage tant attendu arrive en 2018, lorsqu’Oléo-Déclic signe un partenariat avec le centre de tri de La Poste de Pont-de-Vivaux (dans le 10e arrondissement). L’expérimentation est cette fois « XXL » : les chaudières de ce site de 1 600 m² ont besoin de 7 000 à 8 000 litres d’huile par an. « Il y avait aussi derrière l’espoir d’alimenter d’autres installations du groupe. Ce qui aurait en plus pesé favorablement dans la balance de nos demandes de subventions », précise l’ex-dirigeant.

 

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L’expérimentation avec un centre de tri de La Poste aurait permis à l’association de décoller © DR

… à la désillusion

Pour ce client, l’association n’est en charge que de la fourniture d’huile. C’est un cabinet d’ingénierie qui doit s’assurer que tout se déroule correctement, puisque le fonctionnement n’est pas celui d’une chaudière traditionnelle et nécessite quelques ajustements. « La machine doit être constamment maintenue à une certaine température, sinon l’huile caramélise et bouche l’installation. C’est un problème connu et qui se résout », souligne Alain Vigier. Malgré ce suivi, l’expérimentation tourne au vinaigre. Le centre de tri doit même se doter d’un groupe électrogène durant l’hiver en raison des pannes de ses chaudières. Le fondateur d’Oléo-Déclic en reste encore amer aujourd’hui : difficile pour lui de comprendre comment un expert n’a pas réussi à mener à bien ce test…

Cet échec douche en tout cas les perspectives d’avenir de l’association. Un autre gros projet tourne court. Et l’équipe est épuisée après quasiment une décennie à porter son combat à bout de bras. « On a été encouragés pendant toutes ces années et j’ai le sentiment qu’on a plu à beaucoup de monde. Malheureusement, c’était surtout de l’affichage, car on n’a pas eu de réel soutien politique. Aucune collectivité ne nous a mis de locaux à disposition, par exemple. Ce qui aurait pu nous aider », regrette l’entrepreneur.

 

  • Dans notre série « De bonnes idées qui tournent court » – Relire les articles consacrés à Totem Mobi (#1), des mini-voitures électriques louées à la minute, YoYo (#2), une plateforme de tri avec récompense à la clé et Maisons Bio (#3), les maisons qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment.

 

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C’est grâce au travail d’Oléo-Déclic que le ministère de l’Écologie a autorisé, en 2016, l’utilisation des HUA dans les installations de plus de 100 kW. Une trace que l’association a laissée derrière elle © Photo d’illustration, Pexels

Un travail qui a servi à réglementer la filière

L’association cesse son activité en 2019. Une dure période pour Alain Vigier. « Il a fallu licencier les salariés, vendre le maximum de matériel. Ça a été une année des plus désagréable car j’étais très fatigué. Déçu aussi, mais j’en garde un super souvenir. Je sais qu’on a fait quelque chose qui avait du sens », confie-t-il.

Oléo-Déclic laissera en tout cas sa trace dans la filière puisque c’est grâce à elle qu’il est possible d’exploiter les HUA dans les installations de plus de 100 kW. L’association a en effet déposé un dossier pour obtenir cette autorisation – une « demande de sortie du statut de déchet » plus précisément – octroyée en 2016 par le ministère de l’Écologie d’alors (actuellement ministère de la Transition écologique). Un lourd travail administratif qui lui a pris deux ans. « On l’a fait pour montrer notre bonne foi et prouver qu’utiliser les huiles de friture n’est pas dangereux », explique Alain Vigier. Sensibiliser et promouvoir ce type de réemploi a également été au cœur des actions de l’association.

Alain Vigier est encore régulièrement contacté aujourd’hui par des porteurs de projets valorisant ce déchet. Il les avertit systématiquement : « S’il n’y a pas un vrai débouché, ça ne peut pas marcher ». Jeune retraité, l’ancien entrepreneur croit néanmoins toujours au potentiel des huiles de friture. ♦

 

Bonus

  • L’huile de friture usagée désormais autorisée comme carburant – Mais son usage est toutefois très limité. En effet, après l’Assemblée nationale fin octobre 2022, le Sénat a acté un mois plus tard cette légalisation pour les véhicules à moteur thermique. En cantonnant par contre son utilisation uniquement aux « flottes captives ». À savoir les véhicules appartenant à une entreprise ou à une collectivité, s’approvisionnant en carburant à une même pompe dédiée. À noter par ailleurs que tous les moteurs ne peuvent rouler à l’huile de friture usagée.
  • Roule Ma Frite fonctionne à l’huile depuis 2005 – Et c’est à Marseille que cette association s’est créée. Elle récolte l’huile de friture des restaurants, la décante et la filtre avant de la vendre comme carburant. Si l’antenne marseillaise semble ne plus exister, l’association est toujours active dans quelques départements : en Charente-Maritime (Roule Ma Frite 17), en Haute-Garonne (Roule Ma Frite 31), dans les Pyrénées-Orientales (Roule Ma Frite 66)…