À Aix-en-Provence, le Centre international des arts en mouvement a permis à quatre circassiens ukrainiens de poursuivre leur activité et de trouver un famille d’accueil, pour eux et leurs proches. Parce que c’était « normal ».
Au CIAM, le Centre international des arts en mouvement, le début de la guerre en Ukraine a sidéré tout le monde, comme partout. Mais très vite, la possibilité d’agir et d’aider a surgi. Une maman d’élève amie avec un artiste de l’école de cirque de Kiev a fait remonter l’info : la structure avait fermé ses portes, les artistes cherchaient des accueils à l’étranger pour pouvoir continuer à s’entraîner. La solidarité a dès lors joué dans le monde entier et jusqu’en Australie avec, entre autres, l’implication du réseau Territoires de cirque. Des chaînes de la solidarité ont éclos sur WathsApp et Telegram. Permettant ainsi de guider les Ukrainiens dans leur fuite en leur indiquant les routes et points de passage à emprunter.
Chloé Béron, la directrice du CIAM, se souvient : « On a immédiatement imaginé prendre en charge des entraînements sous nos chapiteaux. Mais il fallait trouver des hébergeurs ! Nous avons donc lancé un appel via notre newsletter ». Façon boomerang, pas loin de 30 réponses sont tombées. Puis le temps de la réflexion et la mesure de l’engagement aidant, il en est resté une poignée.
« Il a fallu réécrire leurs numéros dans des versions moins classiques »
« Et un beau jour de mars 2022, on nous a prévenus que trois familles débarqueraient à la gare le lendemain », raconte-t-elle encore. « Comme dans un film, dans le froid et la nuit, ils ont surgi du bout du quai. La première chose qui m’a frappée est qu’ils n’avaient quasiment rien, juste un petit bagage à la main. Pourtant, tous arboraient un grand sourire ». Il y a là un duo d’experts de la sangle aérienne : Volodymyr et Alina*, avec leur fils Nikita et leur chien (« du coup il a fallu revoir la répartition pour trouver une famille sans allergie »). Oksana*, qui pratique le tissu aérien, avec sa mère. Puis, quelques jours plus tard, une jeune acrobate, Anastasia, avec sa mère Svetlana et sa petite sœur, Vasilisa. En tout huit personnes sont arrivées.
Les familles qui les accueillent vont se montrer pleines de ressources et de bienveillance. La solidarité jouera à tous les niveaux : accompagner les réfugiés dans les démarches pour les papiers, les aides, les inscriptions dans les établissements scolaires ou aux cours de français, mais aussi trouver des vêtements. « Les artistes avaient tout juste leurs agrès de cirque dans leurs bagages. Il a fallu leur trouver des tenues adaptées et les accessoires manquants. Réécrire leurs numéros dans des versions plus contemporaines, moins classiques. Reprendre les entraînements, les réathlétiser, leur trouver des médecins, des kinés. Nous avons géré cela, le côté artistique et sportif, explique Chloé Béron. Nous avons tous vécu un moment très fort quand ils nous ont montré des vidéos où ils évoluaient à Kiev ».
♦ (re)lire : Ils ont hébergé deux jeunes migrants mineurs
« On s’est dit qu’on pouvait aider »
Dans le village voisin d’Éguilles, Gudrun et Martin Clouzeau ont ainsi accueilli dans le studio attenant à leur maison Svetlana et ses deux filles. Martin est vétérinaire. Son épouse Gudrun, artiste-peintre norvégienne, vit en France depuis 29 ans. Avant, elle enseignait dans son pays. Leurs trois grands enfants ont quitté la maison.
« Alors, quand la guerre a éclaté, on s’est dit qu’on pouvait aider et qu’on voulait héberger quelqu’un. On a entendu parler de la liste du CIAM et on s’en est rapprochés ». Voilà comment après un voyage de cinq jours, une petite famille russophone de Kiev, ne parlant pas un mot de français et très peu d’anglais, est arrivée. « Elles avaient juste quelques affaires dans des sacs plastiques. La petite avait reçu des vêtements et des jouets en Pologne », se souviennent les Clouzeau.
Bus, démarches administratives, soins, vêtements…
En toute logique, Gudrun s’est beaucoup impliquée, « dans ce qui peut leur faciliter la vie ». Prendre le bus avec elles pour montrer le mode d’emploi et le trajet, guider dans les démarches administratives, les inscriptions à l’école ou à Pôle Emploi, les dossiers pour percevoir des aides (lire bonus), les médecins et dentistes pour les soins, la Croix-Rouge d’Éguilles pour trouver des vêtements…
Elle parle avec tendresse de la petite Vasilisa qui « a adoré la maternelle à son arrivée. Elle y allait avec d’autant plus de joie qu’il y avait un autre petit Ukrainien. Mais le CP, c’est plus dur… Je fais le lien avec les enseignants ».
Cela fait maintenant un peu plus d’an que le trio de femmes venues de l’est vit dans le studio, à quelques pas de chez eux. « Nous sommes indépendants les uns des autres, prenons parfois un repas ensemble. Il n’y a rien d’exubérant, mais beaucoup de bienveillance dans notre relation. Le jour de mon anniversaire, j’ai eu la surprise de recevoir un petit cadeau, cela m’a beaucoup touchée ». Et les chats ont désormais double ration d’attentions…
« Nous voulons retourner en Ukraine après »
De son côté, Svetlana, confie que « le plus difficile est la séparation avec mon mari et mon fils, toujours en Ukraine. Ensuite c’est d’être dans un pays étranger sans en connaître la langue ». Fort heureusement, les applis des téléphones mobiles facilitent la conversation via des traductions instantanées – parfois cocasses (j’ai communiqué avec elle via des traductions postées sur WhatsApp – NDLR). Contre toute attente, celle qui était comptable dans une université de Kiev trouve que le temps passe vite « avec les accompagnements de Vasilisa à l’école et ses activités, mais aussi beaucoup de déplacements en bus ». Elle ne perd pas espoir de voir cette guerre prendre fin, « on ne sait pas combien de temps ça durera, alors on essaie d’apprendre la langue. Mais nous voulons vraiment retourner en Ukraine après. » Surtout, elle reconnaît sa chance d’être tombée sur une famille dévouée, « qui nous aide de bien des manières ».
Quant à Anastasia, la jeune acrobate, elle a obtenu à l’été 2022 son diplôme de l’école de cirque de Kiev (Kyiv Municipal Academy of Circus and Performing Arts) et prend des cours de français avec Pôle Emploi. Et même si son trio d’origine est aujourd’hui éclaté, elle entend bien gagner sa vie comme acrobate. Sa petite sœur a commencé les cours d’arts du cirque au CIAM. « Les autres enfants sont très attentionnés, a remarqué Chloé Béron. Ils l’accompagnent ». ♦
*le couple Alina et Volodymyr est aujourd’hui à Paris, dans une structure plus adaptée à leur spécialité. Oksana qui a perdu son mari sur le front de Donietsk fait une pause, ses parents l’ont rejoint.
♦ Le République, restaurant pour tous, parraine la rubrique SOLIDARITÉ et vous offre la lecture de cet article ♦
Bonus
[pour les abonnés] – Le CIAM – Une aide financière pour les familles accueillant des réfugiés ukrainiens – Les droits de ces réfugiés – L’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) – La plateforme aixoise Entraidons-nous –