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Rue d’Aubagne, et après ? (1)

 

Quelles solutions, mesures ou aménagements imaginer pour éradiquer l’habitat insalubre et assainir le dossier du logement ? Pour restaurer le centre-ville marseillais sans le gentrifier ?

15 jours après ce drame humain effroyable et ses conséquences directes (les évacuations) sur une population fragilisée, Marcelle a sollicité l’avis d’experts : #1 une spécialiste de la data, #2 un militant associatif, #3 le sociologue Jean Viard, #4 un collectif de chercheurs en sciences sociales et #5, une haut-fonctionnaire d’un OPH (office public de l’habitat) parisien. .

Autant de contributions et d’éclairages différents, édifiants et passionnants. Qui valent pour Marseille mais aussi pour n’importe quelle ville. Nous vous les livrons en trois temps.

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#1  « Collecter et mutualiser les données avec #balancetontaudis »

Rue d’Aubagne, et après ? 1Elise Méouchy, coordinatrice au Donut Infolab – association née en 2016 à Marseille qui milite pour l’open data et pour que les données soient un outil citoyen accessible à tous. Aussi incroyable que cela paraisse, il n’existe aucune donnée fiable et officielle sur le logement insalubre. 40 000 selon un rapport du Ministère du logement de 2015. Mais il reprend, de l’aveu même du rapporteur, des chiffres de la mairie qui utilise les statistiques des impôts pour les logements déclarés en catégorie 7 et 8 (les pires) … par leurs propriétaires. D’où l’intérêt de cette collecte d’information ouverte.

 

« A la suite de l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne et aux diverses évacuations, l’enquête citoyenne #balancetontaudis a été lancée le 9 novembre, conjointement avec le journal La Marseillaise, Droit au Logement, et Emmaüs Pointe Rouge. Par ailleurs suivie de l’envoi d’un recommandé à la mairie demandant que les données concernant les arrêtés de péril soient ouvertes et publiques.

L’objectif de #balancetontaudis est de récolter un maximum de données sur l’habitat insalubre, avec l’implication des personnes et populations concernées. Afin de montrer que les citoyens ensemble représentent une force et peuvent peser sur de tels dossiers. En 10 jours, nous avons reçu 150 réponses en ligne. Mais certains habitants concernés ne parlent pas Français ou ne maitrisent pas le numérique, donc aujourd’hui nous distribuons des flyers, notamment dans les associations et les écoles.

La suite repose sur une méthodologie que nous ajustons actuellement. Définir des gradations dans l’insalubrité. Certifier les signalements. Assurer l’anonymat des lanceurs d’alerte (délicat si un seul locataire à une adresse). Faire en sorte de protéger tout en exploitant cet ensemble de données. Nous réfléchissons également aux moyens de financer une cartographie participative ouverte, à la façon d’Open Street Map. Aux fins d’éviter de mettre en danger la vie d’autrui et de hiérarchiser l’urgence dans les habitats dégradés – car tous ces immeubles évacués coup sur coup nous inquiètent un peu quant à leur véritable dessein. Ces vérifications seront longues et fastidieuses, toutes les aides et contributions seront bienvenues ».

 

#2   « Créer un casier judiciaire des bâtiments »

Rue d’Aubagne, et après ? 2Nouredine Abouakil, a cofondé en 2000 l’association « Un centre-ville pour tous » qu’il a coanimée pendant 10 ans

« Le drame qui s’est produit n’est pas lié à une absence de savoir-faire ou d’idées mais à la mise en œuvre obstinée de politiques inadaptées ou inexistantes. Même si la majorité municipale compte des personnes honnêtes et impliquées mais menées en bateau, qui pensaient qu’avec les dizaines de délibérations sur l’habitat indigne, tout devait être en ordre. Alors que si peu ont été suivies d’effets. Depuis des années, nous rédigeons des mémorandums, nous intentons des procès. Mais on nous a pris pour des imbéciles.

J’ai 9 suggestions à faire pour qu’un tel drame ne se reproduise plus.
1- Il faut mettre en ligne tous les arrêtés portant interdiction d’habiter ou injonction de faire des travaux sur une plateforme publique. Ce sont des documents non confidentiels, publics, indispensables pour pouvoir saisir la justice. Et à l’heure de la numérisation, ce ne doit pas être sorcier ! Les particuliers, les associations, les avocats, les journalistes doivent y avoir un accès facile et permanent.

Ce sera également précieux pour les acquéreurs potentiels d’un bien immobilier qui pourront connaitre l’état exact de l’ensemble du bâtiment.

Cette transparence aura le double avantage de lutter contre l’habitat indigne et de dissuader les propriétaires qui se refusent à entretenir correctement leurs biens. De même la main levée sera portée sur le site une fois les travaux effectués. Cette plateforme aurait toute sa place sur le site internet de la ville ou de la métropole. Juste un onglet.

2- Les victimes de l’habitat indigne doivent susciter le respect, être placées au cœur des préoccupations et non perçues comme des obstacles. Marseille doit disposer d’un parc de logements relais, à la hauteur de l’état des lieux et des besoins. Car il faut être à même de reloger provisoirement pendant la remise en état, les habitants -locataires mais aussi propriétaires- évacués. Avec la possibilité, s’ils le souhaitent, de réintégrer le logement restauré qui était le leur. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent, et c’était pain béni pour les propriétaires qui en profitaient pour changer de locataires et augmenter fortement le loyer.

3- J’imagine également un site internet sur le portail du Tribunal de Grande Instance, permettant aux locataires ou aux associations de déposer des « pré-plaintes » en ligne, moyennant un récépissé. Ces signalements remonteront ainsi aux services compétents, qui auront latitude de réagir en temps voulu. Mais aussi de trier les requêtes recevables ou non, selon les devoirs qui incombent au locataire ou au propriétaire.

4- Des textes de loi existent et il convient de les appliquer. Des dispositions permettent de faire des travaux contre l’avis des propriétaires quand c’est nécessaire. C’est une mesure simple à laquelle la mairie préférait ne pas recourir pour rester dans les bonnes grâces des propriétaires. Cette même mairie a toute compétence pour assurer la sécurité de ses administrés en vertu de la procédure des édifices menaçant ruine, codifiée aux articles L511-1 à L511-4 du code de la construction et de l’habitation

5- A l’échelle nationale cette fois, je suggère la création d’un casier judiciaire des bâtiments. Un fichier renseigné, qui permettrait par exemple de priver d’avantages fiscaux et d’abattements les propriétaires, copropriétés et organismes manquant à leurs obligations. Des mesures de justice.

6- Les bâtiments propriété de la ville ou de ces concessionnaires seront sous surveillance des services de l’état, la commune a montré qu’elle ne peut être juge et partie.

7-Les aides mobilisées dans le cadre de sauvegarde des copropriétés dégradées seront réservées aux seuls propriétaires occupants ou bailleurs, avec un seul appartement sous conditions de revenus.

8-Dans le cas de l’octroi d’une DUP (délégation unique du personnel) sur un immeuble à rénover les services de l’état devront exiger des travaux conservatoires de sécurisation avec un échéancier précis.

9- Les propriétaires de bonne foi doivent trouver accueil conseil et orientation vers les dispositifs d’aide adaptée. »

 

#3   « Miser sur les étudiants, public qui se mixe le mieux, et sur le numérique »

Rue d’Aubagne, et après ? 3Jean Viard, sociologue. A publié Une Société si vivante (Ed Aube 2018)

« Au-delà du fait que le maire actuel ne s’est jamais intéressé aux quartiers populaires, le centre-ville a été délaissé dès lors que le nouveau port a été construit, à la fin du 19e siècle. La ville dès lors s’est déplacée vers la mer, s’est littoralisée, tandis que la Canebière perdait son ancienne fonction sociale entrainant avec elle les quartiers situés de part et d’autre de son tracé. Ces quartiers ont toujours, historiquement, abrité des pauvres, mais le phénomène s’est accentué en l’absence d’investissement. La réfection du Vieux-Port n’a malheureusement pas rouvert la réflexion sur le périmètre Canebière.

L’enjeu est pourtant de taille, et quand j’étais élu, j’avais identifié deux pistes : les étudiants et le numérique.

Les étudiants parce que c’est le seul public qu’on peut mixer avec des immigrés et des pauvres. Sur les 120 000 que compte la métropole, 30 000 ou 40 000 pourraient vivre dans ce quartier, avec des loyers accessibles contrairement à Aix où ils s’envolent. Ce serait comme une grande cité universitaire. Et il y a les budgets pour. C’est un premier axe.
Le deuxième concerne le numérique. Marseille pourrait accueillir une grande école comme L’Ecole 42 de Xavier Niel. Dans ce domaine, même ceux qui n’ont pas fait d’études peuvent se révéler ultra performants.

En ce qui concerne les quartiers nord, pour finir. Ils occupent une place stratégique, au cœur de la métropole. Je mettrais donc une énorme gare routière à Saint Joseph, qui permettrait de désengorger le centre.
Il faut repenser l’organisation par rapport au monde de demain, pas par rapport au monde d’hier. Reconsidérer les perspectives et les espaces.
Le problème de Jean-Claude Gaudin est qu’être maire a toujours été pour lui une fin en soi satisfaisante. Il ne pense pas la ville mais la gère. Il n’a jamais eu de projet. »