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Des réfugiés cuisinent leurs spécialités dans les collèges

Par Marie Le Marois, le 29 mars 2023

Journaliste

Atelier de cuisine au Collège des Chartreux à Marseille @Refugee Food*

Utiliser le pouvoir universel de la cuisine pour faire évoluer le regard des jeunes générations sur les personnes réfugiées. C’est l’essence du programme Refugee Food Education, proposé aux collégiens depuis 2022. Fort de son succès, ce projet né à Marseille sera dupliqué à la rentrée scolaire en zones rurales et dans d’autres villes françaises, à commencer par Paris.

 

Jusqu’à présent, Saber n’avait jamais vu de réfugiés. Les seules fois, c’était sur son téléphone via les réseaux sociaux. Des vidéos sur lesquelles ce collégien des Chartreux, à Marseille, a aperçu « des migrants se faire maltraiter ». Ou des bateaux à la dérive. Des gens parqués dans des camps, jusqu’à des corps noyés entre deux eaux. Abreuvés par les photos et news à sensation, les jeunes portent en général « un regard assez pessimiste et fataliste sur les réfugiés », observe Iris Liberty, responsable de l’antenne marseillaise de Refugee Food* dont l’objectif est notamment de sensibiliser à la situation des réfugiés (bonus).

Le programme Refugee Food Education, dernier projet en date, se déroule dans les classes de 4e. Pour faire évoluer l’image des exilés auprès des jeunes. Substituer à la peur et l’ignorance, le plaisir de la rencontre et de l’échange.

 

♦ Le chiffre symbolique de 100 millions de personnes déplacées ou réfugiées à travers le monde a été dépassé en 2022, la plupart vivant à proximité du pays qu’ils ont fui – source UNHCR.

 

Rencontrer de ‘’vrais’’ réfugiés

Sadia Hessabi
Préparation de la crème à la cardamome et aux pralines de Lyon avec Sadia Hessabi d’origine Afghane

Le programme se décline en cinq modules. Le premier, la projection en novembre de Carnets de solidarité de Julia Montfort, retraçait le parcours d’un jeune Tchadien hébergé pendant plusieurs mois par la réalisatrice. La projection, suivie d’un échange entre Julia Montfort et les élèves, a introduit les enjeux du phénomène migratoire et de l’hospitalité. Le deuxième fut un repas à la cantine préparé par Rita El Lafee, réfugiée libanaise, avec le chef cuisinier de l’école. 

Le troisième rassemblait les témoignages de cinq cuisiniers réfugiés qui ont notamment évoqué les routes empruntées et les lieux parcourus dans leur fuite. Des notions familières aux collégiens. Ils étudient en effet en classe de 4ème les mobilités humaines transnationales, avec un chapitre consacré aux migrations qui questionne les notions de flux, de circulation et de frontières.

Sadia Hessabi a vraiment marqué Saber. Au même âge que lui, la quadra avait tout perdu. Sa maison, ses parents, ses livres, ses amies. À 14 ans, elle a fui les talibans pour terminer son exode à Lyon. Naturalisée à 20 ans, elle a intégré la psychiatrie avant de se reconvertir comme traiteur vingt ans plus tard. Le nom ? KabouLyon. Une issue heureuse qui montre aux élèves que, oui, l’intégration peut être réussie. Mais aussi qu’« on ne quitte pas son pays par plaisir », rappelle cette maman de deux enfants, à la fin de son atelier de cuisine : crème parfumée à la cardamome et parsemée de pralines roses.

 

 

Faire découvrir un patrimoine culinaire

galettes à la farine de tapioca
Préparation des galettes de Fravo à la farine de tapioca @Refugee Food

Les ateliers de cuisine sont le quatrième module. Durant deux jours, les cuisiniers réfugiés, aidés de bénévoles de l’association, transmettent leurs traditions culinaires aux élèves, chacun dans une salle du collège. Jus de bissap et de gingembre pour Oumar le Tchadien, falafels pour Rana la Libanaise, galettes à la farine de tapioca colorées au jus de betterave et de carotte pour Fravo le Brésilien, boules à la pomme et la cannelle pour Gulluzar la Turque.

De son côté, Samar la Syrienne a présenté ses atayefs, mini crêpes contenant crème de lait et pistaches d’Alep que les jeunes ont mondées et concassées. Ce plat évoque à Baghir, participante de l’atelier, les crêpes ‘’1000 trous’’ du Maroc. La ressemblance, qui la ravit, lui permet de parler du pays de ses grands-parents. Ces ateliers de cuisine sont un voyage d’un pays à l’autre, mobilisant pleinement les collégiens. 

 

Éduquer au  »bien manger »

techniques de cuisine
Les jeunes apprennent les techniques de cuisine @Refugee Food

Les élèves appliquent les gestes techniques, suivent la recette et apprennent l’importance du choix des ingrédients : apports nutritifs, saisonnalité, provenance des produits. En mettant la main à la pâte, ils découvrent un riche patrimoine culinaire venu d’ailleurs. Mais aussi d’autres manières de se nourrir, plus végétales, saines et équilibrées. 

L’objectif sous-jacent de l’association est en effet de lutter contre la malbouffe et l’uniformisation des goûts. D’œuvrer pour une alimentation savoureuse, juste et durable pour tous.

La cheffe syrienne démontre, par exemple, qu’on peut préparer un plat sucré, mais « du sucré équilibré et pas de gras, contrairement à ce qu’on pourrait croire des pâtisseries orientales.

 

 

Contribuer à changer le regard sur l’étranger 

@Refugee Food
@Refugee Food

Les 4èmes des Chartreux sont devenus incollables sur la géographie et la notion de réfugié. « C’est une personne qui a fui son pays pour survivre », explique Saber. « Quelqu’un qui se protège de quelque chose qui l’a traumatisé et qui a besoin d’aide », renchérit Shaker. Et Shayma d’ajouter : « Quelqu’un qui veut avoir une meilleure vie ».

Cet exil fait écho à l’histoire familiale de Zellie. Sa « mamie pied-noir » a été obligée de quitter dans l’heure l’Algérie, en 1962, juste avec une petite valise, sa fille et sa mère. « Son mari et son fils n’ont pas pu partir avec elle », confie la jeune fille, tout en dégustant les Atayel’s de Samar.

 

♦ Le statut de réfugié, reconnu par l’Ofpra, s’applique à ‘’toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques’’.

Donner le pouvoir d’agir 

Refugee Food Ateliers
Les élèves dégustent les plats à la fin de l’atelier, un délice qu’ils partagent avec plaisir @Refugee Food

Après le pilote en 2022, l’association a réalisé une étude d’impact auprès des collégiens. Il en ressort une vision plus optimiste des réfugiés et l’envie d’agir. En effet, explique la co-organisatrice du programme, les jeunes Français comprennent que, plutôt que de subir la situation, ils peuvent aider les réfugiés via l’engagement associatif. Comme devenir bénévole pour Refugee Food*, héberger temporairement des réfugiés – avec l’association Singa par exemple. Ou tout simplement échanger avec les mineurs non accompagnés (MNA) scolarisés aux Chartreux dans une classe dédiée (UPE2A). Saber, le jeune de 4ème, n’avait pas fait le rapprochement entre ces jeunes étrangers et le mot réfugié. Maintenant qu’il y pense oui, il les voit dans la cour de récré mais ne leur parle pas.

Iris Liberty espère que l’intervention de l’association « va engendrer une curiosité à leur encontre ou en tout cas, plus de cohésion ». Cette convaincue de la richesse de la diversité et des échanges interculturels pour notre société ambitionne de dupliquer le programme en 2024 dans quatre autres établissements marseillais. Mais aussi ailleurs, en zone rurale « où les jeunes sont peu confrontés à la mixité », ainsi qu’à Paris. Le dernier module du programme est l’atelier philo. Le thème ? Explorer la question de l’hospitalité.♦

*La Criée, Théâtre national de Marseille, parraine la rubrique éducation et vous offre la lecture de cet article*
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Bonus

[pour les abonnés] L’histoire du Refugee Food – La genèse du volet éducation –

  • Le Refugee Food*, né en 2016, a pour objectif de sensibiliser à la situation des réfugiés, d’accélérer leur insertion professionnelle dans la restauration. Et d’œuvrer pour une alimentation savoureuse, juste et durable pour tous. Le projet, global, rassemble un restaurant d’insertion et un service traiteur à Paris, des formations professionnelles, un festival culinaire dans les restaurants. Ainsi que des ateliers de cuisine et un programme d’aide alimentaire né pendant la crise du COVID. L’association Festin porte l’antenne marseillaise.
♦ Relire : Le Foodcub, exhausteur de talents

 

  • Historique de Refugee Food Education. L’idée d’un programme de sensibilisation dans les collèges est née il y a cinq ans. Il découle d’un partenariat entre l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, le département du Calvados, Bayeux et Refugee Food*. Cette première ébauche a porté ses fruits. Un pilote a été réalisé en décembre 2021 dans deux collèges marseillais avec une journée d’action. Le programme s’étale désormais sur plusieurs jours, toute l’année. Il est soutenu par Hashtag Marseille, le Fonds Epicurien et La Fondation de France.