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Quand apprendre à lire devient vraiment un jeu d’enfant

Par Agathe Perrier, le 30 mars 2021

Journaliste

Archive © Agathe Perrier

Les lettres en miroir – b et d, p et q – jouent souvent des tours aux enfants qui apprennent à lire et écrire. Deux neuroscientifiques, Felipe Pegado et Sidarta Ribeiro, ont développé un programme pour surmonter ces difficultés, basé sur des exercices simples et sans matériel particulier. Résultats : au bout de trois semaines seulement, les écoliers ne confondent plus ces lettres, contre deux à trois ans en suivant le schéma scolaire classique. Ce qui engendre une lecture bien plus fluide.

 

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Felipe Pegado © DR

Petit(e), vous avez peut-être déjà buté sur les fameuses lettres en miroir. Un b pris pour un d, ou inversement, un p pour un q, voire un z pour un s. Rien d’étonnant d’après Felipe Pegado, neuroscientifique et coauteur d’une étude sur le mécanisme « d’invariance en miroir ». C’est ce dernier qui permet à l’être humain de reconnaître vite et sans difficulté des visages, des objets ou des lieux, à la fois sur le profil gauche et droit, en faisant une « copie à l’envers » dans le cerveau.« Par contre, lorsqu’un enfant commence à lire ou écrire, ce mécanisme l’empêche de reconnaître rapidement les lettres. Et entraîne une confusion sur l’orientation des lettres, en particulier sur les paires de lettres en miroir », explique le chercheur.

Rien d’irrémédiable heureusement : à force d’entraînement, l’amalgame s’estompe. Mais cela prend du temps, généralement deux à trois années, voire davantage pour les dyslexiques. Or, comme le souligne Felipe Pegado, une lecture fluide participe à la bonne compréhension de ce qu’on lit. Et en butant sur les lettres, les enfants ne ressentent pas le plaisir de lire. Un mauvais départ qui peut avoir des conséquences négatives sur la scolarité (bonus). D’où l’idée du neuroscientifique : créer un programme pour dompter le mécanisme d’invariance en miroir en un rien de temps.

 

 

Jeux multisensoriels et sommeil

C’est dans une école au Brésil, pays dont il est originaire, que Felipe Pegado a mené son expérimentation. Des élèves d’une classe de CP ont été répartis en groupes. L’un a continué de suivre le cursus scolaire classique. Quand l’autre pratiquait30 minutes quotidiennes de jeux multisensoriels, pour améliorer la distinction entre les lettres en miroir. Jeux d’écriture – l’enfant écrit dans le creux de sa main un b puis un d, idem sur une feuille les yeux fermés –, prononciation, écoute… Des exercices variés pour solliciter les différents systèmes sensoriels et moteurs du cerveau. Certains élèves faisaient ensuite la sieste après l’entraînement.

Au bout de trois semaines, les résultats ont montré que les écoliers s’adonnant au programme d’exercices ne confondaient plus les lettres en miroir et réduisaient leurs erreurs d’écriture. Et que ceux faisant la sieste lisaient même deux fois plus vite ! « L’entraînement aide à résoudre le problème d’invariance en miroir et le sommeil booste l’effet de la pratique », résume Felipe Pegado, qui a été épaulé par son confrère Sidarta Ribeiro, déjà à l’origine de travaux sur le lien entre sommeil et mémoire. L’expérimentation a été réitérée sur trois ans avec des résultats identiques à chaque fois.

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Exemple d’exercices et sieste pour certains enfants © DR

 

Les écoles en ligne de mire

Fort de ce succès, Felipe Pegado souhaite en faire profiter le plus d’enfants possible. Et c’est dans les écoles marseillaises, ville où il est désormais installé, qu’il aimerait déployer son dispositif. « C’est très simple à mettre en place car cela ne dépend d’aucune technologie ». Pas besoin d’écran ou de tablette, juste le matériel de base que l’on trouve en classe. Le neuroscientifique est en contact avec trois établissements privés – où la démarche est moins lourde administrativement parlant qu’avec le public – pour démarrer dès la rentrée 2021. Ce déploiement servira encore d’expérimentation au chercheur afin de repérer, notamment, les activités les plus efficaces. « Je veux rendre l’entraînement le plus robuste possible pour que, à terme, on puisse tester son efficacité à une plus large échelle. Et peut-être un jour, le voir intégré sur le programme de l’Éducation nationale pour les classes de CP voire de maternelle », ambitionne-t-il.

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Photo d’illustration © Archive – Agathe Perrier

Ce projet au long cours sera complété, d’ici quelques mois, par un programme en ligne destiné aux familles. L’idée : sur le même principe, proposer des exercices à réaliser à la maison. Idéalement au moment du coucher, à la place du rituel de lecture par exemple. Un moment de partage ludique avant de glisser dans les bras de Morphée pour consolider les acquis. Et à la clé, le plaisir de lire, probablement pour toute la vie. ♦

 

* LE ZEF, parrain de la rubrique « Éducation », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus

[pour les abonnés] Les chiffres de la lecture chez les jeunes – Une nouvelle méthode de lecture en test –

  • Les chiffres de la lecture chez les jeunes – Selon une étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) menée en 2018, 22,4% des 710 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans qui ont effectué leur Journée défense et citoyenneté maîtrisent mal la lecture. Leur déchiffrage est lent et leur compréhension de ce qui est lu faible. Parmi eux, 5,2% peuvent être considérés en situation d’illettrisme.
    Il ressort également de cette enquête que les performances en lecture progressent avec le niveau d’études. Elles sont globalement plus élevées chez les filles que chez les garçons. Les jeunes des DOM sont particulièrement concernés par les difficultés de lecture. En France métropolitaine, c’est au nord qu’elles sont les plus fréquentes. Les résultats complets sont à retrouver ici.

 

  • Une nouvelle méthode de lecture en test – À la demande de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, une expérimentation est menée depuis cette année 2020-2021 dans 370 classes de 10 départements, dont les Bouches-du-Rhône. Elle se base sur une méthode de lecture syllabique baptisée « Lego ». Celle-ci propose « une progression régulière et structurée de l’étude des correspondances graphèmes-phonèmes dans le cadre d’une démarche didactique et pédagogique intégrant l’étude du fonctionnement de la langue française ». Selon les résultats, elle pourrait être étendue au reste du pays dès la rentrée 2022.