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Plouc Pride, le livre qui réhabilite la France rurale

Par Nathania Cahen, le 17 novembre 2022

Journaliste

« Une nécessaire transition - écologique, énergétique mais aussi anthropologique » ©image Pixabay

Chercheuse, maître de conférence à l’Institut de géographie et d’aménagement de l’université de Nantes, Valérie Jousseaume signe l’essai Plouc Pride*. Sous-titré « Un nouveau récit pour les campagnes », ce travail universitaire très documenté dresse l’état des lieux de la ruralité, son potentiel et son avenir souhaitable. Elle-même pur produit de la campagne (nantaise), rappelle que la plupart d’entre nous avons eu des ancêtres paysans il y a moins de trois ou quatre générations.

 

Marcelle – Plouc et pride, c’est étonnant cette association de mots que tout oppose…
Plouc Pride 1
Valérie Jousseaume, chercheuse et maître de conférence ©DR

Valérie Jousseaume –  Ce procédé s’appelle une « resignification subversive », on se saisit de l’insulte et on la transforme en bravade : « plouc et fier de l’être ! ». Mon livre est une invitation faite à tous de se réapproprier notre passé et de participer à l’invention du monde de demain de façon ancrée.

Le mot plouc, vient de Paris, il désignait les migrants venus de Bretagne, où beaucoup de noms de villages commencent par « plou ». Les Parisiens ont fait de ces ruraux « montés à la capitale » des ploucs, des bledards.

Quant à « pride », le terme fait référence à toutes les marches des fiertés qui se tiennent dans le monde, à l’instigation des minorités.

 

Dans quel contexte l’écriture de cet ouvrage s’inscrit-elle ?

Je m’intéresse depuis 25 ans aux territoires ruraux et péri-urbains, surtout les bourgs et les petites villes – là où il y a un hypermarché, un hôpital local, un lycée d’enseignement général avec quelques formations BTS.

Mais le vrai point de départ de ma réflexion, c’est la théorie de l’effondrement (et non la crise Covid, puisque j’ai entamé ce travail avant), qui a succédé à la crise 2008-2011 et les révoltes qui ont fleuri dans son sillage comme Les Indignés, Occupy Wall Street, Nuits Debout, etc. Je me suis dit que la transition vers un autre modèle de société supposait une autre façon d’occuper le territoire. C’était ça mon interrogation : quel aménagement de l’espace demain ? Pour moi la transition n’est pas seulement écologique ou énergétique, elle est anthropologique, elle touche absolument tous les aspects de nos vies. Nous quittons l’ère de la modernité, notre culture. Nous allons vers le nouveau, l’inconnu. C’est ce récit là qu’il faut écrire. Et dans ce nuage de pensée collectif, les territoires ont un rôle à jouer.

 

D’où vient ce peu de considération pour la ruralité ?
Plouc Pride, le livre qui réhabilite la France rurale
« Des pleins de nature, d’espace, et de silence » © Pixabay

La culture « moderne » qui s’est déployée avec la révolution industrielle mais dont les racines sociologiques et philosophiques naissent à partir de la Renaissance, fait table rase du passé. Elle a caricaturé, ridiculisé les sociétés paysannes. Elle a réduit statistiquement les territoires ruraux à des catégories du sous-développement, définies seulement par ses manques d’habitants, d’équipements, d’argent, etc. Mais cela n’est qu’un regard. Je soutiens qu’on peut regarder les choses autrement, voir ses pleins de nature, d’espace, de silence, etc.

D’autant qu’aujourd’hui notre culture moderne traverse une grave crise. Et cette ère de la modernité a besoin de réponses inédites, qui sortent de ses limites habituelles. On ne peut pas résoudre les problèmes avec les idées, les regards, les méthodes qui les ont créés.

 

 

Ce livre est un regard nouveau sur la campagne et ses possibles ?
Plouc Pride, le livre qui réhabilite la France rurale 1
Repenser l’agriculture pour produire notre alimentation, protéger la santé des consommateurs comme des agriculteurs… © Pixabay

Oui. Mais, surtout, il s’attache à dire aux espaces ruraux, « vous avez un rôle à jouer en tant que territoire, en tant que lieu de mémoire de l’héritage paysan ». Car le problème du monde rural est qu’il a encore honte de passer pour un plouc ! Qu’il est encore prisonnier des préceptes de la modernité qui l’ont acculturé. Il a honte de son héritage paysan. Pour répondre aux injonctions de la modernité, il a donné dans le chimique, dans l’industriel, dans la mobilité des intrants et des productions. Il y a des côtés tout à fait formidables de la modernité, qui sont à défendre : confort matériel, sécurité collective, éducation, mobilité pour tous, moindre pénibilité de la vie et du travail, etc.

Mais aujourd’hui ce modèle est exsangue sur bien des plans (écologique, social, éthique, démocratique…). Il faut prendre le temps de tout repenser. Repenser l’agriculture pour produire notre alimentation, en préservant les sols, les eaux et le vivant, en protégeant la santé des consommateurs comme des agriculteurs. Repenser une économie de l’usage et du partage. Construire une économie circulaire sans déchets. Pour cela, il faut s’inspirer de tous les savoirs de l’humanité. Il faut revaloriser de façon contemporaine des pratiques appartenant à d’autres cultures, même disparues comme les cultures paysannes ou les pratiques du monde ouvrier passé.

Cela ne signifie pas rejouer le passé, mais s’appuyer sur nos acquis connus pour avancer vers l’inconnu avec sécurité.

 

Plouc Pride se voudrait-il polémique ?

Plouc Pride 2Pas du tout, c’est plutôt un livre de la réconciliation entre nous « modernes » et nos ancêtres paysans. Mon travail a été bien accueilli et a peut-être fait bouger les lignes, notamment dans les instances administratives et politiques. Ils ont été amenés à poser un regard différent sur le monde rural, à revoir leur posture. Parfois le terme plouc est encore considéré comme une insulte et a fait grincer des dents. L’ère de la modernité a été tellement cruelle avec les paysans…

Mon ouvrage souhaite montrer qu’on avance mieux dans la vie quand on est en paix avec son passé, lorsqu’on s’appuie sur ses acquis pour avancer. C’est vrai pour les personnes comme pour la société.

 

Qu’en est-il de ceux que l’on appelle les néo-ruraux ?

Longtemps ils se sont cantonnés à la périurbanisation : les lotissements peu éloignés des centres urbains. Mais, depuis les années 1990, on assiste aussi à une résistance à la modernité : des gens investissent les campagnes restées dans leur « jus » paysan (les campagnes « paumées », les « trous perdus » pour les modernes). Cela a commencé par les Anglais, puis les Néerlandais, puis de jeunes retraités en quête d’une sorte de maison de famille. Le covid a rendu très visible ce mouvement.

On assiste à un renversement des imaginaires : hier on rêvait d’une vie plus trépidante, plus matérialiste, plus anonyme en ville. Aujourd’hui on rêve d’une vie plus naturelle, plus calme, avec plus de sens personnel, quitte à gagner moins d’argent, dans les paradis verts que sont redevenues les campagnes « paysannes ». C’est un rêve, un peu bohème et inédit. Une nouvelle révolution est en train de traverser les espaces ruraux.

Un nouveau récit s’écrit. Certes, il y a encore beaucoup à inventer, à structurer, à écrire. Les blocages, législatifs et politiques, sont prévisibles. Mais en son temps, la révolution industrielle s’est bien accompagnée de la Révolution française… ! ♦

*Plouc Pride, de Valérie Jousseaume. Éd de l’Aube, février 2021 – 24 euros
Bonus
  • Le recensement agricole de 2020. Entre 2010 et 2020, le nombre d’exploitations agricoles est passé de 490 000 à 390 000, pour une surface agricole qui reste stable et représente environ la moitié du territoire métropolitain, indiquent les premiers résultats du recensement agricole. Une diminution qui s’explique principalement par la pyramide des âges et un nombre de départs à la retraite plus important que le nombre d’installations. D’autres données dans l’enquête menée par le ministère de l’Agriculture.