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Opération du sein sous hypnose : bien des atouts

Par Neijma Lechevallier, le 26 octobre 2022

Journaliste

L'intervention sous hypno-sédation permet une économie de 160 euros par acte chirurgical ©DR

Depuis 2019, la chirurgienne Véronique Vaini Cowen propose à ses patientes atteintes d’un cancer du sein d’être opérées sous hypnose. Sans anesthésie générale. La praticienne a mis en place cette approche avec l’Hôpital Privé de Provence (HPP) d’Aix-en-Provence. Une pratique bénéfique pour les patientes, mais aussi les équipes, et même la planète.

 

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Une alcôve est créée sous un champ stérile ©DR

« Vous êtes avec votre fils et votre petit-fils, c’est une belle journée du mois de juillet. Vous pouvez entendre le son de leurs voix, vous les voyez, ils marchent devant vous, le ciel est bleu, vous sentez un peu de vent sur votre visage, le reste du corps est confortable, vos jambes peuvent vous emmener sans effort au-delà des champs, vous faites une pause près de l’eau rafraichissante, rien ne peut vous atteindre », murmure le docteur Olivier Ruinet à l’oreille de sa patiente. Une alcôve en forme de cabane a été créée sous un champ stérile. C’est le camp de base depuis lequel il va cheminer avec Monique Malychkine, 65 ans, dans un souvenir agréable qu’elle a choisi avec lui avant le jour J.

De l’autre côté de la table d’opération, la chirurgienne, aidée des infirmières de bloc, incise les tissus, plonge son bistouri dans le sein de la patiente. Puis elle découpe la tumeur, qui sera extraite en douceur. Un panneau à l’entrée de la salle rappelle qu’une opération sous hypnose est en cours, invitant les confrères et les consœurs à la discrétion aux abords de la pièce. Silencieuse, dans ce bloc plongé dans un calme inhabituel, l’équipe est attentive aux moindres réactions de la patiente. Elle semble se crisper légèrement ? La chirurgienne suspend son geste. L’anesthésiste rappelle à la patiente que son fils et son petit-fils la regardent surmonter les obstacles sur son chemin de montagne et sont fiers d’elle. La respiration reprend son rythme calme, l’intervention se poursuit.

 

♦ Un chiffre : une heure d’anesthésie générale sous respirateur équivaut à un aller-retour Paris-Marseille en voiture en termes d’émission de gaz à effet de serre !

 

La détection précoce augmente les chances de guérison

Puis c’est le signal du réveil. L’anesthésiste la prévient que la promenade touche à sa fin, il la ramène tranquillement dans l’ici et maintenant du bloc. La chirurgienne félicite sa patiente. Un sourire éclatant sur le visage, Monique s’étonne de ne s’être pas rendu compte de ce qui se passait. Elle se relève, les brancardiers viennent la chercher en fauteuil. « Le docteur Vaini Cowen m’a proposé de m’opérer sous hypnose, j’ai accepté sans trop d’hésitations. J’avais vu des reportages, l’idée me plaisait bien, explique Monique Malychkine. Car j’avais subi une première opération du sein sous anesthésie générale en 2015, et je n’avais pas très bien supporté les suites. Je suis heureuse d’avoir pu bénéficier de cette technique, et je me sens très bien. »

Après une opération sous hypnose, les patients peuvent quitter l’établissement et même conduire une heure après la sortie du bloc. Sous anesthésie générale, ils passent plusieurs heures surveillés en salle de réveil et ne peuvent pas conduire avant une dizaine d’heures.

 

♦ Relire : Le rugby, un allié contre le cancer du sein

 

Des bénéfices pour les patients et les équipes médicales

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Les patients, qui reçoivent moins de produits, récupèrent plus rapidement ©Pixabay

« Le corps de la patiente sous hypnose est avec moi et son esprit ailleurs, loin du bloc, avec l’anesthésiste, explique la chirurgienne. Je sens mieux les réactions de ma patiente, les tissus ne se comportent pas de la même façon que sous anesthésie générale, et cela me guide. Nous ralentissons parfois pour lui laisser le temps de reprendre le contrôle, guidée par la voix de mon confrère. Celui-ci peut bien sûr augmenter légèrement la sédation si besoin. » Et si le patient échappe à l’hypnose ? C’est rarissime, mais lorsque cela se produit, la personne, qui se trouve sous transfusion, est alors basculée très rapidement sous anesthésie générale.

« L’écrivain Alexandre Dumas décrivait déjà une amputation sous hypnose, rappelle le docteur Vaini Cowen. J’ai contacté Curie, qui a été pionnier dans ce domaine. Puis j’ai lancé un appel aux équipes de l’HPP et découvert que trois anesthésistes-réanimateurs s’étaient formés à l’hypnose ! »

 

♦ Chaque jour en France, plus de 130 femmes apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer du sein. Une femme sur huit sera touchée dans sa vie. En 2021, 260 femmes atteintes d’un cancer du sein ont été opérées à l’HPP.

 

Les patients reçoivent moins de produits et récupèrent plus rapidement

« Les patients, qui reçoivent moins de produits, récupèrent plus rapidement, et sont également acteurs de leurs soins. Ce qui est généralement de bon augure pour la suite de leur parcours. En particulier pour les femmes atteintes d’un cancer du sein, explique Véronique Vaini Cowen. Cette approche diminue aussi le stress des équipes, qui apprécient la nouveauté dans les pratiques et le calme qui règne au bloc. » Sophie Laussel et Jean Lacoste, directrice et président-directeur-général de l’HPP, qui sont très favorables aux pratiques innovantes, ont immédiatement soutenu le médecin. « Après le temps de formation et de rodage, en quelques interventions, une équipe gagnera au final du temps par rapport à une opération classique avec passage en salle de réveil », souligne la chirurgienne.

Seules les opérations de chirurgie légère sont concernées, mais le champ des applications possibles est vaste. De nombreuses interventions, lombaires ou vasculaires par exemple, pourraient facilement être réalisées sous hypnose. Les praticiens qui ont sauté le pas plaident pour un élargissement de cette pratique. Celle-ci pourrait apparaître prochainement au programme des études de médecine. ♦

 

Bonus
  • Une nouvelle approche du soin pour les anesthésistes. « La première fois qu’on a entendu parler d’hypnose, on était intéressé, mais quand même méfiant. C’était un peu magique. On était curieux de découvrir ce qui se cachait derrière cette pratique, au plan médical et scientifique. On s’est renseigné, on a échangé avec des confrères d’autres établissements, et on s’est finalement formé pendant quatre semaines réparties sur une année.

Opération du sein sous hypnose 1Les résultats sont vraiment très surprenants ! C’est un changement de paradigme et une remise en question de nos pratiques. On passe en effet d’un monde de produits, avec un patient endormi, à un univers médical nouveau où le patient, guidé par notre voix, contrôle son esprit. C’est un défi, et une part nouvelle d’incertitude, mais bien contrôlée et encadrée. Sur plus de 500 opérations sous hypnose que nous avons pratiquées, moins de dix ont dû être converties en anesthésie générale en cours d’intervention. Cette approche offre un échange vraiment très riche avec le patient. »

Dr Olivier Ruinet, anesthésiste-réanimateur, Hôpital Privé de Provence (HPP).

 

♦ Relire l’article : L’atome provoque le cancer mais le guérit aussi

 

  • Quel coût pour une structure hospitalière ? Jérôme Schweitzer, médecin anesthésiste, et Corinne Fize, chirurgienne gynécologue se sont intéressés à l’aspect économique de l’hypnosédation pour l’HPP. « Dans une étude prospective, consécutive, observationnelle en soin courant, sur des conisations (ablation d’une partie du col de l’utérus). Nous avons comparé 73 patientes sous hypnose associée à une anesthésie locale, à 55 patientes bénéficiant de la même chirurgie sous anesthésie générale », expliquent-ils.

Les résultats sont probants. Avec un geste identique et un même taux de complications et de marges saines, l’intervention sous hypnosédation permet en effet une économie de 160 euros par acte chirurgical. Le temps d’occupation de salle d’opération est identique. En revanche, celui passé en salle de surveillance post-interventionnelle est nettement réduit. Le taux de réussite est de 95% (seulement 4 cas sur 73 de conversion en anesthésie générale). « Cette étude montre que l’hypnosédation répond aux exigences de maîtrise des coûts de santé et du développement de la chirurgie ambulatoire », soulignent les auteurs.