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Derrière l’étiquette « enfants de taulards », des victimes collatérales

Par Agathe Perrier, le 4 novembre 2022

Journaliste

Dans le podcast « Enfants de taulards », des enfants d'hier et d'aujourd'hui racontent comment on grandit avec un parent en prison © Photo d'illustration, Pixabay

La prison brise la vie des détenus, mais aussi celle de leurs proches, notamment les enfants. À la tristesse de la situation, et souvent l’incompréhension, s’ajoute le jugement des autres. Audrey Savournin, journaliste, donne la parole à ces « enfants de taulards » : son podcast en six épisodes raconte leur quotidien bousculé par l’irruption de la prison dans leur existence. Un statut qu’ils n’ont pas choisi et ne méritent pas.

 

Ils s’appellent Mila, Adel, Imane, Rania, Géraldine et Maxyme. Les trois premiers sont encore enfants quand les autres sont aujourd’hui adultes. Leur point commun ? L’un de leurs parents est ou a été incarcéré. Tous ont accepté de livrer leur vécu au micro d’Audrey Savournin, journaliste au quotidien La Provence. « En écoutant un documentaire sur le système carcéral, je me suis demandé comment les enfants vivaient cette situation. En me renseignant, j’ai découvert qu’il n’y a quasiment rien sur ce sujet : pas de statistiques, pas d’étude sociologique, pas de reportages ». Un vide désormais comblé par son podcast « Enfants de taulards ». Un véritable électrochoc, qui révèle à quel point cet univers est inadapté aux plus jeunes.

 

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Les six épisodes du podcast « Enfants de taulards » sont disponibles sur toutes les plateformes de podcast © Sébastien Bagnis

Témoignages et éclairages

Dès le premier épisode, les témoignages sont percutants. Avec ses mots de jeune ado, Rania raconte le choc vécu le jour de l’incarcération de son père, trois ans plus tôt. Et aussi le flou, l’incompréhension, pour elle qui n’avait alors que 10 ans. « C’était un matin, je me suis réveillée. Il y avait des dames qui étaient venues parler avec ma mère et qui ont dit que mon père était incarcéré. C’est comme ça que je l’ai su. Je savais pas trop ce que ça voulait dire au début ».

Si ses souvenirs sont encore frais, tel n’est pas le cas de Maxyme. Lui a 28 ans et s’est replongé vingt ans en arrière pour ce podcast. « J’ai très peu de souvenirs de comment je l’ai appris (…) Je me rappelle pas que quelqu’un m’ait expliqué. Ma mère l’a fait, mais avec ses mots de maman. Et c’était sa version, sa part de vérité avec ses souffrances ».

Ces morceaux d’histoires sont entrecoupés d’éclairages professionnels, avec des psychologues, des sociologues, des associations d’aide aux proches de détenus. Ils apportent une vision plus globale, des pistes de réflexion et des solutions pour améliorer la situation. Une des clés évoquées afin de rassurer les enfants : le dialogue. Plus facile à dire qu’à faire. « Les proches sont déboussolés. Et si l’administration pénitentiaire doit gérer les détenus, on voit que les victimes collatérales ne sont pas dans ses prérogatives. Bien que ces questions-là soient de plus en plus prises en compte, globalement ce n’est pas suffisant », souligne Audrey Savournin.

 

 

Des parloirs pas adaptés aux enfants

L’exemple le plus criant est celui des parloirs. C’est dans ces lieux déjà traumatisants pour les adultes que les enfants sont amenés à rencontrer leur parent incarcéré. Après la traditionnelle fouille, ils se retrouvent dans une pièce exiguë, sale, froide, sans jeux ni accès aux toilettes.« Les parloirs ne sont pas pensés pour les enfants et pour la relation entre les parents et les enfants (…) Il n’y a aucun support pour alimenter la conversation, le lien. Les enfants peuvent être parfois agités car ils sont mis dans des situations qui ne sont ni normales ni adaptées », souligne Caroline Touraut, chargée d’études à l’Observatoire national de la protection de l’enfance et autrice de l’ouvrage « La famille à l’épreuve de la prison ».

Or ces parloirs sont d’autant plus précieux pour les enfants que ce sont les seuls instants où ils côtoient physiquement leur parent. « À aucun moment ça constituait un bon moment, où je pouvais me sentir à l’aise », se souvient Géraldine. Le Conseil de l’Europe a pourtant listé une série de recommandations en 2018 pour améliorer les conditions de parloir (bonus). Certaines paraissent d’ailleurs plutôt simples à mettre en place comme équiper un espace avec des jeux, du matériel de dessin, des livres pour rassurer les enfants. Plus compliqué : envisager des visites entre parent et enfant dans un lieu proche de la prison pour maintenir les liens dans un cadre le plus normal possible. À ce jour, toutes ces pistes sont restées lettre morte.

 

 

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Audrey Savournin a compilé plus de douze heures d’enregistrement pour son podcast © Nicolas Vallauri/La Provence

Aider les autres dans cette épreuve

Au terme de ses entretiens, Audrey Savournin s’est retrouvée avec plus de douze heures d’enregistrement. Elle en a sorti une série de six épisodes d’une vingtaine de minutes chacun. « Mon but est de donner la parole à ceux qui portent cette étiquette péjorative « d’enfants de taulards ». Je n’ai pas la prétention de dire que, derrière, les choses vont changer. Mais c’est en plantant des graines qu’on arrive à des prises de conscience », confie la journaliste.

Quant aux enfants et adultes, ils ont accepté de témoigner pour aider les autres. « J’aurais peut-être pu éviter certains écarts si j’avais eu la chance de rencontrer quelqu’un qui a ce recul et qui me l’aurait communiqué », considère Maxyme. Et Rania d’ajouter : « Si y’a des personnes qui vivent la même chose, qu’ils se disent « Ah,je suis pas tout seul » », souffle la jeune adolescente. Parler, se livrer, est aussi un moyen d’extérioriser une souffrance qui reste gravée en eux. « Ça me permet d’adoucir ma peine, de continuer à travailler la cicatrice pour qu’elle ne soit plus que superficielle », confie Géraldine. Les six épisodes sont d’ores et déjà disponibles sur toutes les plateformes de podcast (bonus). En attendant la sortie d’un épilogue dans quelques mois pour connaître l’impact de ces confidences sur leurs six protagonistes. ♦

 

Bonus

  • Où écouter Enfants de taulards ? Les épisodes sont disponibles sur toutes les plateformes de podcast en cliquant ici. Ils ont été réalisés par Audrey Savournin, avec Pierre Chaffanjon, pour La Provence.
  • Des recommandations européennes pour protéger les enfants de détenus – En Europe, environ 2,1 millions d’enfants ont un parent en prison d’après le Conseil de l’Europe, principale organisation de défense des droits de l’homme sur le continent européen. « Une situation qui peut entraîner un traumatisme, une stigmatisation, des angoisses, une privation de soins parentaux et une perte de moyens financiers qui risquent de nuire au bien-être, au développement personnel, voire à la vie de ces enfants », d’après l’institution. Face à ce constat, le Comité des Ministres – l’organe exécutif de l’organisation – a adopté des recommandations le 4 avril 2018. Ils préconisent par exemple des visites de manière régulière, dans un espace dédié ou en dehors de la prison, une fouille respectueuse, des contacts à distance réguliers, une formation particulière pour le personnel carcéral en contact avec les enfants… Le détail est à retrouver ici.