[série] Des milliers d’arbres sont coupés chaque jour pour fabriquer du papier hygiénique. Il est vrai que chaque Français en use en moyenne 2,2 kilomètres par an ! Ce produit indissociable de notre quotidien est pourtant une aberration pour l’environnement. L’alternative ? Le papier recyclé. C’est le pari que s’est lancé en 2019 Audrey Destang, fondatrice de Popee. Depuis, elle cumule les succès, des labellisations au chiffre d’affaires.
Une aberration. Abattre des arbres pour un usage unique. Les arracher de la terre pour quelques secondes d’utilisation. Voilà ce que s’est dit Audrey Destang en 2019 quand elle a lu le chiffre effarant du Fonds mondial pour la nature (WWF) : près de 27 000 arbres sont coupés chaque jour dans le monde pour fabriquer du papier toilette.
Ce n’est pas tout. Le papier à base de fibre vierge de bois, majoritaire, est conçu avec des eucalyptus d’Amérique du Sud très consommateurs en eau. Un seul rouleau de papier en nécessite environ 168 litres. Certes, il y a moins gourmand et plus proche avec les pins de Scandinavie. Mais ce n’est pas la panacée. Dans un rapport publié en 2017, Greenpeace accuse le premier fabricant européen de mouchoirs et papier toilette de détruire des régions clés dans les forêts boréales du Grand Nord.
Ce produit démocratisé depuis les années 1950 (histoire dans bonus), créé au départ pour notre confort, est devenu un cauchemar pour l’environnement. En résumé, on coupe des arbres qui terminent dans les égouts.
♦ Si le Français consomme en moyenne 6,4 kilos de PQ chaque année, c’est 12,7 kilos pour l’Américain ! (lire bonus).
Des corbeilles de bureau aux cabinets de toilette
À partir de ce constat, tout devient limpide pour la Bordelaise d’origine. Recycler du papier a déjà fait ses preuves, il suffit d’utiliser le même processus pour concevoir du papier toilette.
Popee, dont l’emblème est un poussin (origine dans bonus), démarre son activité avec une usine papetière normande qui collecte localement les papiers des corbeilles de bureaux d’entreprises. Une fois triés (exit plastiques, agrafes…), seuls les plus blancs sont retenus pour éviter d’avoir à désencrer lourdement la matière première avec des produits chimiques forts. Ils sont ensuite intégrés dans une grande machine broyeuse, le pulpeur, qui mélange le papier déchiqueté avec de l’eau pour produire une pâte à papier. Celle-ci est ensuite séchée, enroulée en une énorme bobine, superposée en deux feuilles (pour un papier double épaisseur). Après avoir été prédécoupés, les feuillets sont lovés autour de mandrins (mini-rouleaux) en carton recyclé et compostable (idées pour les réutiliser dans bonus).
Certes ce processus nécessite aussi de l’eau, mais, corrige l’entrepreneuse, Popee n’est pas un ayatollah de l’écologie : « On pense juste que recycler du papier est mieux qu’utiliser la fibre vierge ». Et s’empresse d’ajouter que l’usine normande fait des efforts pour limiter sa consommation (et maîtriser les rejets). Ainsi, selon elle, il faut seulement 1 litre d’eau pour fabriquer un rouleau de papier toilette Popee.
Aussi moelleux qu’un PQ classique
Rien ne distingue Popee d’un PQ classique. Loin d’être rugueuse, sa texture est moelleuse, son épaisseur ultra-compacte, double ou triple épaisseur. En revanche, il est exempt de tout chlore, colorant et parfum. Aux détracteurs du papier toilette recyclé qui agitent le danger du bisphénol A (BPA) (produit chimique dans l’encre d’imprimerie), la trentenaire rétorque que les résidus sont infimes. « Et il faudrait le chauffer et l’avaler pour qu’il soit dangereux pour la santé ». L’Ecolabel garantit sa non-toxicité.
Si bien que ce papier toilette est biodégradable et compostable, tout à fait compatible avec toilettes sèches et fosses septiques. Enfin, son emballage est en plastique 50% recyclé. Pourquoi pas un emballage en papier ? « Pour le moment, nos usines ne possèdent pas les machines mais nous y travaillons », répond la cheffe d’entreprise engagée qui a reçu le prix « Entrepreneure de l’année 2022 » par le label Origine France Garantie.
La cible principale : les ruraux
Avec son message – une tonne de Popee = 17 arbres sauvés, on n’a qu’une seule envie : l’acheter. Mais quelle est sa plus-value par rapport aux autres marques de papier hygiénique recyclé qui représentent « 3 à 8% du marché du papier toilette en vente en grande distribution » ?
L’innovation, souligne cette ancienne associée dans une agence de notation de startup n’est pas tant sur le produit lui-même que sur le modèle économique. En effet, en plus d’être vendu en magasin, le produit est commercialisé sur le site et livré directement à domicile à partir de douze rouleaux. Autant dire que lors de la pénurie du premier confinement, la marque a cartonné. Au point qu’Audrey Destang a dû embaucher sa première salariée, « sans même la voir ! ». Avec ce procédé de livraison, avec ou sans abonnement, ce partenaire de l’opération Bouge Ton CoQ (qui réimplante les épiceries dans les villages) cible principalement les ruraux.
Popee dans les supermarchés
La marque, dont le slogan est ‘’petit coin, gros impact’’, est vendu dans les magasins bio, les épiceries en vrac et même dans les paniers de légumes et œufs de certaines AMAP (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne). Depuis un an, Popee a conquis également le marché de la grande distribution (plus de 400 points). Elle est même, selon la fondatrice, « la seule marque recyclée labellisée ‘’Origine France Garantie’’ référencée dans les supermarchés ».
Cette ancrage est liée à la qualité du produit mais également à son packaging coloré et ludique. Il affiche le parcours de Popee « comme les paquets de corn-flakes d’autrefois ». La société, qui offre des produits à Emmaüs, Lazare ou encore les Restos du Cœur, a enfin un bel atout : sa présence joviale sur la toile. Blog avec astuces et zoom sur la fabrication des produits, communauté »Popee Family » sur Facebook, vidéos sympas sur Instagram…
Le prix ? 5 euros en moyenne dans les magasins pour un pack de 6 rouleaux de papier toilettes ultra-compact double épaisseur. Cher donc. L’entrepreneuse de 32 ans affirme que le prix est identique à un Lotus de qualité. En fait, un rouleau Popee est constitué de 200 feuilles contre 120 pour l’autre marque (100 pour un rouleau standard). Quant à l’achat directement sur le site, les 12 rouleaux coûtent 14,90 euros (+5,90 euros la livraison à domicile).
Pour les entreprises – de l’Ehpad à l’Auberge de jeunesse, de la cabane écolo à l’hôtel -, le coût est bien sûr moins élevé en raison du volume.
Diversification
La digitale native a diversifié sa marque avec de l’essuie-tout, des mouchoirs en boîte carton recyclé et sans plastique. Ainsi qu’un gel nettoyant sans rinçage fabriqué dans les Alpes-Maritimes par un laboratoire dermo-cosmétique. Avec ce produit, « le popotin n’est pas seulement essuyé, il est nettoyé », promet le site. Il nécessite en tout cas moins de papier. La fondatrice, maman de deux enfants dont un de 3 mois, vient de lancer dernièrement le Sac à Popos pour les chats, chiens et couches de bébés. Composé en amidon de maïs, matière végétale provenant d’Italie, il est une véritable alternative au plastique, résistant et biodégradable.
Aujourd’hui, l’équipe compte quatorze salariés, trois usines partenaires (Normandie, Hauts-de-France et Grand Est) et 15000 clients cumulés entre particuliers et professionnels. En 2022, l’entreprise a fait 1,2 million de chiffre d’affaires (600 000 en 2021) et projette de le doubler avec 2,5 millions en 2023. Prouvant ainsi qu’il est possible de conjuguer business et écologie.♦
Bonus
- Et aussi : Papeco. Cette entreprise papetière normande fabrique du papier d’essuyage recyclé proposant la plus large gamme de papiers écolabel et origine France garantie. Dont du papier toilette, en rouleau ou feuilles.
- Consommation de PQ, les chiffres. Selon un journaliste radio qui a évalué sa consommation durant un an, entre 2020 et 2021, le Français consomme en moyenne 105 rouleaux par an, soit huit rouleaux par mois (« tout dépend de l’épaisseur »), ce qui représente 2,2 km de papier déroulé chaque année.
Selon Planetoscope, un Français consomme en moyenne 103 rouleaux de 60 grammes par an, soit 6,2 kg de PQ chaque année. Cela correspond à une dépense annuelle d’environ 90 € par an par personne.
Le graphique de Stastica, qui se base sur les données du Statista Consumer Market Outlook montre que les Français, avec 6,4 kg par an, arrivent en 6ème position. Les États-Unis sont les plus gros consommateurs de papier toilette au monde avec 12,7 kg par an par personne (l’équivalent de 141 rouleaux de 90 grammes)
♦ (Re)lire Le jean revient dans l’ADN de Nîmes
- Origine de Popee. Avant de créer Popee, Audrey Destang était associée dans une agence de notation de startup. Son premier projet était de valoriser les résidus de la forêt familiale de pins durables, dans les Landes. « Chaque année, une grosse machine passe entre les arbres pour débroussailler en prévention des feux de forêt. Je me suis demandé quelle pourrait être l’utilisation de ces résidus de bois et j’ai pensé à du papier toilette. Malheureusement, ils n’étaient pas valorisables ». C’est par ce biais qu’elle a découvert les chiffres effarants de l’impact de ce produit quotidien sur l’environnement. Et s’est tournée vers le papier recyclé. Pour tester son produit, cette native digitale a lancé une opération sur la plate-forme Ullule en septembre 2019. La campagne a explosé. L’entrepreneuse a alors vendu ses parts dans la société de notation pour lancer Popee. Elle a réalisé depuis deux levées de fond avec des entreprises qui partagent le modèle économique et les valeurs de la société.
- Le poussin ? Parce que l‘animal est doux comme le papier toilette Popee. Mais pas seulement. Lors de ses études, Audrey Destang se voit affliger d’un ‘’c’est un torche-cul !’’ par sa prof d’anglais. Le poussin est un petit clin d’œil car le meilleur des torche-culs de Rabelais dans Gargantua est… un oison bien duveteux.
- Histoire du PQ. Le papier moderne que l’on connaît, c’est-à-dire les rouleaux de feuillets détachables, a été popularisé en Occident par deux frères, Clarence et Irvin Scott, au début des années 1890. On entrait alors dans un nouvel âge des toilettes : reliées à la plomberie, avec interdiction d’y jeter les journaux qui bouchent les tuyaux. En revanche, on pouvait très bien jeter le papier des frères Scott. Introduit en France au début du xxe siècle, le papier toilette est longtemps considéré comme un produit de luxe. Son utilisation ne se généralise que dans les années 1960, détrônant le bidet utilisé jusqu’alors pour laver la zone intime après un passage aux toilettes.
- Pourquoi le prix est plus cher sur le site Popee qu’en magasin ? « Le volume. La papeterie d’hygiène est un business d’économies d’échelles : envoyer en Colissimo 2 packs de 6 rouleaux revient proportionnellement plus de 10 fois plus cher qu’envoyer 66 palettes à Franprix dans un camion complet, quand on rapporte le prix de la livraison au pack de 6 rouleaux. C’est le cas de tous les commerces à faible marge, par nature du produit. C’est pourquoi nous cherchons à multiplier les gros volumes, afin d’atteindre rapidement la rentabilité. »
- Le rouleau de papier toilette est parfait pour faire :
Des bougeoirs à pile
Des animaux
Des déco murales