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Quand les animaux soignent

Par Antoine Dreyfus, le 1 octobre 2020

Journaliste

Près de Tourves, dans la Sainte-Baume, Maïka Chenel pratique la zoothérapie et la médiation animale dans une ferme naturaliste. Elle ne guérit pas, mais elle débloque des situations, en utilisant l’animal comme médiateur. En ces temps de crise sanitaire, les familles sont nombreuses à venir se ressourcer auprès de chevaux, poneys, chèvres ou poules, guidées par Maïka.

Quand les animaux soignent 1
Maïka Chenel

« Vous avez votre masque ? Oui ? C’est bien ! » Dès l’entrée dans sa ferme, près de Tourves, Maïka pose les règles et cadre. « Je vous mets du gel, ne vous inquiétez pas. Mais comme j’accueille du public et que nous avons l’habitude des virus et des bactéries dans les fermes, avec les animaux, il vaut mieux un excès de précaution, que pas de précaution du tout. » Maïka Chenel nous accueille dans sa « ferme naturaliste » comme elle l’appelle. Une maisonnette, près de Tourves (Var), posée dans un paysage de vignes, qui a des allures d’un logis des contes de Perrault. Des poules, des lapins, deux chihuahuas (l’une affectueuse, l’autre, un mâle, plus distant), des chèvres, des poneys, des ânes, des chevaux… Plus de soixante animaux. Et des recoins pour se reposer à l’ombre et des bois pour gambader avec les chèvres pour un parcours santé.

Maïka a plus d’une casquette : agricultrice, éleveuse comportementaliste et zootechnicienne. C’est en travaillant avec des animaux qu’elle a trouvé sa vocation. « Parce que ça me fait du bien, dit-elle. Donc, si à moi, atteinte d’autisme, ça me fait du bien, pourquoi ça n’en ferait pas aux autres ? »

Une fois les mains aseptisées, une fois le panaché bu pour étancher sa soif, Maïka nous raconte son parcours, sa vie, et ce qu’elle fait ici. Maïka est bavarde. Je la laisse dérouler le fil de sa vie, et j’attrape des bouts de récit. Ce qu’elle pratique dans cette ferme n’est pas conventionnel, ne fait pas l’objet d’aucune recherche de la part d’équipes scientifiques, mais il se dégage des pistes qui méritent un approfondissement. Atteinte d’une forme d’autisme, elle s’est en effet aperçue que les animaux lui faisaient du bien. Elle s’est alors formée au Canada, pays en pointe dans ce domaine, puis s’est installée ici, dans le parc de la Sainte-Baume, pour proposer cette technique. « Je ne gagne pas beaucoup d’argent, mais je suis heureuse avec mes animaux. Et je suis heureuse de voir que ça peut avoir un effet sur des personnes handicapées ou malades. »

 

La zoothérapie ne guérit pas

Quand les animaux soignent 2La zoothérapie, c’est quoi ? Une technique pour aider des gens en souffrance physique, psychique, émotionnelle ou sociale, dans laquelle l’animal va servir de médiateur, car en France on parle davantage de médiation par l’animal que de zoothérapie. Attention toutefois, ni la zoothérapie ni la médiation par l’animal ne guérissent. Cela n’est pas de la médecine. L’animal n’est pas un médicament ou un thérapeute. C’est un médiateur. Il ne va pas guérir un malade d’Alzheimer, un autiste ou une personne atteinte du syndrome d’Asperger. L’animal va débloquer des situations, en complément de soins médicaux, avec une équipe soignante. En fait, c’est à la fois simple et compliqué, comme aurait dit le Capitaine Haddock. La base de chaque séance de zoothérapie (ou de médiation animale) est une intervention triangulaire entre l’intervenant, l’animal et le patient. Souvent, lorsque les émotions sont bloquées, elles peuvent se manifester en présence d’un animal, car celui-ci ne va pas juger.

Enfants, adultes, personnes âgées et handicapées… le spectre des patients et des visiteurs est très large, de l’autiste au malade d’Alzheimer, en passant par des personnes atteintes de phobie des chiens. « En ce moment, avec la crise du Covid, j’ai beaucoup de familles qui viennent se ressourcer dans cette ferme naturaliste et je leur apprends à déchiffrer les comportements des animaux, explique Maïka. J’ai aussi eu pas mal de familles qui ont perdu un proche à cause du Covid, et qui sont affectivement touchées. Et puis, pas mal de soignants, qui ont besoin de se changer les idées, loin des hôpitaux. »

 

La médiation animale utilisée auprès de détenus

Attention, toutefois, à ne pas confondre la zoothérapie avec un simple bien-être provoqué par la présence animale. On sait qu’un animal fait du bien, qu’en caressant un chat ou un chien, la tension artérielle diminue, la sérotonine -un neurotransmetteur, l’hormone du « bonheur »- augmente, provoquant une sensation apaisante. La zoothérapie est une technique qui a un but bien spécifique. Pour Véronique Servais, chercheuse au Museum d’histoire naturelle de Toulouse, « la médiation animale ce n’est pas utiliser des animaux pour « faire du bien » ­– des peluches ou des robots feront tout aussi bien l’affaire. Cela consiste avant tout à s’appuyer sur des affects de vitalité, sur l’altérité, l’imprévisibilité et les initiatives d’animaux vivants considérés comme de véritables partenaires par leurs accompagnateurs humains. »

La zoothérapie est par exemple utilisée à la maison d’arrêt de Strasbourg depuis plus de dix ans. C’est une intervenante en médiation animale (IMA), une zoothérapeute donc, qui organise l’interaction entre le détenu et l’animal, avec des règles précises à respecter. L’animal devient, pour chaque détenu, un être vivant unique avec lequel il noue un lien singulier, qui permet le retour à une vie sociale avec ses symboles et rituels. Des détenus dits « référents » s’occupent des soins des animaux à demeure (nourriture, nettoyage des cages, etc.) car le bien-être de ces protégés à plumes ou à poils constitue une priorité. Une ménagerie comprenant plusieurs espèces d’animaux (lapin, chinchilla, rats, hamsters…) a été installée. Puis un animal a été attribué par détenu, choisi avec la zoothérapeute en fonction de ses habitudes de vie et de son rythme. Chaque détenu connaît son animal, il s’en occupe durant une heure chaque jour et s’implique jusqu’à leur fabriquer des aménagements supplémentaires. Et cela fonctionne. Les détenus font un travail sur eux-mêmes, se sentent responsabilisés et cela permet une meilleure reconstruction personnelle et une reconversion moins difficile. Près de 500 détenus ont participé à ces ateliers.

 

Une femme mutique se remet à parler

Dans sa pratique, Maïka se targue de quelques belles histoires. « Oh, pas grand-chose », dit-elle mais suffisamment quand même pour donner un sens à sa pratique. Il y a l’histoire de cette femme qui ne parle plus. Physiologiquement, tout fonctionne, selon les médecins et les orthophonistes, mais elle a décidé de se Quand les animaux soignent 3taire. Mutisme. Lors des séances, Maïka remarque que l’un de ses Chihuahuas, du nom de Marie Bella, a les faveurs de cette femme. Elle caresse la chienne longuement. « Cette petite chienne sent intuitivement qui sont les gens qui ont besoin que l’on s’occupe d’eux. J’ai regardé comment cette femme se comportait avec Marie Bella et j’ai vu assez vite qu’elle était empathique. » Et puis lors d’une séance, cette femme qui avait pris l’habitude d’avoir la chienne sur ses genoux ne la trouve pas. Maïka intervient alors et lui dit que si elle veut l’animal, il va falloir l’appeler. C’est là que le petit « miracle » se produit : cette femme finit par prononcer le nom de la chienne. « Chez cette femme, il fallait trouver le déclencheur qui allait la mettre à verbaliser. Tout fonctionnait physiologiquement. Donc c’était dans la tête. L’animal a cette capacité à les faire sortir de leur zone de confort parce qu’ils ne jugent pas. »

Quand les animaux soignent 4Maïka utilise aussi les animaux pour des personnes qui ont du mal à se déplacer ou à se mouvoir. Là, c’est simple. Lorsque le contact est établi entre le lapin, le petit chien et la personne, Maïka lui demande, incidemment, de prendre le chien ou le lapin pour le caresser. Celle-ci se baisse, ne pense pas aux difficultés que cela suppose, et prend l’animal dans ses bras. « Différents petits gestes comme ça, permettent, l’air de rien, de faire des exercices physiques, sans que la personne ait même l’impression d’en faire. »

La zootechnicienne met en garde enfin sur le dernier écueil de la zoothérapie : l’animal n’est pas un jouet. Il mérite notre respect. « L’effet thérapeutique » des animaux ne tient pas à leur simple nature mais il est le résultat d’un dispositif au sein duquel leur autonomie et leur spontanéité sont cruciales – dans les limites de la sécurité, évidemment. Ainsi, Maïka élève des chèvres, en respectant leur cycle et en restant le plus proche possible de leur nature. « Dans les fermes pédagogiques, les chèvres sont utilisées pour produire du lait, donc du fromage. Et elles sont donc artificiellement sollicitées. Or, la chèvre à l’état sauvage ne produit pas de lait toute l’année. »

Respecter l’animal s’avère donc primordial. Les animaux d’une même espèce ont des caractères différents. Et ils ont aussi, comme les humains, des jours avec. Et des jours sans. ♦

 

Bonus
  • Pratique – Le site de la ferme de Maïka, c’est ici. Sa Petite Ferme se trouve au lieu-dit Valjancelle, D64. Tourves (83). Tél. : 06 26 18 61 99

 

  • Dans des établissements de soins – La zoothérapie et la médiation animale sont de plus en plus utilisées dans des maisons de retraite, les Ephad ou certaines institutions médicalisées. C’est le cas ici, avec l’association des Petits frères des pauvres. Les animaux sont aussi utilisés pour des troubles cognitifs, auprès de malades d’Alzheimer. Près de Lille, une halte relais au milieu d’ânes, la Z’Âne Attitude, est ainsi proposée par l’association départementale France Alzheimer et maladies apparentées du Nord. « C’est une halte relais qui se passe donc dans une asinerie, une ferme où il y a plus d’une trentaine d’ânes, explique Christian Kordek, président de l’association nordiste. On y reçoit une fois par mois des couples aidants-aidés. »Après un accueil commun, les personnes malades et les aidants se séparent. « Les personnes malades s’en vont Quand les animaux soignent 5avec les asinothérapeutes pour des activités autour des ânes pendant que les aidants participent à un groupe de parole en compagnie d’un psychologue. » Pour Christian Kordek, cette activité est bénéfique pour tout le monde. « Nous avions par exemple un homme malade emmené par sa fille. Au début, il ne voulait pas bouger. Et puis, quand on lui a dit qu’on allait voir les ânes, il s’est levé comme si il était sur un ressort. »
  • Lectures – Un livre à consulter, « Zoothérapie » par José Sarica, zoothérapeute, scientifique de formation. Et un article à lire, celui d’une chercheuse, Véronique Servais, qui passe en revue les études sur le sujet et rappelle que, scientifiquement, ces pratiques n’ont pas encore été démontrées scientifiquement.