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Quand la pêche durable donne le thon

Par Frédérique Hermine, le 15 août 2023

Journaliste

Sensibiliser les restaurateurs aux produits de la mer, les inciter à choisir des espèces qui ne sont pas surexploitées, à adopter une politique d’achat responsable et d’approvisionnement durable ©Frédérique Hermine

[mer] Quand chefs, pêcheurs et scientifiques se retrouvent entre bateaux et fourneaux pour travailler de conserve, pas de guerre dans le Landernau. Une façon de promouvoir la pêche durable, de mieux gérer la ressource et de sensibiliser le consommateur.

 

Au début du 21e siècle, la guerre du thon faisait rage : les uns tentant d’alerter sur la raréfaction de la ressource, les autres niant farouchement la menace. Il y a une dizaine d’années, le groupement de pêcheurs sétois SaThoAn est pourtant parvenu à mettre en place une veille sur le thon rouge, en collaboration avec des scientifiques et des chefs cuisiniers, notamment du réseau Relais & Châteaux. Sa population était alors proche de l’effondrement.

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Très menacé, le stock de thon rouge a pu être reconstitué @Pixabay

Le message d’alerte, dans le sillage du chef Olivier Roellinger, avait été relayé par les 500 membres du réseau déployé dans 56 pays. « Nous devons diversifier les espèces que nous utilisons, ne cesse de rappeler le restaurateur breton. Les chefs ont assez de talent pour faire découvrir et ‘anoblir’ des espèces méconnues. C’est aussi là que notre métier trouve tout son intérêt et sa beauté ». Il a d’ailleurs initié il y a plus de dix ans un concours à son nom, à l’échelle européenne, pour sensibiliser à la préservation des ressources de la mer.

 

Labels et certifications

Les chefs avaient finalement adopté, en novembre 2009, un cahier des charges votant la suspension de ce poisson à leur table. Cette mesure avait largement contribué à une mobilisation générale. Treize ans plus tard, ces mesures fortes (le thon rouge n’a jamais été interdit de pêche, juste fortement réglementé) ont permis au stock de se reconstituer. « Il est désormais possible de le remettre à la carte, mais toujours avec modération », explique Josselin Marie, chef engagé de la Table de Colette à Paris.

La SaThoAn s’est par ailleurs attachée à la création en 2017 d’une marque collective Thon rouge de ligne-Pêche artisanale. Elle garantit un suivi des quotas, l’enregistrement des captures, la traçabilité… C’est la première pêcherie bénéficiant d’une double écocertification Pêche Durable et MSC.

« Il est important pour une mobilisation et une gestion commune de mettre en lien chefs, poissonniers, mareyeurs et pêcheurs », insiste Elizabeth Vallet, directrice d’Ethic Ocean, l’ONG œuvrant pour la préservation des océans. « Car 27% de la consommation des produits de la mer en France se fait en restauration. Le restaurateur a donc un rôle essentiel car il peut à la fois influencer ses fournisseurs selon ses critères d’achat, et ses clients ».

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♦ (re)lire : Comme pour tes légumes, achète du poisson local et de saison

Du saumon sinon rien

L’idée de l’association est ainsi de sensibiliser les restaurateurs aux produits de la mer. De les inciter à choisir des espèces qui ne sont pas surexploitées. D’adopter une politique d’achat responsable et d’approvisionnement durable. Et de communiquer sur leurs pratiques à leur clientèle. « Il est vrai qu’il y a beaucoup de poissons délicieux à faire découvrir, reconnaît volontiers le chef Quentin Leroux. Mais lorsque l’on suggère au consommateur un poisson qu’il ne connaît pas, il répond souvent ‘Oui… mais la prochaine fois’ ».

Thon, cabillaud et saumon restent ainsi les poissons les plus consommés dans l’Hexagone. Sachant que la France est l’un des principaux consommateurs de produits de la mer en Europe (au 4e rang lire les chiffres et données en bonus), c’est aussi au consommateur de rester vigilant à ce qu’il met dans son assiette.

 

♦ (re)lire : le portrait d’Aline Espana, pêcheuse engagée

 

Espèces et zones en rouge ou vert

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Un chalutier de Sathoan à Sète ©Sathoan

Ethic Ocean a donc choisi de travailler avec l’ensemble de la filière pêche et aquaculture, des pêcheurs aux restaurateurs et aux consommateurs « car tout le monde a un rôle à jouer pour promouvoir les pratiques durables ». Les produits de la mer sont la première denrée échangée dans le monde, une grande partie provenant de l’Atlantique Nord-Est. Des zones rouges émaillent cependant ce grand ensemble, notamment entre la Grande-Bretagne et l’Islande ou dans la Mer Baltique.

Les menaces qui pèsent sur certaines espèces peuvent aussi être très variables selon les secteurs. Le maquereau est dans le vert en Atlantique Nord Est mais la sardine est dans le rouge le long des côtes espagnoles, dans l’Adriatique et sur les côtes sud de la France.

 

Utiliser des méthodes à moindre impact

« Le problème est le décalage de deux ans des données scientifiques qui ne collent pas forcément à la réalité du moment. De plus, les zones rouges ne sont pas forcément dues à la surpêche. Elles découlent parfois du déséquilibre d’un plancton de mauvaise qualité à cause de la pollution ou du réchauffement des eaux », explique Nolwenn Cosnard.

La chargée de mission à la SaThoAn poursuit : « L’utilisation de méthodes à moindre impact reste donc primordiale. Mais tout n’est pas si simple : certains artisans abîment l’écosystème et pêchent des espèces en danger tandis que certains bateaux industriels ont des démarches responsables. Sans compter l’impact de la pêche de plaisance qui ne respecte pas toujours les règles de taille de maturité, la taille minimum pour la commercialisation étant souvent inférieure à celle de reproduction ». On peut en effet pêcher des poissons de 30 cm alors qu’ils ne se reproduisent qu’à 70 cm. Les contrôles se multiplient, mais il faudrait croiser davantage les données par logiciel entre celles des pêcheurs et celles des douanes par exemple.

 

Les espèces suivies à la trace

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Très complète, l’appli Ethic Ocean

Le prérequis est donc de définir un état des lieux par espèce, de préférence avec son nom latin scientifique pour éviter les erreurs. Il est également important de mentionner sur les étiquettes les techniques de pêche. Et pas seulement sur la facture d’un restaurateur à la réception de sa commande !

De plus, la pêche locale et de saison n’est pas forcément durable. « Le calendrier de pêche correspond à une période où une population de poisson se regroupe pour frayer. Il est alors plus facile à pêcher mais il faudrait surtout se fier au stock, insiste Nolwenn Cosnard. Le maquereau par exemple se consomme surtout l’été à une période où il ne manque pas. En revanche, la sole est souvent pêchée l’hiver en pleine période de reproduction alors qu’elle est de surcroît de moindre qualité gustative. Le bar est également surpêché à ce moment-là dans les frayères en Bretagne ».

Ethic Océan a donc édité un guide des espèces à l’usage des professionnels avec des informations sur les poissons, les techniques de pêche, les provenances à privilégier ou éviter. Les tailles conseillées… Une véritable banque de données consultable en ligne, assortie d’une application Ethic Ocean qui vient d’être déclinée en version grand public. ♦

*article publié le 12 octobre 2022

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

Bonus

[pour les abonnés] – À lire – Les chiffres de la surpêche, de la pêche illégale – Production et consommation des produits de la mer –

  • Quand la pêche durable donne le thon 5À lire. « Surtout les thons ! » Histoire culturelle et culinaire du thon rouge de Méditerranée chez Menu Fretin en collaboration avec la SaThoAn. 160 pages 24,50 euros.
  • Surpêche. Face aux menaces du dérèglement climatique qui pèsent sur la population des océans, la surpêche s’avère finalement l’activité la plus réversible si l’on met en place des mesures de gestion de la ressource. « On a longtemps pensé que les ressources marines étaient inexpugnables. Mais on a pris conscience que ce n’était pas le cas dans les années 90. Notamment avec l’effondrement du stock de cabillaud à Terre-Neuve, toujours pas reconstitué », précise Elizabeth Vallet.

Plus d’un tiers des poissons et mollusques sont surexploités au niveau mondial pour répondre au doublement de la consommation de produits de la mer. En 50 ans, elle est passée de 10 à 20,5 kg/ an par personne.

  • Pêche illégale. Aujourd’hui, elle représente 20% des captures mondiales (elles sont passées de 11 à 26 millions de tonnes par an). Malgré l’obligation de débarquement, on enregistre peu de contrôles des pêches accidentelles et des rejets estimés à 20 millions de tonnes annuelles.

Par ailleurs, l’aquaculture n’a cessé de se développer à partir des années 60, de façon exponentielle depuis la fin du siècle dernier. Elle dépasse même les captures sauvages mais le plus inquiétant c’est qu’un tiers sert à nourrir les élevages via les farines de poissons. Outre l’enjeu du bien-être animal, cela pose la question d’une sur-utilisation d’antibiotiques et de modifications des écosystèmes avec un sérieux manque de traçabilité.

 

♦ (re)lire) : Apprendre de la faune aquatique au travers des œuvres d’art

 

  • Des chiffres (source FAO 2020)

En 2018, 179 millions de tonnes de produits de la mer ont été produits : 97 millions de tonnes issues de la pêche, et 82 millions par l’aquaculture. À elle seule, la Chine représente 35% de la production mondiale en produits de la mer, 15% de la pêche mondiale, et 58% de l’aquaculture mondiale.

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Les Européens, plus gros importateurs au monde de produits de la mer @Frédérique Hermine

Depuis 1960, la consommation mondiale en produits de la mer (pêche et aquaculture) a augmenté plus rapidement que la population. Elle a doublé au cours des cinquante dernières années, passant de 9 kg/ hab/an en 1961 à 20,5 kg/hab/an aujourd’hui. L’Asie et l’Océanie étant les plus grands consommateurs de poissons, crustacés et mollusques.

Pour 3,3 milliards de personnes, les produits aquatiques constituent 20% de leur apport en protéines animales.

L’Europe est le plus important acheteur en produits de la mer au monde (en valeur). Si l’on considère les dépenses par habitant, l’Europe est classée 8e avec 106 €/hab/an.

La production européenne s’élève environ à 5,3 millions de tonnes (pêche et aquaculture). Mais la demande est supérieure à l’offre. Les Européens sont donc les plus gros importateurs au monde de produits de la mer avec 9,4 millions de tonnes importées en 2018 en provenance de 150 pays.

La France est l’un des principaux consommateurs de produits de la mer en Europe. Au 4e rang après le Portugal, l’Espagne et Malte avec 33,7 kg/an/habitant.

Encore plus de données ? C’est au bout de ce lien.