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Se reconstruire grâce à la montagne avec 82-4000 Solidaires

Par Zoé Charef, le 8 février 2023

Journaliste

Convaincu que l’alpinisme doit être accessible à toutes les classes sociales parce qu’il permet de redonner confiance aux plus démunis, Hugues Chardonnet a imaginé l’association 82-4000 Solidaires. Au programme : des stages en montagne pour « partager l’alpinisme avec ceux qui n’ont pas un rond ».

 

« J’avais un rêve de gamin : devenir guide de montagne. Je l’ai réalisé un peu tardivement, et c’est là que l’injustice m’a sauté à la figure », confie Hugues Chardonnet, la soixantaine. Il est de ceux qui tendent la main aux plus démunis. Il a même choisi de les remettre en selle grâce à la montagne. En 2012, avec quelques amis « sensibles de la même façon que moi », Hugues décide de créer une association pour « faire de la montagne avec ceux qui n’y sont pas destinés ». 82-4000 Solidaires, en référence aux 82 sommets des Alpes tutoyant les 4000 mètres d’altitude, est né. « La montagne est une allégorie de ce qui se passe partout autour de nous, et nous devrions faire notre petite part pour aider. »

 

Renouer avec l’alpinisme social 

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Jasmine Moinache et Ali Chakri, ATD Marseille. © 82-4000 Solidaires

Il se rapproche alors de l’association ATD Quart Monde qui agit pour la dignité pour tous. Hugues et son équipe souhaitent guider des personnes en montagne. “Partager notre essentiel”, souligne-t-il. J’ai fait le constat d’une réalité cruelle, que l’alpinisme – surtout professionnel – est un milieu libre, accueillant, relationnel, républicain, cosmique…et particulièrement réservé à un public privilégié. La frange de l’alpinisme social qui a eu une période faste dans les années 50 s’est gravement effilochée. » Comme les opportunités de découvrir l’alpinisme pour les personnes en situation de pauvreté sont très rares, l’association 82-4000 Solidaires s’évertue donc à leur offrir des stages en moyenne et haute montagne.

Christèle, 56 ans, s’est laissée convaincre par les photos qu’on lui a montrées en lui présentant le projet, dans une association d’aide sociale. Elle raconte sa découverte de la montagne en juillet 2019 à Briançon (Hautes-Alpes) : « On a fait de l’escalade, de la via ferrata, on a dormi dans un refuge… C’était merveilleux. Ça nous a sortis de notre quotidien, nous qui ne sommes pas habitués à la neige et la montagne ! »

 

La montagne comme (r)éveil

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© 82-4000 Solidaires

Cherif, lui, a découvert l’association grâce à SOS Accueil, qui l’aide dans ses démarches administratives pour obtenir des papiers. Originaire de Guinée et âgé de 34 ans, il se dit « en mauvaise posture. » Mais complète dans la foulée n’avoir aucune envie d’arrêter d’aller en montagne. « Je voudrais même déménager là-bas ! ». Comme Christèle, il a découvert l’alpinisme avec 82-4000. En juin 2021, son groupe d’une dizaine de personnes en situation de précarité s’est retrouvé sur les hauteurs de Chamonix pour dormir dans un refuge. Une première pour Cherif : « J’avais des étoiles plein les yeux. Je n’avais jamais été si haut et voir cette immensité de l’espace… c’était magnifique. »
En addition à la découverte de nouveaux espaces, Cherif retient de cette expérience un « réveil. » « Ça m’a aidé dans la vie de tous les jours : faire des activités, se réveiller pour vivre des choses, dynamiser son corps… »

Hugues se dit fier d’avoir pu « faire de la montagne » avec quelque 1300 bénéficiaires, lors de stages réalisés avec 60 structures sociales différentes et une centaine de guides de montagne. « Une fois qu’on a fait comprendre qu’aller en montagne aide les personnes dans leur vie quotidienne et contribue aux missions des structures sociales, alors l’association a décollé », se souvient Hugues. Et si certains jeunes guides ont « de suite compris qu’il fallait intégrer l’aspect solidaire à leur travail », d’autres ont découvert cela une fois à la retraite. « Mais avec un enthousiasme énorme, se réjouit-il. L’apport tiré de ces stages est mutuel ! »

 

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« Le loisir, ce n’est pas que pour les personnes aisées »

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© 82-4000 Solidaires

Les stagiaires sont des jeunes en grande précarité, des chômeurs de longue durée, des migrants exilés ou encore des personnes sans domicile fixe. Hugues souligne leur approche délicate et pleine d’appréhension à la montagne : « On oublie souvent qu’aux yeux du grand public, la montagne est catastrophique, fait peur. Quand on leur présente nos stages, ils nous disent qu’ils ne se sentent pas concernés et ne veulent pas mourir. Il faut passer par l’aspect émerveillement et leur montrer des personnes qui leur ressemblent aller en montagne. » Ainsi, petit à petit, tous apprennent à se connaître et cela les amène à rêver. « ce qui est assez rare chez ces personnes », souligne Hugues.

Christèle le dit clairement : « les loisirs, ce n’est pas que pour les personnes aisées ! ». Elle souligne qu’ils ne sont pas « juste accessoires », mais peuvent donner une énergie et un autre regard aux personnes dans le besoin. « On est considérés et dignes quand on est à la montagne, on se fait des amis, on sociabilise. Ça fait du bien de laisser tous nos soucis derrière un instant et de vivre une vie normale. »

 

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Redéfinir les codes 

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© 82-4000 Solidaires

Aujourd’hui, Hugues parle de la « saveur inouïe » qu’a son engagement. « Partager cela avec des personnes non invitées, leur faire découvrir le contact avec le rocher et la haute montagne est un réel plaisir. On a estimé qu’il leur fallait d’abord passer du temps à adopter le silence, la beauté de l’environnement, s’imprégner de cette ambiance si particulière. » L’occasion également de créer une mixité sociale entre les bénévoles, les guides et les invités.

Mais au départ, le guide n’était pas aussi confiant en son idée. Hugues Chardonnet, « un gamin de banlieue avec un diplôme de guide », concède avoir eu « un petit complexe envers les gens de la montagne. » Il doutait de la recevabilité et légitimité d’un tel projet dans un tel milieu. De fortes rencontres avec des acteurs du milieu (comme Michel Canac, skieur professionnel, et Paul Petzl, fondateur d’une entreprise de matériel de montagne) l’ont motivé pour continuer. Ce besoin de solidarité, nécessaire dans le monde de la montagne, devait être rendu utile aux personnes extérieures.

Et c’est grâce à cette solidarité que Christèle s’est rendu compte qu’elle était capable… « J’ai dû surmonter mes peurs ! Pendant une ascension en escalade, j’ai eu un grand vertige. L’aide du groupe et le guide qui m’a fait reprendre le contrôle m’ont permis de parvenir au sommet. On peut trouver une force et une énergie pour aller au bout des choses. » Depuis, cette mentalité ne l’a pas lâchée. « Pendant les épreuves du quotidien, je repense à la montagne et je me dis que j’ai réussi à surmonter tout ça alors que ce n’était pas évident. Et j’ai un autre regard sur la beauté au quotidien. Toute cette beauté participe à me reconstruire aussi », avoue-t-elle, émue.

 

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« Convaincre la société française que les pauvres ne sont pas des fainéants »

 

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© 82-4000 Solidaires

Aujourd’hui, l’association a des antennes dans toutes les Alpes et regroupe 80 guides bénévoles. Pour Hugues, c’est la démonstration qu’une générosité montagnarde existait, mais n’était pas sollicitée. Cependant, il note un esprit de méfiance encore présent : « Il y a beaucoup de freins, y compris chez les guides et alpinistes. Cette contamination du milieu montagnard par d’autres classes sociales n’est pas finie et va prendre beaucoup de temps. C’est l’une de nos plus grosses difficultés, comme de convaincre la société française que les pauvres ne sont pas des fainéants. »

Si l’association n’a pas la prétention de résoudre le problème d’accès à la montagne aux vacances ou à la disparition de la pauvreté, elle a pour objectif de montrer que la solidarité y est possible. Christèle conclut : « On avance tranquillement et tous ensemble lors des stages, alors que dans la vie de tous les jours, il faut constamment courir. » ♦

 

Bonus
  • Se reconstruire grâce à la montagne avec 82-4000 Solidaires82-4000 Solidaires, lauréate de La France s’engage en 2023. L’association va donc être aidée financièrement sur trois ans. “Une aide technique, humaine et de compétence”, explique Hugues Chardonnet. “On va repérer nos insuffisances, nos besoins, et nous serons accompagnés.” Un gros coup de pouce, un changement systémique qui fera passer l’association d’un artisanat local à national, selon les mots du fondateur. “Un projet qui est applicable dans toutes les montagnes françaises et même au-delà, car c’est dans les grandes villes qu’il faut faire naître des envies de montagne.”

 

  •  La Rencontre de la montagne partagée à La Grave (Hautes-Alpes). Chaque année, en septembre, l’association co-organise cet événement. L’occasion de “tisser des liens avec des personnes éloignées culturellement ou socialement du milieu montagnard.”

 

  • Lecture. Hugues Chardonnet a publié un livre « Les sommets sont à tous » en 2022. Pour regarder dans le rétro et montrer que son intuition était bonne : dans les montagnes existe un chemin vers la dignité humaine. Ed Glénat, 19,95 euros.