Fermer

Sauve-qui-veut les vignerons

Par Frédérique Hermine, le 7 janvier 2020

Journaliste

En Ardèche, en Savoie, en Provence… les coopératives viticoles ont de plus en plus recours au financement participatif pour venir au secours de leurs jeunes adhérents, les aider à porter le foncier, à s’installer et à préserver la diversité des paysages. Une initiative solidaire à la portée de tous par amour du vin, de la région, du monde agricole…

 

Si les coopératives viticoles ont été créées au début du XXe siècle pour mettre en commun des moyens de vinification et de commercialisation, elles ont indéniablement contribué au fil du temps et de l’exode rural croissant, à préserver l’emploi dans les campagnes et la diversité des paysages. Le modèle a fait florès pendant des décennies, créant des générations de viticulteurs, coopérateurs de père en fils, et fille plus récemment. Mais les paysans, autrefois majoritairement en polyculture, se sont spécialisés et ont abandonné veaux, vaches cochons, abricots et carottes pour courtiser et cultiver uniquement Dame Vigne.

Sauve-qui-veut les vignerons 1 Au début du XXIe siècle, les prix des hectares de vignoble dans de nombreuses régions ont dépassé ceux des fruitiers et du maraîchage ; ils ont flambé aux abords des agglomérations sous la pression foncière. Désormais, l’art d’être vigneron ne se transmet plus seulement en famille, les jeunes se professionnalisent en faisant « viti-œno » avant de partir arpenter des wineries ici et ailleurs, parfois à l’autre bout du monde. Lorsqu’ils reviennent au domaine familial, ils veulent faire leur vin, revendiquer le savoir-faire et l’étiquette, connaître leurs clients, aller vendre leurs bouteilles pour parler de leur métier… et quitter la coopération. Progrès qualitatifs aidant, le boire moins mais mieux plaide en leur faveur.

Pour freiner l’hémorragie, certaines coopératives, souvent les plus dynamiques, ont planché pour trouver un moyen de garder ces nouveaux talents dans leur giron. Elles ont créé des clubs de jeunes vignerons afin d’être davantage à l’écoute de leurs projets, ont investi dans des petites cuves pour développer des sélections parcellaires, ont proposé de les aider à élaborer des vins de domaines. Mais face à la pression foncière, il fallait également trouver des solutions pour faciliter l’accès au vignoble à des jeunes qui n’avaient pas les moyens de trouver des vignes en fermage et a fortiori à l’achat, si tant est qu’il y ait des disponibilités.

Quelques coopératives ont donc eu l’idée d’investir dans quelques arpents pour les confier à de jeunes coopérateurs qui s’engagent à y rester. Une décision facilitée par l’avènement du financement participatif faisant appel à un grand nombre de personnes pour élaborer un projet. Le système s’est fortement développé depuis cinq ans dans le monde viticole pour l’achat en vignes ou l’investissement en caves.

 

Des facilitateurs pour installer des jeunes

Les Vignerons Ardéchois ont ainsi opté en 2018 pour une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) Ardèche Vignobles, qui a permis l’acquisition d’une soixantaine d’hectares dont 25 pour le projet Terra Noé à Rochecolombe (07), confié à Raphaël Deborne. Ce jeune spécialiste du bio a lancé d’emblée la conversion de Sauve-qui-veut les vignerons 2ce vignoble à flanc de coteau. Le domaine a été baptisé Terra Noé pour en faire « un navire amiral dans un océan de vignes et y faire renaître la biodiversité, tel Noé qui était aussi agriculteur », rappelle le directeur Philippe Dry. Une cuvée dans les trois couleurs sortira au printemps 2020. « De gros travaux sont à prévoir à commencer par le chai et le caveau. Nous gardons les murs du corps de ferme qui seront rénovés en accord avec les Bâtiments de France. Le domaine restera dans son jus ardéchois, cela va de soi ». Un projet œnotouristique est également en réflexion. Une convention a déjà été signée avec l’association Vignes Ardèche par nature et la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) pour que Terra Noé devienne un site refuge – 37 espèces de papillons y ont déjà été recensées.

Le domaine se veut aussi le symbole d’une autre gestion en financement participatif. Ardèche Vignobles compte 500 sociétaires, essentiellement des particuliers amoureux de la région qui ont eu vent du projet par la famille ou les amis et qui ont pris des parts à 1 000 euros pour soutenir l’installation de jeunes vignerons. 120 d’entre eux ont d’ailleurs participé aux premières vendanges du Viognier (ndlr – un cépage blanc originellement cultivé dans les Côtes-du-Rhône septentrionales) cet automne. Leur investissement (défiscalisé à 18%) leur rapporte chaque année 5% en liquide – du vin en l’occurrence. Ils sont également invités à participer à des événements spécifiques à la cave ou à la vigne « pour comprendre ce qu’il y a dans la bouteille, précise Philippe Dry. Notre objectif est d’être des facilitateurs pour installer les jeunes et freiner l’hémorragie des coopérateurs. Il y a dix ans, on travaillait 7 500 à 8 000 hectares, aujourd’hui 6 000, et si on ne fait rien, on risque d’en perdre 500 d’ici cinq ans. Nous nous attachons donc à trouver des candidats ». Une demi-douzaine se sont donc déjà vus confier des vignes à Pradon et Mirabel, toujours au cœur de l’Ardèche.

 

Préserver les paysages

Sauve-qui-veut les vignerons 3Le Vigneron Savoyard a également créé une SCIC pour racheter un domaine en bio en Chautagne, au-dessus du lac du Bourget, et le confier à de jeunes vignerons « car les garder aujourd’hui en terre savoyarde est devenue une véritable gageure », reconnaît Fabien Danjoy, le directeur de l’union coopérative. Celle-ci ne compte plus qu’une cinquantaine d’adhérents pour environ 160 hectares dont 120 sur la Chautagne. « Nous devons faire face à de nombreux départs en retraite et aux arrêts d’activité de doubles actifs. Nous sommes également confrontés à la concurrence du gros négoce qui créé une forte demande et une spéculation sur Apremont, et à l’abandon des vignes sur la Chautagne, arrachées ou laissées en friche, faute de repreneurs ». La cave a donc tenté de susciter un regain d’intérêt via une Scic, baptisée « Les Vignes des Alpes ». Des parts ont été mises en vente à 500 euros donnant droit à 5% de rémunération par an en bouteilles, assortis de tarifs préférentiels pour l’achat de vins et de propositions de participation aux principaux événements de la cave. La formule devrait permettre à la coopérative d’acheter et de restructurer un domaine de cinq hectares en bio, qu’elle vinifie déjà au lieu-dit Les Vignes du Seigneur. Un nom qui pourrait être de bonne augure. « Le système permet de plus de ne pas se tourner uniquement vers les banquiers, précise Fabien Danjoy. Le domaine sera confié à de jeunes vignerons dans un souci de pérennisation, d’ancrage sur le territoire mais également de préservation du paysage viticole ». Plusieurs collectivités locales, quelques entreprises et fournisseurs, des habitants de la région ou originaires du secteur, des amateurs de vin sensibles à la démarche, ont déjà adhéré au projet. Un premier pas vers une redynamisation de la cave « et aussi une façon de faire connaître notre production et nos cépages spécifiques, la jacquère, l’altesse, la mondeuse et nos gamays atypiques de Chautagne, puissants et charpentés », conclut Fabien Danjoy. ♦

 

Bonus – Des initiatives similaires dans le Beaujolais et dans le Vaucluse ; les chiffres de la viticulture en France.

  •  Dans le Beaujolais – Projet alternatif, social et solidaire, Agamy Vignobles s’appuie depuis 2017 sur le financement participatif pour constituer un vignoble et ainsi sécuriser le patrimoine foncier de la cave Agamy, premier producteur de Gamay du Beaujolais. Soucieux de préserver un terroir exceptionnel, Agamy Vignobles réinvente l’entreprise et le rôle de chacun en associant des citoyens unis par des valeurs communes pour soutenir et développer collectivement le pilier de l’économie viticole du Beaujolais. Avec l’achat d’une ou plusieurs parts à 1 000 euros, ce collectif propose une immersion dans le monde viticole. Cette aventure vous permet de défiscaliser, recevoir du vin et participer à différents événements au fil des saisons. Grâce à sa communauté qui rassemble aujourd’hui plus de 150 sociétaires, la SCIC Agamy Vignobles a déjà acheté et sécurisé 3 hectares de vignes en Brouilly, permettant une première installation d’un jeune vigneron.

 

  • Dans les Côtes-du-Rhône – La Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) Rhonéa Vignobles propose d’acquérir des parts de vignoble, d’investir dans le terroir mythique des crus de la Vallée du Rhône : Gigondas, Vacqueyras et Beaumes de Venise. Rhonéa Vignobles vise5 000 sociétaires à l’horizon 2022 et un capital de 5 millions d’euros qui permettra de sécuriser 100 hectares de vignes dans son terroir.

 

  • Les chiffres du vin – La filière représente 558 000 emplois directs et indirects : 142 000 viticulteurs, 300 000 emplois indirects (tonnellerie, chaudronnerie, logistique, bouchon, verre, communication, imprimeries, chimie, laboratoires d’œnologie, prestataires de services, constructions, assurances, banques…), 15 000 salariés dans les syndicats, les interprofessions, les chambres d’agriculture, les douanes, les chercheurs et lycées viticoles, 38 000 négociants, 21 000 emplois saisonniers, 10 700 salariés des cavistes, 8 300 salariés des coopératives viticoles, 15 000 salariés de la grande distribution, 5 000 salariés dans les administrations, 3 000 sommeliers.
    Les exportations de vin rapportent à la France 7,6 milliards d’euros. C’est le second secteur d’exportation français : 1er secteur agroalimentaire excédentaire et 2e secteur excédentaire de la France, après l’aéronautique et devant la chimie/parfumerie.
    La France produit 16% du vin de la planète, soit 41,4 millions d’hectolitres .
    88% du vin part dans la grande distribution, 7% en magasins spécialisés, 5% en vente directe.
    Le Languedoc, l’Aquitaine, la PACA et la Champagne sont les 4 régions les plus importantes en termes de production de vin
    La France consomme 14% du vin produit dans le monde, ce qui en fait le premier pays consommateur de la planète (30 269 millions d’hectolitres), devant les Etats-Unis (29 000 millions d’hectolitres) et l’Italie (22 633 millions d’hectolitres).
  • D’autres chiffres dans le rapport produit en 2017 par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.