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Scandales sanitaires : quand la mobilisation finit par payer !

Par Olivier Martocq, le 15 octobre 2019

Journaliste

Cités marseillaises : la seconde vie des encombrants 3Ce mardi 15 octobre à 23h55 sur France 2, programmation du documentaire « Fos-sur-Mer les révoltés de la pollution ». Une enquête menée par deux journalistes, Yann Rineau et Antoine Dreyfus – ce dernier collabore à Marcelle- sur la bataille politique, juridique et sociétale menée par des habitants de Fos-sur-Mer depuis 15 ans afin d’obtenir la vérité, ou au moins des données officielles, sur leur environnement. Leur constat : sur le pourtour de l’étang de Berre (la zone industrielle la plus étendue de France avec pas moins de 13 sites classés Seveso), un adulte sur deux et un enfant sur quatre sont atteints de maladies respiratoires quand la population développerait deux fois plus de cancers et de diabètes que sur le reste du pays. Le reportage a suivi une poignée d’irréductibles en train de bouleverser une donne établie depuis 50 ans !

 

Le documentaire a été projeté en avant-première au cinéma de Fos-sur-Mer, le 8 octobre. L’occasion de rencontrer les acteurs de ce dossier mais surtout la majorité silencieuse. Tous ces habitants de la région qui savent que leur environnement est peut-être dangereux mais restent passifs parce que ces industries les font vivre eux, leurs familles ou leurs amis (50 000 emplois) mais aussi parce qu’en l’absence de données officielles sur les polluants ou les maladies… on ne sait pas vraiment !

Au-delà du film la réalité d’une mobilisation citoyenne !

Scandales sanitaires : quand la mobilisation finit par payer ! 1Le générique s’achève sous les applaudissements.  Commence alors dans cette salle de cinéma moderne qui jouxte la mairie et comble ce soir-là, l’habituel jeu des questions réponses entre les réalisateurs et le public. Sauf que, pour une fois, le public est directement concerné par ce qu’il vient de voir. Il y a même une certaine gêne car le film a mis l’accent sur la solitude des lanceurs d’alerte. L’omerta est générale dans cette cité comme les communes environnantes, pourtant soumises aux mêmes problématiques environnementales : Berre, Martigues, Lavéra, jusqu’à Marseille, même si dans la cité phocéenne, considérée comme la ville la plus polluée de France, on feint d’ignorer qu’une partie du problème provient de Fos. Et pour cause, la capitale régionale a sa part directe de responsabilité : c’est elle qui a rajouté son incinérateur sur ce site déjà saturé en terme de rejets de polluants.

15 ans de lutte solitaire !

Scandales sanitaires : quand la mobilisation finit par payer ! 2Sur la scène, Daniel Moutet n’en revient pas de l’affluence. C’est cet ancien salarié du Port Autonome qui depuis 15 ans, contre vents et marées (surtout le vent), se bat pour faire reconnaître que la situation est anormale. C’est lui qui, inlassablement, a photographié les nuages s’échappant des différentes usines de la zone. Lui qui a interrogé en vain les services de l’État, tenté d’intéresser les élus, monté des réunions pour alerter la population. Lui qui a créé l’ADPLGF – Association pour la défense et la protection du littoral du golfe de Fos – démontrant ainsi que la zone géographique concernée allait bien au-delà de l’enclave industrielle. La parole, soudain se libère. La plupart de ceux qui s’expriment avaient refusé d’être filmés. Des témoignages poignants comme cette femme, qui explique : « Mes enfants sont malades. L’aîné est asthmatique, je l’ai envoyé vivre à Avignon. Le second est diabétique. Moi je suis cardiaque, mon père est mort du cœur et ma mère a un cancer ». Ou cette autre, qui enchaîne : « Ça va faire trois générations de sacrifiés. La maladie est là, on reste et on meurt avec. Et l’État étouffe tout ça ! ».

Des témoignages d’ouvriers… enfin !

Scandales sanitaires : quand la mobilisation finit par payer ! 3La peur a disparu. Au-delà des habitants qui subissent les rejets des usines mais ne peuvent savoir à quoi ils s’exposent, des ouvriers s’expriment enfin. Alain Audier, le secrétaire CGT du CSE Central d’Arcelor Mittal est venu. Il confirme un des témoignages hallucinants du film où un salarié, toujours montré de dos et dont la voix a été masquée, reconnaît truquer les indicateurs de pollution sur ordre de l’employeur. « On ne dit rien par peur de perdre son boulot, par peur d’être mal noté et d’avoir des retards de carrière. Dans l’entreprise, on sait que certains relevés sont trafiqués mais là encore, personne ne parle car c’est l’avenir de la boîte qui dès lors est en jeu. Et des centaines d’emplois ». Et le même de pointer l’absence de suivi de l’inspection du travail. « On a une idée des problématiques soulevées avec des arrêts maladie plus importants qu’ailleurs, mais quand le salarié part à la retraite on ne sait pas ce qu’il devient. Pas plus que dans les entreprises sous-traitantes. Ce que l’on voit, c’est qu’on meurt plus jeune ici qu’ailleurs, de maladies comme le cancer ».

Quand les citoyens suppléent l’État !

L’absence de données officielles est l’un des facteurs qui expliquent la difficulté de mobilisation. Les pouvoirs publics s’en tenant à la stricte vérification des normes de rejets usine par usine, un collectif de citoyens a créé l’Institut Écocitoyen afin de regrouper des scientifiques capables de fournir d’autres études et surtout des indicateurs. Véronique Dolot, en charge de la communication, n’hésite pas à mettre en cause des normes administratives qui n’auraient aucun sens. « On travaille avec des universités, ce qui fait que l’on est adossé à la recherche publique française. Tout ce qu’on produit est de fait validé par des scientifiques. Or ce sont des gens qui n’appartiennent pas au milieu de la recherche qui disent « vos études, vos chiffres ne sont pas valables, parce que ça n’entre pas dans les critères administratifs ou les cases de la règlementation. Le problème est que la règlementation française n’est pas faite pour analyser les zones industrielles du point de vue des riverains et des salariés. Et elle ne précise pas si en-dessous des seuils réglementaires, la santé des gens est respectée ». Et le maire actuel de Fos, Jean Hetsch, de compléter de façon limpide : « On ne dit pas que chaque usine n’est pas aux normes. Ici il y a 13 usines Seveso. Donc 13 fois des rejets aux normes ce qui donne des densités et des accumulations de pollutions totalement… hors normes. Un cocktail explosif ! »

La fin de l’omerta ?

Après quinze années de luttes, la justice a été saisie dans deux procédures distinctes. Une plainte déposée en novembre 2018 au pénal pour mise en danger de la vie d’autrui. On devrait savoir dans les semaines à venir si elle donne lieu à une instruction. Une plainte au civil déposé le 4 octobre dernier pour troubles du voisinage. Surtout, devant la mobilisation citoyenne relayée par les médias et les réseaux sociaux, l’État a décidé d’ouvrir un registre des cancers qui pourrait être étendu aux malformations congénitales. Le budget de l’étude, un million d’euros, est désormais connu. L’annonce a été faite en février mais, depuis, c’est l’expectative. ♦

 

Bonus

  • Scandales sanitaires : quand la mobilisation finit par payer ! 4
    Y. Rineau et A. Dreyfus

    La genèse du film – Par Antoine Dreyfus.

« Ce film est né de ma rencontre avec Yann Rineau, chef opérateur et réalisateur. Nous nous sommes rencontrés sur une émission de France 3 PACA, « Chroniques méditerranéennes », une émission de découvertes, présentée par Nathalie Simon. Nous nous sommes bien entendus professionnellement – nous sommes complémentaires -, et avons décidé de chercher des idées de documentaires.

C’est Yann qui m’a parlé des problèmes de santé à Fos-Sur-Mer, car il avait entendu une longue enquête sur France Inter. Yann est sensibilisé à ces questions de santé et d’environnement. Il a perdu sa maman d’un cancer, alors qu’il n’avait que 14 ans. De mon côté, l’industrie c’est quelque chose qui m’est familier. Mon grand-père maternel a été numéro deux de Simca, une marque auto aujourd’hui disparue, dans les années 60. Mon père a été ingénieur dans la sidérurgie et a refusé d’aller travailler à Fos-Sur-Mer dans l’usine qui est aujourd’hui ArcelorMittal, car il estimait que c’était dangereux et que la technologie était déjà obsolète : usine trop grosse, avec des méthodes de travail dépasséees et des process pas assez maîtrisés.

Nous avons d’abord proposé le sujet à France 5 pour l’émission Le Monde en face, qui a trouvé que c’était un peu trop anxiogène. Puis à Match Prod, la filiale audiovisuelle de Paris Match qui l’a proposé à Infrarouge et ça s’est fait assez rapidement. Catherine Alvarese, la patronne des documentaires de France Télévision connaît bien le coin, et pour Infrarouge elle veut donner la parole à des gens qui sont souvent invisibles, que l’on n’entend pas, qui ne sont pas experts, mais juste citoyens. Elle nous a poussés à raconter les « petites » histoires des gens, pour raconter la grande histoire de Fos et de cette aventure industrielle. France Télévisions nous a tout le temps encouragés à avoir un point de vue d’auteur, à nous engager. Et c’est ce que nous avons fait. »

Le tournage a eu lieu de juin à novembre 2018, date du dépôt de plainte devant le TGI d’Aix-en-Provence.

 

  •  La directive Seveso – L’émotion suscitée par le rejet accidentel de Dioxine en 1976 sur la commune de SEVESO en Italie, a incité les États européens à se doter d’une politique commune en matière de prévention des risques industriels majeurs. Le site du Ministère de la transition écologique et solidaire en explique les dispositions, établissements concernés etc.