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Quand la solidarité avec les Ukrainiens passe par le cirque

Par Nathania Cahen, le 16 mars 2023

Journaliste

« On a immédiatement imaginé prendre en charge des entraînements sous nos chapiteaux. Mais il fallait trouver des hébergeurs ! Nous avons donc lancé un appel via notre newsletter » @CIAM

À Aix-en-Provence, le Centre international des arts en mouvement a permis à quatre circassiens ukrainiens de poursuivre leur activité et de trouver un famille d’accueil, pour eux et leurs proches. Parce que c’était « normal ».

 

Au CIAM, le Centre international des arts en mouvement, le début de la guerre en Ukraine a sidéré tout le monde, comme partout. Mais très vite, la possibilité d’agir et d’aider a surgi. Une maman d’élève amie avec un artiste de l’école de cirque de Kiev a fait remonter l’info : la structure avait fermé ses portes, les artistes cherchaient des accueils à l’étranger pour pouvoir continuer à s’entraîner. La solidarité a dès lors joué dans le monde entier et jusqu’en Australie avec, entre autres, l’implication du réseau Territoires de cirque. Des chaînes de la solidarité ont éclos sur WathsApp et Telegram. Permettant ainsi de guider les Ukrainiens dans leur fuite en leur indiquant les routes et points de passage à emprunter.

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Le CIAM a proposé ses chapiteaux pour les entraînements © LudovicBeyan

Chloé Béron, la directrice du CIAM, se souvient : « On a immédiatement imaginé prendre en charge des entraînements sous nos chapiteaux. Mais il fallait trouver des hébergeurs ! Nous avons donc lancé un appel via notre newsletter ». Façon boomerang, pas loin de 30 réponses sont tombées. Puis le temps de la réflexion et la mesure de l’engagement aidant, il en est resté une poignée.

 

« Il a fallu réécrire leurs numéros dans des versions moins classiques »

« Et un beau jour de mars 2022, on nous a prévenus que trois familles débarqueraient à la gare le lendemain », raconte-t-elle encore. « Comme dans un film, dans le froid et la nuit, ils ont surgi du bout du quai. La première chose qui m’a frappée est qu’ils n’avaient quasiment rien, juste un petit bagage à la main. Pourtant, tous arboraient un grand sourire ». Il y a là un duo d’experts de la sangle aérienne : Volodymyr et Alina*, avec leur fils Nikita et leur chien (« du coup il a fallu revoir la répartition pour trouver une famille sans allergie »). Oksana*, qui pratique le tissu aérien, avec sa mère. Puis, quelques jours plus tard, une jeune acrobate, Anastasia, avec sa mère Svetlana et sa petite sœur, Vasilisa. En tout huit personnes sont arrivées.

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Svetlana, Vasilisa et Anastasia @DR

Les familles qui les accueillent vont se montrer pleines de ressources et de bienveillance. La solidarité jouera à tous les niveaux : accompagner les réfugiés dans les démarches pour les papiers, les aides, les inscriptions dans les établissements scolaires ou aux cours de français, mais aussi trouver des vêtements. « Les artistes avaient tout juste leurs agrès de cirque dans leurs bagages. Il a fallu leur trouver des tenues adaptées et les accessoires manquants. Réécrire leurs numéros dans des versions plus contemporaines, moins classiques. Reprendre les entraînements, les réathlétiser, leur trouver des médecins, des kinés. Nous avons géré cela, le côté artistique et sportif, explique Chloé Béron. Nous avons tous vécu un moment très fort quand ils nous ont montré des vidéos où ils évoluaient à Kiev ».

 

♦ (re)lire : Ils ont hébergé deux jeunes migrants mineurs

 

« On s’est dit qu’on pouvait aider »

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Martin Clouzeau et la petite Vasilisa @DR

Dans le village voisin d’Éguilles, Gudrun et Martin Clouzeau ont ainsi accueilli dans le studio attenant à leur maison Svetlana et ses deux filles. Martin est vétérinaire. Son épouse Gudrun, artiste-peintre norvégienne, vit en France depuis 29 ans. Avant, elle enseignait dans son pays. Leurs trois grands enfants ont quitté la maison.

« Alors, quand la guerre a éclaté, on s’est dit qu’on pouvait aider et qu’on voulait héberger quelqu’un. On a entendu parler de la liste du CIAM et on s’en est rapprochés ». Voilà comment après un voyage de cinq jours, une petite famille russophone de Kiev, ne parlant pas un mot de français et très peu d’anglais, est arrivée. « Elles avaient juste quelques affaires dans des sacs plastiques. La petite avait reçu des vêtements et des jouets en Pologne », se souviennent les Clouzeau.

 

Bus, démarches administratives, soins, vêtements…

En toute logique, Gudrun s’est beaucoup impliquée, « dans ce qui peut leur faciliter la vie ». Prendre le bus avec elles pour montrer le mode d’emploi et le trajet, guider dans les démarches administratives, les inscriptions à l’école ou à Pôle Emploi, les dossiers pour percevoir des aides (lire bonus), les médecins et dentistes pour les soins, la Croix-Rouge d’Éguilles pour trouver des vêtements…

Elle parle avec tendresse de la petite Vasilisa qui « a adoré la maternelle à son arrivée. Elle y allait avec d’autant plus de joie qu’il y avait un autre petit Ukrainien. Mais le CP, c’est plus dur… Je fais le lien avec les enseignants ».

Cela fait maintenant un peu plus d’an que le trio de femmes venues de l’est vit dans le studio, à quelques pas de chez eux. « Nous sommes indépendants les uns des autres, prenons parfois un repas ensemble. Il n’y a rien d’exubérant, mais beaucoup de bienveillance dans notre relation. Le jour de mon anniversaire, j’ai eu la surprise de recevoir un petit cadeau, cela m’a beaucoup touchée ». Et les chats ont désormais double ration d’attentions…

 

« Nous voulons retourner en Ukraine après »

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Anastasia, acrobate professionnelle à l’entraînement@DR

De son côté, Svetlana, confie que « le plus difficile est la séparation avec mon mari et mon fils, toujours en Ukraine. Ensuite c’est d’être dans un pays étranger sans en connaître la langue ». Fort heureusement, les applis des téléphones mobiles facilitent la conversation via des traductions instantanées – parfois cocasses (j’ai communiqué avec elle via des traductions postées sur WhatsApp – NDLR). Contre toute attente, celle qui était comptable dans une université de Kiev trouve que le temps passe vite « avec les accompagnements de Vasilisa à l’école et ses activités, mais aussi beaucoup de déplacements en bus ». Elle ne perd pas espoir de voir cette guerre prendre fin, « on ne sait pas combien de temps ça durera, alors on essaie d’apprendre la langue. Mais nous voulons vraiment retourner en Ukraine après. » Surtout, elle reconnaît sa chance d’être tombée sur une famille dévouée, « qui nous aide de bien des manières ».

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L’ancien trio ukrainien d’Anastasia @DR

Quant à Anastasia, la jeune acrobate, elle a obtenu à l’été 2022 son diplôme de l’école de cirque de Kiev (Kyiv Municipal Academy of Circus and Performing Arts) et prend des cours de français avec Pôle Emploi. Et même si son trio d’origine est aujourd’hui éclaté, elle entend bien gagner sa vie comme acrobate. Sa petite sœur a commencé les cours d’arts du cirque au CIAM. « Les autres enfants sont très attentionnés, a remarqué Chloé Béron. Ils l’accompagnent ». ♦

*le couple Alina et Volodymyr est aujourd’hui à Paris, dans une structure plus adaptée à leur spécialité. Oksana qui a perdu son mari sur le front de Donietsk fait une pause, ses parents l’ont rejoint.

 

♦ Le République, restaurant pour tous, parraine la rubrique SOLIDARITÉ et vous offre la lecture de cet article ♦

 

Bonus

[pour les abonnés] – Le CIAM – Une aide financière pour les familles accueillant des réfugiés ukrainiens – Les droits de ces réfugiés – L’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) – La plateforme aixoise Entraidons-nous –

  • Le CIAM. Déployé depuis 2013 en bordure d’Aix-en-Provence, le Centre International des Arts en Mouvement est un lieu de vie ouvert qui a pour vocation d’explorer la recréation de liens entre culture et société. Prenant appui sur les arts du cirque, discipline artistique à la fois populaire et exigeante, ses projets s’organisent autour de 4 axes majeurs : l’enseignement, l’innovation-recherche, l’accompagnement et la diffusion de spectacles.

Aujourd’hui, le Centre International des Arts en Mouvement affiche 18 000 bénéficiaires chaque année. Des profils hétéroclites passent dans ses chapiteaux. Jeunes de la Protection Judiciaire de la Jeunesse venus en ateliers de pratique circassienne. La Vice-Présidente d’Ubisoft jury du hackathon CIAMLabs sur le cirque augmenté. Chercheurs du CNRS expérimentant avec des artistes les liens entre sciences humaines et arts du cirque. Enfants en situation d’autisme accueillis pour un programme pluriannuel de découverte. Demandeurs d’emploi et chefs d’entreprises pour un atelier de recrutement basé sur le savoir-être. Quelque 1500 enfants et adolescents participant aux différents projets d’enseignement artistique et culturel chaque année.

Le tout en parallèle des 450 élèves de l’école de pratique amateur des arts du cirque.

 

♦ Lire aussi : La cuisine pour changer le regard sur les réfugiés

 

  • Une aide financière pour les familles accueillant des réfugiés ukrainiens. Depuis le début du conflit le 24 février 2022, environ 100 000 Ukrainiens ont trouvé refuge en France, d’après l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Afin d’apporter un soutien aux familles qui hébergent de manière volontaire des réfugiés ukrainiens, la Première ministre a annoncé début octobre l’octroi d’une aide. Elle concerne toutes les familles qui ont hébergé un ou plusieurs réfugiés à titre gratuit, pour une durée égale ou supérieure à 90 jours, entre le 1er avril et le 31 décembre 2022. Le montant de l’aide versée a finalement été fixé à 450 euros pour les 90 premiers jours d’hébergement. Au-delà de cette période, la famille qui héberge peut bénéficier de 5 € par jour (soit 150 euros pour 30 jours supplémentaires par exemple). Des précisions sur cette page dédiée.

 

  • Ukrainiens réfugiés en France : leurs droits. Depuis le début du conflit, plus de 5 millions d’Ukrainiens ont fui leur pays en guerre vers les pays européens. Les réfugiés ukrainiens bénéficient du dispositif exceptionnel de protection temporaire dans toute l’Union européenne autorisé par la décision du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022. Voici la liste des sources d’information officielles destinées à accompagner les réfugiés ukrainiens en France.

 

♦ Lire l’article : Julie a accueilli un enfant privé de vacances pendant l’été

 

  • L’allocation pour demandeurs d’asile (ADA). La délivrance de l’APS (autorisation provisoire de séjour) permet de bénéficier d’une aide financière, dont le montant sera calculé en fonction de votre composition familiale. Elle prend la forme d’une carte ADA qui vous permettra d’effectuer des paiements par carte (il ne s’agit pas d’une carte de retrait). Un rendez-vous auprès de l’Office français de l’immigration est donné par la préfecture afin de la retirer.

Le montant de l’ADA est calculé de la manière suivante : 6,80 euros par jour pour 1 personne + 3,40 euros, par jour, par personne supplémentaire. Une majoration de 7,40 euros est prévue par adulte (les enfants ne bénéficient pas de la majoration) en absence d’hébergement. Pour une personne isolée non hébergée elle est de 14,20 euros par jour.

 

  • La plate-forme Entraidons-nous. À Aix, elle propose de mettre en relation les victimes de la guerre en Ukraine et les Aixois pour créer un réseau de solidarité sur l’ensemble de la ville. Très simple, elle se divise en deux catégories : « je propose de l’aide » ou « j’ai besoin d’aide ».