ÉducationSanté
Pour en finir avec le harcèlement scolaire
Longtemps sous-estimé, le harcèlement à l’école touche un enfant sur dix. Tout parent peut être concerné, un jour ou l’autre, par cette tragédie. Mais il le saura tardivement car bien souvent l’enfant ne parle pas. Par peur, par honte. Je me suis intéressée à ce sujet en multipliant les approches, car mon fils a lui-même été touché par ce poison. Il est urgent d’agir !
Moqueries. Insultes. Affaires abimées. Coups. Surnoms méchants. Jets d’objets. Exclusion. Pris isolément, ces actes peuvent être considérés comme des enfantillages de cour de récré. Additionnés et répétés dans le temps, ces micro-violences relèvent du harcèlement. D’après un rapport de l’Unicef 2017, parmi les élèves de 13 à 15 ans, un peu plus d’un sur trois dans le monde sont victimes de harcèlement.

Un harceleur, un harcelé et des témoins
Ce fléau atteint établissements sensibles comme huppés, privés comme publics, primaire comme collège, l’enfant timide comme le boute-en-train. Pas de profil type mais une même relation triangulaire : un harceleur, un harcelé et des témoins. « S’il n’y a pas de spectateurs, il n’y a pas de harcèlement. Certains le font activement pour ne pas s’exclure du groupe ; d’autres se contentent de rire, encourageant ainsi les meneurs à continuer », explique Noémya Grohan dans son livre ’’ De la rage dans mon cartable’’. Un témoignage bouleversant.
Les dégâts peuvent être dramatiques

Redoutables, les réseaux sociaux démultiplient le phénomène. Le développement accéléré des techniques de communication apporte au harcèlement une ‘’extraordinaire caisse de résonance’’ in ‘’ Harcèlement et cyber-harcèlement à l’école’’ de Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette. La page Facebook ‘’Harcèlement scolaire : venez briser le silence’’, co-créée par Noémya Grohan, déborde de témoignages de victimes et de leurs proches. Glaçants.
Établissements scolaires et témoins tenus d’intervenir
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le responsable n’est pas seulement le harceleur mais aussi l’établissement. C’est lui qui doit intervenir, stopper la loi du plus fort. Malheureusement, combien le font 
Depuis juillet 2013, le harcèlement scolaire est inscrit dans la loi, obligeant les établissements à agir et réagir. L’Éducation Nationale a mis en place site internet, numéro vert, kits pédagogiques, campagnes de sensibilisation que je vous invite à visionner ici, un prix annuel ‘’Non au harcèlement’’ dans les établissements (voir Prix « Non au harcèlement » 2018 – catégorie meilleure vidéo lycée remporté par des Niçois et les finalistes 2019 de l’académie Aix-Marseille) Objectif ? Inviter les victimes à parler mais aussi inciter les témoins à signaler tout harcèlement.
Précieuse, l’association Plus fort

Bonus
- Interview de Nicole Catheline, pédopsychiatre spécialiste des adolescents en difficulté et auteur du livre ‘’ Le harcèlement scolaire’’ (PUF)

« Il n’existe pas de signes spécifiques mais un changement de comportement qui n’est pas propre au harcèlement : irritabilité, hypersensibilité, fatigue, problèmes alimentaires, de sommeil, addiction aux jeux vidéos, lenteur le matin pour éviter d’aller à l’école ou rater le bus. Malheureusement, les adultes mettent ce changement trop rapidement sur le compte de l’adolescence ».
Peut-on parler d’un profil de harcelé ?
« Il ne faut pas attaquer ce problème par ce biais-là. Cela signifierait que c’est la faute des harcelés. Des faibles qu’il faudrait envoyer chez des psys pour qu’ils deviennent plus forts, tandis que les harceleurs seraient des méchants qu’il faudrait envoyer chez des éducateurs. Le harcelé peut être le plus timide ou, au contraire, l’extraverti. Le harcèlement résulte d’un échec de la dynamique de groupe. À l’adolescence, le groupe est important dans la construction de la personnalité. Il protège, renvoie une image positive à celui qui en fait partie. Pour qu’il fonctionne, il a besoin de rassembler le plus possible. Tout enfant porteur d’une différence – par ses vêtements, ses centres d’intérêt ou d’autres aspects – peut être un harcelé potentiel car il représente une menace pour l’identité du groupe. C’est à l’établissement d’intervenir. Il ne doit pas laisser la loi du plus fort s’installer ».
Pourquoi l’enfant ne se confie pas à ses parents ?
« L’enfant est en pleine construction, il veut une image positive de lui-même et donc va essayer de trouver seul la solution. Ce peut-être aussi la peur des représailles si les parents alertent le collège, le poids de la honte ou la crainte de rajouter des soucis dans une famille où il y en a déjà assez. Mais au bout d’un moment, l’enfant s’épuise et se confie. Il le fait en général entre quatre et six mois. Parfois, jamais ».
Comment faire parler notre enfant sans le brusquer ?
« Il faut être le plus neutre possible : ‘’le harcèlement peut t’arriver et si c’est le cas, on fera tout ce qu’il faut pour que ça s’arrête’’. Surtout ne pas lui dire : ‘’on ne t’embête pas à l’école, hein ?’’ Ce qui traduirait notre anxiété et n’encouragerait pas l’enfant à se confier ».
Comment faire pour que son harcèlement cesse ?
« Il ne faut pas chercher à régler seul le problème, encore moins rencontrer le harceleur ou les parents, car la situation pourrait empirer ! La première chose à faire, c’est mettre au courant les professeurs, le CPE (conseiller principal d’établissement) et le directeur de l’établissement qui vont réunir les deux enfants et mettre du sens sur ce qui se joue : aider le harceleur à comprendre ses motivations et, du coup, permettre au harcelé de savoir ce qu’on lui reproche. Ensuite, il est important d’être dans la co-construction – ‘’quelle solution peut on trouver ensemble ?’’– et non dans l’accusation. Si l’établissement ne veut rien savoir ? Il faut alors contacter le monsieur ou madame harcèlement de l’académie de son enfant ».
N’y a-t-il pas quand même un meneur ?
« Ce peut être n’importe qui, pas forcément un meneur. Le caractère grégaire de certains comportements sommeille en nous tous. C’est pour cela qu’il convient avant tout de travailler sur le groupe des pairs, les faire réfléchir, les encourager à user de leur droit de retrait au lieu de suivre de façon moutonnière pour continuer à faire partie du groupe et surtout à savoir venir en aide à la victime ».
Faut-il pousser son enfant à rendre les coups ? Porter plainte ? Changer d’école ?
« Il faut décoder l’intention du harceleur ; la plupart du temps, elle signifie ‘’on ne veut pas de toi’’ et répondre par des coups ne servira à rien. Utiliser la justice n’apportera pas non plus la réponse attendue, hormis dans des situations authentiquement perverses. Changer d’établissement ne résoudra pas forcément le problème car l’enfant aura développé un langage de peur (yeux baissés, épaules rentrées…) qui pourra attirer un autre harceleur. Ces trois mesures se discutent au cas par cas. »
Comment l’aider à reprendre confiance en lui ?
« En lui faisant pratiquer des activités valorisantes, en lui donnant un lieu de parole, en l’aidant à retrouver confiance dans le groupe. Ce peut être intégrer un groupe sportif ou culturel. Comme pour une chute de cheval, il faut tout de suite l’encourager à réintégrer le ‘’vivre ensemble’’».
- Plus Fort. Depuis douze ans, aidée de trois psychologues, Sandrine Sanchez propose des consultations aux enfants victimes de harcèlement et de violences scolaires ET aux auteurs « qui ont aussi besoin d’être accompagnés ». Elle a créé cette association alors que ses filles de 6 et 8 ans « rapportaient de l’école des bagarres ou des élèves embêtés. Elles ne savaient pas comment réagir. Leur propos a fait écho à mon enfance passée dans un quartier difficile. Comment je pouvais ‘’armer’’ mes filles, leur apprendre à se défendre sans agressivité ? Aucun outil n’existant à l’époque en France, je me suis formée en Suisse, aux USA et au Canada ». Outre le suivi individuel, Plus Fort forme également des professionnels de l’éducation (enseignants, éducateurs spécialisés, infirmières scolaires, surveillants…) et fait de la prévention auprès des jeunes. Les thèmes ? Développer estime de soi et empathie, savoir gérer les conflits, exprimer ses sentiments, gérer sa colère, valoriser les compétences de chacun. Ils sont abordés via des cercles de parole mais surtout des mises en situations de ce que vivent les élèves. « Comprendre qui on est et comment rentrer en relation avec les autres limite l’agressivité et apaise le climat dans l’établissement ». Plus Fort est déjà intervenu auprès de 50 000 élèves et a formé 1 000 professionnels. Dernièrement, une école des quartiers Nord de Marseille l’a sollicitée pour former les nouveaux profs. Une satisfaction pour cette battante de 45 ans qui aimerait développer une mallette pédagogique pour les équipes éducatives et, pour les enfants, des sets de table représentant les outils pour gérer les conflits
- Témoignages de parents d’enfants harcelés
Jacqueline, un fils en 4e, a écrit le postface du roman jeunesse ‘’L’Enfer au collège’’ d’Arthur Ténor

Juliette, un fils en 5e
« Avec mon fils de 13 ans, nous avons un rituel le soir, des gratouilles dans le dos, lumières éteintes. C’est lors d’un de ces moments qu’Alexandre m’a balancé ce qu’il subissait au quotidien dans sa classe, de la part de trois élèves. Des moqueries, des frappes dans le cou, des mises à l’écart pour jouer au foot ou à tout autre jeu collectif. Des brimades répétitives qu’il vivait depuis la rentrée. Depuis trois mois. Ma première réaction a été d’essayer de comprendre ce qu’il provoquait chez ces enfants pour qu’ils soient aussi méchants avec lui. Alexandre a reconnu qu’il était peut-être un peu collant avec eux, qu’il faisait « le débile » pour attirer leur attention, qu’il se ralliait à leur avis. J’ai alors eu une parole peut-être un peu dure mais je lui ai fait comprendre que ces enfants ne voulaient pas de lui et que ça ne servait à rien qu’il cherche à s’en faire des amis. Mon mari a eu une réaction toute autre. Il lui a dit de frapper un grand coup. Pour se faire respecter. J’ai été horrifié par son conseil, moi qui ai élevé mon fils dans la non-violence. D’ailleurs, la réaction de mon fils a été immédiate : ‘’je ne peux pas, ils sont plus forts que moi’’. Dans la semaine qui a suivi, j’ai pris rendez-vous avec un psychologue. Alexandre n’avait plus du tout confiance en lui, il parlait toujours les épaules voutées et les yeux baissés. Puis j’ai mis un mot dans le cahier de correspondance pour demander un rendez-vous avec le professeur principal. Elle a pris tout de suite en considération la gravité du problème. Elle nous a reçus, écoutés puis demandé aux professeurs d’être vigilants. Enfin, elle a consacré une heure à la classe pour parler du vivre ensemble. Tous les soirs, nous demandions à Alexandre si son harcèlement avait cessé. Il nous racontait par bribes les méchancetés et puis, au bout d’un moment, il en a eu marre de nos questions pressantes. Il les éludait. La seule chose que je savais, c’est qu’il était seul dans la cour, seul à la cantine. Aucun de sa classe ne voulait s’approcher de lui. J’en étais malade. Et puis un soir, vers janvier de la même année, il est revenu triomphant : il s’était défendu en ripostant par des coups. J’avoue que nous étions super heureux. Un peu moins quand il est revenu une semaine plus tard avec une heure de colle pour cause de bagarre ! Alexandre a terminé l’année, toujours seul mais avec en tête qu’il fallait fuir ses anciens harceleurs. C’est seulement au deuxième trimestre de l’année d’après qu’il s’est fait une bande de copains. Il était tellement obnubilé par ses nouvelles amitiés que toutes ses notes ont chuté. Mais nous, nous avons crié victoire ! »
Sophie, une fille en 4e
« J’ai mis des mois avant de comprendre que les bleus dans le dos de ma fille étaient plus que des bagarres de cour de récré. C’est son changement de comportement à la maison qui m’a mis la puce à l’oreille : Louise, qui était alors en cinquième, est devenue agressive, en permanence sur la défensive. Je l’ai faite parler un soir en rentrant du collège, elle a tout déballé : on l’invectivait, répandait des rumeurs sur elle, certains avaient essayé de l’étrangler. Toute la classe la rejetait, même sa meilleure amie l’avait laissée tomber. Ma fille étant le bouc émissaire, elle avait peur d’être exclue à son tour. Pourquoi tant d’acharnement ? Je ne comprends toujours pas aujourd’hui. Ma fille est mignonne, s’habille bien, travaille bien à l’école. Au début, Louise se défendait. Elle a une forte personnalité et n’est pas du genre à se laisser faire. Mais comment se défendre quand c’est toute une classe qui frappe ! Louise m’a avoué ne pas s’être confiée à moi tout de suite, par honte. Au fil des mois, elle s’est forgée une carapace, elle subissait sans rien dire. J’ai été voir les profs qui m’ont répondu qu’ils allaient faire quelque chose. Concrètement, ils n’ont rien fait. Même pas réuni la classe. Ils ont reproché à ma fille de ne leur avoir rien dit, tout en lui réclamant des preuves ! J’ai compris en me renseignant sur le harcèlement que les enseignants qui ne sont pas formés à cette problématique ont dû mal à saisir l’ampleur et la gravité du problème. Ils peuvent même conclure que l’enfant a dû faire quelque chose pour mériter ça. C’est ce qui s’est passée pour Louise. Le corps enseignant a fait bloc pour étouffer l’affaire. L’année suivante, les profs l’ont stigmatisée comme ‘’enfant à problèmes’’. Certains lui disaient même de se taire quand elle posait des questions en cours. Dans la cour, les élèves multipliaient les méchancetés, du genre : ‘’tu t’es plainte à ta maman, pauvre petite rapporteuse’’. Mon mari et moi avons porté plainte contre l’école. Tout ce que nous avons récolté, c’est une réputation de parents pénibles. Une étiquette qui nous a poursuivis quand nous avons changé Louise de collège en février dernier. Elle n’a reçu aucun soutien des nouveaux profs alors qu’ils connaissaient son dossier. Et le pire dans l’histoire, c’est que Louise a croisé de nouveau le chemin de harceleurs depuis la rentrée. Est-ce parce qu’elle est devenue tellement fragile qu’elle les attire ? Qu’elle est devenue tellement mal à l’aise en groupe qu’elle en est tout de suite exclue ? Louise commence à se sentir vraiment différente et perd énormément confiance en elle. Elle se dit que si elle est mal aimée, ce n’est pas pour rien et qu’elle doit sûrement le mériter. Je suis désemparée. J’ai pris rendez-vous avec un psychologue pour la suivre et j’envisage de déménager dans un autre département ».