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La vapeur, arme naturelle contre le frelon asiatique

Par Agathe Perrier, le 22 février 2023

Journaliste

Le frelon asiatique se distingue de son homologue européen par ses pattes jaunes, sa taille, sa tête et son thorax noirs et la bande orange qui lui barre l’abdomen © Photo d'illustration, Pixabay

Pollinis, ONG de défense des pollinisateurs, a développé un dispositif naturel anti-frelon asiatique. Reposant sur la diffusion de vapeur d’eau directement dans les nids, il prouve qu’il existe une alternative aux insecticides. Reste désormais aux industriels de s’emparer de cette découverte afin de proposer aux désinsectiseurs une solution commercialisable, sans danger ni pour la planète, ni pour l’homme. 

 

Il fait officiellement partie des espèces envahissantes, classé comme nuisible par l’Union européenne depuis 2016. Importé accidentellement en France douze ans plus tôt, le frelon asiatique a progressivement colonisé tout le pays. Le problème ? La pression qu’il exerce sur les pollinisateurs (bonus), particulièrement les abeilles qui constituent la base de son alimentation. Et puisque Vespa velutina nigrithorax – de son petit nom – n’a pas de prédateur, l’Homme cherche à le neutraliser par lui-même. « La solution la plus utilisée, la perméthrine, est un insecticide dont les dommages collatéraux sont considérables. Les nids traités et laissés sur place sont des bombes chimiques abandonnées dans la nature », alerte Hacène Hebbar depuis de nombreuses années. Coordinateur des projets au sein de l’ONG Pollinis, qui agit pour stopper l’extinction des abeilles et autres insectes pollinisateurs, il a mis au point une alternative naturelle et non nocive.

 

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En Asie, les abeilles locales ont développé une stratégie efficace de défense contre le frelon asiatique : la technique dite du « heat balling » © Pollinis

Imiter la stratégie de défense des abeilles


Tout est parti d’un projet initié en 2013 par trois étudiants de Polytechnique, dont Pollinis finance alors seulement les travaux. Jérémie Laurent, fils d’apiculteur, décide de trouver un moyen pour détruire les nids de frelons asiatiques, mais sans recourir aux produits chimiques. Avec Guillaume Losfeld et François Espinet, ils étudient la stratégie de défense adoptée par les abeilles asiatiques contre leur prédateur. À savoir la technique du « heat balling » : les ouvrières se regroupent tout autour du frelon, battent frénétiquement des ailes pour faire monter la température et tuer ainsi le nuisible. Les trois camarades ont l’idée de les imiter en créant un dispositif capable de propager une forte chaleur directement dans le nid.

Les polytechniciens élaborent un premier prototype fondé sur une production de chaleur par infrarouge et une diffusion par ventilation. Lourd et cher, difficile d’imaginer qu’il puisse séduire les désinsectiseurs. Pollinis reprend ensuite les rênes du projet en 2015 et peaufine cette première version jusqu’à parvenir à un quatrième prototype concluant, qui fonctionne à la vapeur d’eau (bonus). Baptisé HeatNest – littéralement « nid de chaleur » – il a toutes les qualités nécessaires : léger, facile à assembler, simple à manipuler et en toute sécurité, peu onéreux. Reste à prouver son efficacité.

 

 

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Agir sur les nids de frelons permet de neutraliser tous ses membres contrairement à des pièges qui n’en capturent que quelques-uns © Pollinis

Attaquer le nid pour atteindre tous ses membres

Concrètement, HeatNest se fixe sur une perche télescopique classique. Il se compose d’un tube perforé pouvant percer les nids, relié à un réservoir d’eau chauffée. Il diffuse la vapeur de façon continue, tuant ainsi les reines et les larves nichant à l’intérieur. Évidemment, les frelons en vadrouille ne sont pas éliminés, mais finissent par mourir. « Car le style de vie de cette espèce est spécial. Les ouvrières vont chercher dans la nature de quoi alimenter les larves. En retour, ces dernières sécrètent un sucre qui nourrit les ouvrières. Or, s’il n’y a plus de larves, elles n’ont plus à manger et ne savent pas trouver de nourriture de substitution », explique Éric Nadeau.

Cet apiculteur teste depuis quatre ans le dispositif pour le compte du Groupement de défense sanitaire apicole de Gironde (GDSA33). Fervent défenseur de l’environnement, il a été séduit par le côté naturel du dispositif. Il salue l’idée, « très bonne et efficace » sur le terrain. « Le résultat au bout d’une semaine est le même qu’avec les autres méthodes : le nid est détruit et tous les insectes sont morts », indique-t-il. Autre avantage : puisqu’il n’y a pas eu de traitement, le nid peut rester sur place, sans danger pour l’environnement. Les oiseaux alentour viendront en plus se délecter des larves mortes, le rendant inhospitalier pour une future colonie de frelons.

 

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HeatNest se compose d’un tube perforé, relié à un réservoir d’eau chauffée à l’aide d’une source d’énergie © Pollinis

Manque d’autonomie et de flexibilité

Pollinis a signé des partenariats avec une vingtaine de groupements d’apiculteurs et des collectivités pour tester HeatNest à grande échelle. En 2022, sur 68 nids traités à la vapeur, 53 ont été neutralisés. Soit 78% de réussite, contre 96% pour les nids traités à la perméthrine. « L’écart n’est pas si abyssal que ça, et prouve que la vapeur a un effet conséquent », estime Hacène Hebbar.

Le dispositif présente néanmoins quelques lacunes, comme l’explique Éric Nadeau. « Le gros souci est qu’on doit disposer d’une source d’énergie. Quand on intervient chez un particulier, on a toujours une prise électrique à proximité. Ce qui n’est pas forcément le cas dans l’espace public », souligne-t-il. Par ailleurs, le dispositif ne peut pas fonctionner en position horizontale – sinon la vapeur transporte de l’eau – et est donc inutilisable si un nid est positionné sous des tuiles par exemple. Il se révèle enfin lourd et difficile à manipuler lorsque les nids sont perchés à plus de 15 mètres de haut. Résultat : l’apiculteur n’a recours à HeatNest que pour une trentaine de nids par an, sur une centaine d’interventions.

 

 

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Apis melliferra melliferra butinant des fleurs de prunier © Laurent Debordes

La vapeur comme source d’espoir

Reste que, pour Pollinis, l’objectif est atteint. « Notre boulot était de montrer qu’il y a un intérêt à explorer la vapeur comme solution pour lutter contre le frelon asiatique et qu’on n’est pas tout le temps obligé de passer par la chimie », expose Hacène Hebbar. Les tests menés ont d’ailleurs motivé l’INRAE de Bordeaux (organisme de recherche spécialisé dans l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) à piloter un rapport scientifique sur l’efficacité de la vapeur dans le traitement de nids. Les résultats devraient sortir avant cet été.

L’ONG n’a pas vocation à développer elle-même un dispositif commercialisable. Elle est par contre en contact depuis deux ans avec Concept Vapeur, société spécialisée dans la conception et la fabrication d’appareils de nettoyage et de désinfection vapeur. Cette dernière va explorer la possibilité de créer un outil sur le principe de HeatNest. Pollinis souhaite qu’aucun brevet ne soit déposé afin qu’il puisse être utilisé en open source, par tout le monde. Pour démocratiser ainsi une lutte anti-frelon asiatique à la fois naturelle et efficace. ♦

 

Bonus

  • Martigues, testeur frustré – La municipalité martégale a signé un partenariat avec Pollinis en novembre 2021 afin de tester HeatNest sur l’année 2022. Elle n’en a toutefois pas eu l’occasion, n’ayant pas rencontré de problèmes de nids de frelons l’année dernière, rapporte à Marcelle son service communication. Pour rappel, les collectivités ne sont habilitées à intervenir que dans l’espace public. Dans l’espace privé – des habitations, jardins, etc. – les particuliers doivent eux-mêmes solliciter un professionnel.
  • Et un, et deux, et trois, et quatre protos – Le premier prototype de HeatNest s’est fondé sur une production de chaleur par infrarouge et une diffusion de cette chaleur par ventilation. Le deuxième, une projection d’air chaud comprimé, a donné de très bons résultats en laboratoire, mais s’est avéré incompatible avec les compresseurs habituels du marché pour traiter des nids à 20 mètres de hauteur. Le troisième a combiné une résistance électrique et un ventilateur autonome, léger et puissant. Des essais menés dans plusieurs régions à l’automne 2018 ont donné des résultats encourageants. Mais un cas d’ « autocombustion » lente est apparu sur l’un des nids. Pour éviter tout risque de feu, un quatrième prototype – la version actuelle – a alors été́ conçu.

 

 

  • Un dispositif financé grâce aux dons – Pollinis a développé HeatNest avec les financements provenant uniquement de ses donateurs. L’ONG se revendique 100% indépendante puisqu’elle choisit de ne recevoir aucune subvention publique ou contribution d’entreprise. Elle ne réalise pas non plus d’activité commerciale. Pour soutenir son travail, il est possible de lui faire un don en cliquant ici.
  • Les pollinisateurs, chaînon essentiel de la biodiversité – De nombreuses espèces contribuent à la pollinisation des plantes à fleurs. Les abeilles mais aussi les papillons, coccinelles, mouches, scarabées, fourmis… En butinant, ces insectes transportent les grains de pollen des étamines (organe mâle) vers le pistil (organe femelle) d’une autre fleur de la même espèce. Ce qui assure la reproduction sexuée de ces plantes et donc la formation des fruits et des graines.