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Un mollusque méditerranéen sauvé de la disparition grâce à des chercheurs corses

Par Agathe Perrier, le 17 mars 2023

Journaliste

Des géniteurs de patelle géante élevés en bassin sur des plaques d’algues © Stella Mare - Université de Corse / CNRS

Des chercheurs corses ont réussi à maîtriser la reproduction de la patelle géante. Ils élèvent désormais cette espèce de mollusque en bassin, puis relâcheront ses individus dans la Méditerranée d’ici quelques mois. Le but est de restaurer les populations décimées et d’éviter sa probable disparition totale si rien n’est fait pour la sauver.

 

C’est un mollusque gastéropode qui ressemble à un escargot marin : la patelle géante. Comme d’autres espèces d’arapèdes, elle est dotée d’un pied qu’elle utilise pour s’accrocher à la roche et d’une coquille qui la protège. Elle s’en distingue par contre par sa « grande » taille, pouvant aller jusqu’à dix centimètres. Patella Ferruginea, de son nom scientifique, peuplait l’ensemble de la Méditerranée sous l’Antiquité. Mais aujourd’hui, elle se cantonne à la Corse, la Sardaigne et quelques archipels d’Afrique.

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Un géniteur de patelle géante retourné. Le pied musculeux servant à s’accrocher sur la roche est visible ainsi que les crénelures caractéristiques de la coquille © Stella Mare – Université de Corse / CNRS

 

Restaurer les populations disparues


Face au réel risque de la voir totalement disparaître, les chercheurs du laboratoire corse Stella Mare se sont mobilisés. « Puisque notre île possède un stock important de géniteurs, on a voulu maîtriser la reproduction de l’espèce pour ensuite relâcher les individus dans toute la Méditerranée et restaurer les populations disparues », explique Jean-José Filippi, docteur en biologie marine et responsable des expérimentations en aquaculture.

L’équipe de cette plateforme scientifique basée près de Bastia est rodée en matière de reproduction d’espèces marines vulnérables. À leur actif : la maîtrise de la grande araignée – notre reportage ici –, l’huître plate, le homard européen, l’oursin violet, le denti, le corbet et la langouste rouge. « Contrairement aux autres, l’intérêt pour la patelle est uniquement écologique, afin de sauver cette espèce en danger. La technique s’est par ailleurs révélée différente du fait qu’il s’agisse d’un mollusque », précise le chercheur.

 

 

De millions d’embryons à 116 juvéniles

Les chercheurs ont réalisé au total quatre expérimentations en 2022 sur la patelle géante. « Il a fallu trouver dans le milieu naturel des géniteurs sains et matures sexuellement. Puis demander et obtenir les autorisations de les prélever. L’espèce étant protégée, c’est normalement interdit », expose Jean-José Filippi.

Par fécondations in-vitro, deux millions d’embryons de patelles ont été obtenus. Au bout de quelques heures seulement, ils sont devenus des larves. Environ 100 000 se sont développés pendant trois jours en autonomie, avant qu’une centaine se fixe sur un habitat propice à leur survie – ici des plaques d’algues. Depuis, 116 juvéniles – le stade après celui de larve – ont survécu. « On a eu un fort abattement, mais c’est toujours comme ça avec les premiers essais. On essuie des « échecs » qui n’en sont finalement pas car ils servent à nous améliorer », souligne le chercheur. Qualité de l’eau, luminosité, nourriture… tous les paramètres ont été analysés pour augmenter le taux de survie lors des prochaines expérimentations.

L’équipe corse n’est toutefois pas la première au monde à avoir réussi à maîtriser la reproduction de la patelle géante. Deux autres, menées par un même scientifique espagnol, y étaient déjà parvenues, mais avec une survie limitée des juvéniles.

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Des juvéniles aux différents jours d’élevage (53, 65 et 92 jours post-fécondation) © Stella Mare – Université de Corse / CNRS

 

Repeupler les fonds de toute la Méditerranée

Les juvéniles de Stella Mare ont actuellement dépassé les 120 jours de vie, toujours fixés aux algues dont elles se nourrissent. Ils mesurent environ 2 à 3 mm pour le moment. L’objectif des chercheurs est qu’ils atteignent 1 à 2 cm afin de les réintroduire dans le milieu naturel. « On les relâchera le long de la digue du Vieux-Port de Bastia, qui présentait historiquement des populations de patelle géante. On suivra ensuite les individus et leur évolution », indique Jean-José Filippi. Un appel à mécénat a été lancé pour financer cette opération, qui devrait être menée début 2024. Avec l’objectif à terme de la répliquer dans d’autres sites de la Méditerranée. Les institutions et scientifiques de toute la Grande Bleue sont invités à y contribuer. « Le but est de restaurer des stocks un peu partout afin que la population totale remonte », ajoute le chercheur.

Des gestionnaires d’aires marines protégées – dans le sud de la France, en Espagne et en Italie – se sont déjà montrés intéressés. Il faudra d’abord attendre les résultats de l’opération menée en Corse. Et s’assurer que le biotope des futurs sites est propice au bon développement des patelles géantes. Les conditions à réunir ne sont néanmoins pas trop contraignantes : l’arapède a principalement besoin de substrat rocheux et d’une bonne qualité d’eau.

 

 

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Les juvéniles de patelles géantes seront réintroduit le long du Molu di u Trigone (ou mole du Dragon) sur la digue du Vieux-Port de Bastia © Cosudibastia – Wikipédia

Une intervention humaine nécessaire

Ce coup de pouce des chercheurs est à l’évidence plus que nécessaire pour l’avenir de la patelle géante. Un juste retour des choses vu que le déclin des populations est en partie dû à l’homme. Les pêcheurs l’ont longtemps prélevée et son habitat naturel a souvent été détruit par l’urbanisation grandissante des côtes. Des pressions que l’arapède n’a pas réussi à compenser par lui-même. « Les stocks de géniteurs actuels ne peuvent pas réensemencer toute la Méditerranée. Car c’est une espèce qui ne produit pas énormément de larves lors des phases de reproduction. Et puisque ces larves se développent en trois jours, elles se disséminent sur maximum 1 à 2 kilomètres de distance. Il faut donc forcément une intervention humaine pour repeupler les fonds », indique Jean-José Filippi.

Reste que, comme le souligne le biologiste, les opérations de restauration écologique « ne sont pas l’alpha et l’oméga ». Elles doivent se coupler à d’autres mesures de protection, l’instauration d’aires marines protégées par exemple. Une réalité pour Patella Ferruginea, commune finalement à toutes les espèces en danger. ♦

 

Bonus

  • Des nouvelles de la grande araignée – Jean-José Filippi en profite pour faire état des avancées de Stella Mare sur ce crabe qu’on ne trouve, lui aussi, que dans la Grande Bleue. Pour rappel, fin 2021, l’équipe corse avait annoncé maîtriser sa reproduction. Les 1 200 juvéniles obtenus ont bien grandi, jusqu’à quasiment 10 cm. Ils ont été relâchés en 2022 du côté de Saint-Florent, commune située à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Bastia. Les plus gros spécimens ont été équipés de balises acoustiques pour suivre leur évolution. Taux de survie, distance et profondeur parcourues… les données sont en cours d’analyse. Les chercheurs ont en parallèle obtenu de nouveaux juvéniles l’année suivante, cette fois aux alentours de 2600. Ils font notamment l’objet d’expérimentations en aquaculture multitrophique intégrée. L’objectif à terme avec cette espèce est de restaurer ses populations pour compenser l’activité de pêche qui les décime.
  • Stella Mare, une unité mixte de service (UMS) à la pointe – Cette plateforme scientifique de l’université de Corse et du CNRS, créée en 2011, est spécialisée en ingénierie écologique marine et littorale. Son rôle est de faire de la recherche fondamentale et appliquée, de transférer ses innovations vers le monde professionnel et de sensibiliser le grand public à l’environnement marin. L’équipe de Stella Mare se compose de 47 personnels techniques et administratifs, dont 14 ingénieurs. Ils font partie des premiers chercheurs au monde à avoir réussi à maîtriser la reproduction de la langouste et de la grande araignée de Méditerranée.