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L’hôpital aux petits soins pour la planète

Par Neijma Lechevallier, le 18 avril 2023

Journaliste

Les équipes soignantes mobilisées (ici à la Timone) pour améliorer le bilan carbone de l'AP-HM et réduire la production de pollution et de déchets hospitaliers pour un hôpital de demain plus vert © AP-HM - Christophe Asso

Le lien entre santé de la planète et santé de l’homme est aujourd’hui démontré : chaque année, 9 millions de décès sont liés à la pollution dans le monde. L’hôpital, gros pollueur, vit une véritable prise de conscience : quel serait le sens d’un soin qui agirait tout en dégradant l’environnement, voire en générant d’autres maladies ? Les équipes se mettent donc en ordre de bataille pour prendre aussi en compte le pouls de la Terre. À l’instar de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM), à la manœuvre pour verdir le soin et ses services.

 

« Nous sommes à un tournant important et avons des responsabilités en termes d’environnement, déclare François Crémieux, directeur de l’AP-HM. Nous étions en retard, nous avons mis en place des actions importantes. Notre projet Green soulève un vrai enthousiasme dans nos rangs, nous pouvons progresser, réduire à la fois nos budgets et notre empreinte environnementale. » Dans l’amphi de l’hôpital de La Timone à Marseille, de nouveau comble le 5 avril dernier, les participants viennent de tous les horizons. Au menu de cette deuxième soirée « Green » : la recherche.

 

47 millions de tonnes de CO2 par an en France pour le secteur de la santé

Planète : l’hôpital passe au vert
Les équipes du bloc de l’hôpital Nord sont à l’origine des premières initiatives mises en place pour réduire l’empreinte environnementale de l’AP-HM © AP-HM – Christophe Asso

Médecins et chercheurs de plusieurs disciplines sont réunis pour penser ensemble la recherche de demain. « Une recherche qui fasse sens sur le long terme et qui s’inscrive pour cela dans la préservation la planète », déclare Manuel Mercier, chercheur en neurosciences à l’Inserm (AMU, AP-HM). De nouvelles études mettent en lumière les liens étroits entre pollution et santé humaine. L’une des dernières en date, une méta-analyse parue dans le « BMJ » (British Medical Journal) met ainsi en évidence le lien entre l’exposition aux particules fines PM2,5 et un risque accru de démence. Une étude française menée à Lyon a montré, en octobre 2022, que l’exposition à l’un des 5 polluants présents dans l’air augmentait les risques de cancer du sein.

Chaque année, 9 millions de personnes décèdent de maladies liées à la pollution dans le monde. C’est plus que le tabagisme et les pandémies de sida, paludisme et tuberculose. Or, le secteur de la santé représente à lui seul 47 millions de tonnes de CO2 par an en France, soit près de 8% des émissions de l’industrie française. « On ne peut pas soigner les gens pour des cancers et des maladies cardio-respiratoires liés à la pollution et continuer à polluer l’air, les eaux et le sol », soutient le Pr Laurent Zieleskiewicz, chef de service adjoint du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Nord.

Supprimer la viande rouge à l’hôpital

Le Dr Guillaume Fond, psychiatre expert de la dépression résistante et de la nutrition (1), de l’hôpital Sainte-Marguerite, pose un quizz au public : qu’est-ce qui réduit le plus l’empreinte carbone, réduire sa consommation de viande rouge ou consommer des fruits et légumes de saisons en circuit court ? La majorité du public qui donne la bonne réponse a sans doute lu quelques jours plus tôt dans La Provence l’article expliquant que l’AP-HM va supprimer la viande rouge de ses plateaux-repas.

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Les hôpitaux veulent limiter la consommation de viande rouge et certains envisagent de passer à des plateaux 100 % végétariens pour au moins un repas sur deux © DR

« La viande rouge a le plus gros impact carbone de l’alimentation, souligne Guillaume Fond. Des tests réalisés au CHU de Brest ont montré qu’enlever 10 grammes de bœuf par plat permettait une réduction de 350 kg de CO2 pour 1000 repas. » L’AP-HM est suivie dans cette voie par la Fédération hospitalière de France (FHF) qui souhaite diffuser cette recommandation à tout son réseau. Et l’AP-HM veut aller encore plus loin, envisageant de passer à des dîners 100% végétariens, sans viande ni poisson.

Le constat est parti d’une analyse objective de la situation : entre les surcommandes et les patients qui ne touchent pas à leurs repas, 30% des plateaux sont jetés intacts. « On a des patients dénutris, qui ne mangent plus la cuisine de l’hôpital, on ne peut plus continuer ainsi », reconnaissait et s’alarmait François Crémieux, directeur de l’AP-HM, il y a quelques mois. Surtout que cette malbouffe hospitalière, qui n’est pas bonne pour la santé des patients, ne l’est pas davantage pour la planète.

 

Une révolution commencée au bloc 

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Les services et les hôpitaux les plus avancés en France ont d’ores et déjà supprimé tous les gaz halogénés et les ont remplacés par d’autres produits – aussi efficaces – pour l’anesthésie des patients adultes © Anna Shvets

Et la planète, l’AP-HM s’en préoccupe ! Cette dynamique est née en 2018 au sein du bloc de l’hôpital Nord. Les équipes se penchent alors sur le sujet et cherchent, à qualité de soins égale, de quelle manière limiter l’impact de leurs gestes sur la planète. La première réponse réside dans le tri : il est décidé de n’envoyer à l’incinérateur que ce qui doit vraiment y aller, à savoir les déchets non contaminés. Puis tous les gaz halogénés (produits anesthésiants) sont remplacés à l’hôpital Nord (chez l’adulte) par du Propofol®, ce dernier étant… 250 fois moins polluant en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

Ces premières actions pour verdir le soin et ce qui l’entoure portent leurs fruits : la suppression du seul desflurane, gaz halogéné le plus polluant, interdit de bloc en Écosse et qui le sera bientôt au Royaume-Uni, a permis à l’hôpital Nord de faire diminuer ses émissions de CO2 entre 2016 et 2021 de 600 à 25 tonnes par an, soit l’équivalent CO2 de 2 millions de kilomètres de voitures en moins, tout en réduisant les coûts par patient de près de 60 %. Car toutes ces actions de réduction de l’empreinte carbone sont le plus souvent génératrices à terme d’économies substantielles… Dans leur sillage, d’autres fleurissent.

« Les bronchodilatateurs sont un autre exemple parlant, même s’ils ne concernent pas uniquement l’hôpital, poursuit le Pr Zieleskiewicz. Les dispositifs d’inhalation à poudre sèche émettent 30 fois moins de CO2 que ceux avec aérosol doseur, pour une efficacité similaire, voire un peu supérieure. Le NHS (National Health Service) anglais a évalué que le remplacement des bronchodilatateurs les plus polluants par d’autres qui le sont moins permettrait de réduire les émissions de CO2 de 550 000 tonnes par an au niveau national, soit l’équivalent CO2 de plusieurs milliards de kilomètres en voiture. »

♦ Lire aussi : Les entreprises qui s’engagent, un levier de recrutement

 

Des actions simples, des acteurs mobilisés 

Cette révolution douce lancée à l’AP-HM a reçu un coup d’accélérateur en novembre dernier, avec l’organisation d’une première soirée Green. Objectif : mettre en valeur les porteurs de projet et les initiatives spontanées qui ont vu le jour au cours des cinq dernières années. Mais également mettre des pilotes dans l’avion et attirer l’attention de tous, en interne comme en externe. Depuis cette rencontre, une organisation dédiée a été mise en place, une feuille de route commune adoptée et depuis le 10 février, l’écoresponsabilité est inscrite au projet d’établissement à cinq ans de l’AP-HM.

Un comité central est piloté par Marie Deugnier, secrétaire générale de l’AP-HM, Caroline Bouchareu, directrice de la logistique et de la transition écologique de l’AP-HM et le Professeur Laurent Zieleskiewicz. Chaque établissement décline son comité green sur ce modèle. « Il est fondamental que les directions et les soignants travaillent main dans la main, souligne le Pr Zieleskiewicz. Cette dynamique transversale, qui réunit tous les métiers et tous les services, outre son urgence et sa nécessité en termes de climat, est fédératrice et créatrice de sens au sein de l’hôpital. » Et, à l’image de tous les réseaux hospitaliers mobilisés sur ce thème, l’AP-HM travaille avec des experts, comme The Shift Project, qui vient de publier la version 2023 de son rapport Décarboner la santé pour soigner durablement, et des sociétés savantes (lire bonus).

 

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Le Pr Laurent Zieleskiewicz, chef adjoint du service d’anesthésie de l’hôpital Nord, est le responsable médical du comité de pilotage Green de l’AP-HM créé fin 2022 © AP-HM – Christophe Asso

Des perspectives pour l’hôpital de demain

Les actions déjà menées ont certes des effets importants et rapides. Mais il faut aller beaucoup plus loin et pour cela changer à la fois de mode de réflexion et de paradigme. Car c’est bien là que réside l’enjeu pour l’avenir. « Avant, on menait des études pharmaco-économiques, déclare Laurent Zieleskiewicz. Désormais, il faut aussi mener – à qualité de soins égale -, des études pharmaco-écologiques. Entre deux techniques de soins équivalentes, nous ne devons plus seulement comparer les coûts, mais aussi et surtout les impacts environnementaux. D’autant plus quand, à qualité de soin égale, les prises en charge les moins polluantes permettent aussi de réduire les coûts ! »

C’est ici que le bât blesse. Pour mener ces analyses globales, il faudrait plus de transparence. Les médicaments en sont un bon exemple. On connaît les cycles de vie complets de certains gaz anesthésiants, ce qui permet des analyses complètes, de la production au recyclage ou au tri, mais il faudrait des données équivalentes pour les quelque 100 000 médicaments existants. Et sur ce terrain, les laboratoires pharmaceutiques ne jouent pas la carte de la transparence. Des médecins et des pharmaciens s’attellent à ce qui ressemble aux 12 travaux d’Hercule. Des bases « sauvages » sont créées et partagées, mais elles sont nécessairement parcellaires.

 

♦ Relire : Comment Pernod-Ricard se pose en entreprise responsable

 

Préserver les écosystèmes micro et macro

L'hôpital aux petits soins pour la planète
François Crémieux, directeur de l’AP-HM, soutient pleinement les équipes engagées dans ce plan pour un hôpital plus vert. En février 2023,  l’écoresponsabilité a été inscrite pour la première fois au plan de l’AP-HM à 5 ans © AP-HM – Christophe Asso

Les soignants se sentent majoritairement concernés, comme le montrent les résultats d’une étude menée au sein de l’AP-HM, présentés par Mathilde Lefèvre, de la direction de la santé lors de la soirée du 5 avril. 90% de répondants se disent « intéressés » par l’écologie du soin. « C’est essentiel pour notre survie », « c’est incompréhensible de ne pas agir au regard de notre mission de service public », « la crise climatique et l’extinction du monde vivant sont des sujets que je prends très au sérieux » ou encore « ne pas prendre en compte ces sujets relève de l’obscurantisme » disent les sondés.

La minorité de répondants (4%) qui dit ne pas être intéressée par ce thème estime qu’il faudrait commencer par répondre aux besoins primaires des patients. Beaucoup déplorent un manque de temps, d’argent et de formation pour passer à l’action, même quand ils se sentent concernés. « Si une lame de fond est à l’œuvre à l’hôpital et dans la société, nous devons accélérer, estime le Dr Fond. Cette obligation de moyens que nous avons dans le soin, nous l’avons aussi sur les ressources planétaires. Mais je ne l’ai pas tellement entendu lors de mes études. »

 

Un diplôme universitaire « développement durable en santé »

Face à cet immense défi, le secteur s’organise. Pour former les étudiants, en militant pour la mise en place d’un socle commun de formation à la transition écologique en faculté de médecine. Mais aussi pour former les médecins en exercice. Un diplôme universitaire (DU) « développement durable en santé » a notamment vu le jour à la Sorbonne (lire bonus). Des CHU sont en pointe sur le sujet, comme à Marseille, Strasbourg, Bordeaux, Lille ou encore Niort. Des recherches sont lancées, les équipes sensibilisées et formées, avec partage de bonnes pratiques.

Le chercheur Vincent Bessoneau (EHESP) invite les soignants à penser l’environnement et la planète comme un corps humain. Les microbiotes dont nous sommes en partie constitués (peau, estomac…) se prolongent d’une certaine manière à travers le concept d’exposome, qui couvre toutes les expositions auxquelles nous sommes confrontés (environnements interne et externe). Le chercheur invite à penser la vie comme un continuum ininterrompu entre échelles micro et macro. La conclusion s’impose d’elle-même : soigner la vie c’est aussi soigner la planète…

« Comment transposer le concept industriel d’analyse de cycle de vie complet à la conception complète d’un soin ? C’est la question à laquelle il nous faudra répondre, intervient le Pr Patrick Pessaux, chirurgien et l’un des fondateurs du CERES. Parmi les pistes que nous avons : rééquilibrer le préventif et le curatif en France, aller vers une écologie du soin pour mesurer la pertinence d’un soin au regard des besoins du patient, mais aussi de son efficience économique, sociale et environnementale. Nous avons des responsabilités auprès des générations futures, ne l’oublions pas ! » ♦

(1) Auteur du livre « Bien manger pour ne plus déprimer ». Éd. Odile Jacob (2022)
Nos soutiens 9 Tenergie parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *
Bonus

[pour les abonnés] Experts et sociétés savantes – Le DU développement durable en santé – Le salon SantExpo –

  • Des experts et des sociétés savantes. L’AP-HM, comme tous les réseaux hospitaliers mobilisés sur ce thème, travaille avec des experts (Primum non nocere, The Shift Project) et des sociétés savantes. Parmi elles, le green SFAR (comité de développement durable de la Société française d’anesthésie réanimation) créé en 2016. Le CERES (Collectif d’écoresponsabilité en santé) – lié à la FHF – qui rassemble plusieurs sociétés savantes, est aussi très actif. « Il faudrait que toutes les sociétés savantes intègrent le CERES et réfléchissent ensemble à des solutions pour des parcours de soins moins polluants », souligne le Pr Zieleskiewicz.

 

  • Le DU « développement durable en santé : du concept à la pratique des soins ». Une formation de 88 heures proposée par la Sorbonne. L’objectif est de former les professionnels de santé et administratifs aux bases théoriques de l’impact du changement climatique sur la santé des populations et sur les établissements de santé. L’enseignement porte sur le constat en faisant un état des lieux des problématiques auxquelles les soignants sont confrontés. Puis propose des solutions pratiques et des retours d’expériences d’établissements ayant déjà mis en place des projets de développement durable. L’aspect organisationnel d’une telle démarche est aussi abordée sur le plan réglementaire, mais aussi pratique. Toutes les infos sur le site Sorbonne Université.

De son côté, l’université de Montpellier propose un DU « Management du développement durable en santé » délivré par l’institut MOMA (Montpellier Management).

 

  • Santexpo. Les 23 et 25 mai, Porte de Versailles. C’est l’événement leader français de la Fédération hospitalière de France qui rassemble chaque année tous les décideurs et professionnels de santé impliqués dans le management, la gestion, le numérique, le parcours de soin, l’expérience patient, l’équipement, les matériels, la construction et la transformation des établissements de santé.

SantExpo réunit les salons historiques de la Fédération hospitalière de France HopitalExpo, GerontHandicapExpo qui ont été créés en 1987 et HIT (Health-IT Expo) depuis 2007. Cette manifestation existe depuis 1966.