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Prouver aux filles qu’elles aussi sont faites pour les sciences

Par Agathe Perrier, le 25 avril 2022

Journaliste

Coline et Florence, deux stagiaires de l'école Les Cigales venues découvrir la recherche mathématique pendant leurs vacances scolaires © Agathe Perrier

Dès le lycée, les filles sont moins nombreuses que les garçons à choisir des études scientifiques. Résultat : les femmes sont sous-représentées dans ce domaine, particulièrement en mathématiques et en informatique. Pour tendre vers plus de parité, des mathématiciens marseillais ont créé Les Cigales, une école de maths pour filles : des stages pendant les vacances scolaires leur démontrent qu’elles ont toutes les capacités pour briller dans ces filières et les inciter à oser.

 

Alors que les élèves des zones A et B profitaient de leurs vacances de printemps, la semaine dernière, 26 jeunes filles de première avaient repris le chemin des cours en avance. Inscrites à la quatrième édition du stage de l’école de maths Les Cigales, dispensé au Centre international de rencontres mathématiques (CIRM) de Marseille. Cinq jours durant lesquels les matinées ont été réservées aux maths, les après-midi à des activités sportives et ludiques, les soirées à des conférences avec des intervenantes spécialisées dans les sciences. « Le but est double, explique Pascal Hubert, mathématicien et directeur du CIRM. D’une part, lutter contre le stéréotype selon lequel les métiers scientifiques ne sont pas pour les femmes. D’autre part, initier les jeunes filles à la recherche en leur présentant les maths d’une façon différente de l’école ».

 

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Outre les maths, les jeunes filles profitent d’activités sportives et ludiques pendant leur semaine de stage © DR

Pas de sacrifice, mais une soif d’apprendre


Le stage plonge les élèves dans les mêmes conditions de travail que des chercheuses en herbe. Elles ont planché chaque matin sur une énigme à résoudre en groupe, sous la houlette de mathématiciens et chercheurs. Du concret donc, principale raison évoquée par les jeunes filles pour expliquer leur présence. « Je voulais découvrir ce qu’est réellement la recherche, car on fait surtout de la pratique en cours », confie Coline. Un avis partagé par sa binôme, Florence. « Ça nous permet de savoir si on continue ou non vers des études scientifiques », ajoute-t-elle.

Cette semaine, bien que studieuse, n’est en tout cas pas vue comme un sacrifice par les apprenties chercheuses. « On ne fait pas que des maths. On profite aussi ! », sourit Lucia. Nourries, logées, blanchies, les filles ont pu s’initier à différents sports, comme la lutte ou le basket. Et crapahuter dans les calanques au cours d’une randonnée. Sans oublier les moments de partage et d’échanges, un peu comme en colonie de vacances finalement. La semaine s’est ensuite clôturée par une présentation de leur travail devant leurs proches, des mathématiciens et des chercheurs.

 

 

Les maths (et les sciences) excluent les filles

Une étude sociologique est en cours afin d’évaluer les effets du stage : à quel point est-il efficace pour faire naître ou renforcer des vocations chez les lycéennes ? Parvient-il à les amener vers des études supérieures en maths ? Autant de questions qui devraient trouver leur réponse en novembre prochain, à la restitution des résultats.

Une chose est en tout cas déjà sûre : si les filles disparaissent des filières scientifiques à mesure qu’elles progressent dans leurs études, « ce n’est pas lié à un manque de compétences ou de motivation, mais à des mécanismes d’exclusion à chaque étape du parcours », expose Clémence Perronnet. Cette sociologue, chargée de mener l’étude, a consacré un livre entier sur ce sujet (bonus). Elle y explique comment les sciences excluent – les femmes, les classes populaires et les groupes ethno-racisés – et par quels moyens les rendre plus égalitaires et inclusives. Pour Pascal Hubert, les stages de maths comme Les Cigales sont une solution. « Il faut montrer aux filles que les maths et les sciences ne sont pas réservées qu’aux garçons. Qu’elles y aussi ont toute leur place », estime-t-il. D’où l’organisation de conférences de chercheuses et ingénieures, afin de prouver aux jeunes filles qu’il est possible de réussir dans ce milieu.

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Chloé, Lucia, Camille et Aurore sont venues des quatre coins de France, et même d’Europe, pour participer au stage, sous la houlette de mathématiciens et chercheurs © AP

 

Une non-mixité plébiscitée

Depuis la première édition des stages en octobre 2019, il a été décidé de les ouvrir uniquement aux filles. Un choix largement apprécié par les stagiaires. « Dans les événements de maths, il y a beaucoup de garçons et peu de filles. Ce serait pareil ici si les stages étaient mixtes et ce serait dommage », considère Coline. Toutes les élèves pensent par ailleurs que l’ambiance serait différente. « C’est mieux sans garçons, il y a moins de jugement », glisse Aurore. Et Lucia d’ajouter : « Les filles jugent aussi, mais on peut exprimer notre savoir plus facilement lorsqu’on est entre nous ».

Les premiers résultats de l’étude sociologique révèlent en tout cas qu’une partie des parents n’accepteraient pas d’inscrire leurs filles si les stages étaient mixtes. « Ça enlève également une grande partie des rapports de force que l’on observe d’ordinaire en classe. Car on sait que les garçons ont plus la parole et sont davantage sollicités par les professeurs », rappelle Clémence Perronnet.

 

 

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La session du printemps 2022 du stage des Cigales a enregistré 50 candidatures pour seulement 26 places © AP

Des filles motivées venues de toute la France

Si beaucoup de stagiaires des Cigales sont issues de Marseille et des alentours – Istres, Salon-de-Provence, Les Pennes-Mirabeau – d’autres viennent de bien plus loin. Haute-Savoie, Hauts-de-France et même Madrid, en Espagne ! La sélection se fait via lettre de motivation. 50 candidatures ont été déposées lors de cette session du printemps 2022 pour seulement 26 places. Comme le reconnaît Pascal Hubert : « Si des filles préfèrent passer une semaine ici plutôt qu’en vacances c’est qu’elles sont toutes très motivées ». Des critères sociaux entrent alors en jeu. « On essaye de favoriser les filles de milieux défavorisés ou qui vivent loin des grandes villes ».

Le directeur du CIRM aimerait d’ailleurs que son concept de stages de maths destiné aux filles, unique en France a priori, essaime un peu partout sur le territoire. Car impossible d’augmenter le quota de places à Marseille, ni de multiplier les sessions actuellement. Et ce, pour une question de budget. « Ces stages coûtent de l’argent puisque les élèves ne déboursent rien et sont nourries et logées. Il nous faudrait déjà des financements supplémentaires pour pérenniser le modèle », indique-t-il. De l’argent qui provient actuellement de laboratoires de recherche et de fondations (bonus). Pascal Hubert souhaite désormais convaincre les entreprises de participer aussi. En attendant, des chercheurs se sont montrés intéressés pour dupliquer le modèle, notamment en Suisse. « Ils pourraient s’appeler Les Marmottes », plaisante le mathématicien.

 

Bonus

  • Comment s’inscrire aux stages de maths – Le prochain aura lieu lors des vacances de la Toussaint, du 31 octobre au 4 novembre 2022. Toutes les informations pour s’inscrire en cliquant ici. Les stages sont organisés par le Cirm (AMU/CNRS/SMF), l’institut de mathématiques de Marseille (AMU/CNRS/Centrale Marseille) et l’association « Maths pour tous ».
  • Les soutiens financiers des Cigales – Aix-Marseille Université, le CNRS-INSMI, la Société Mathématique de France, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, le CIRM, l’Institut de mathématiques de Marseille, le Laboratoire d’informatique et systèmes, l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions, la fondation Blaise Pascal avec le mécénat d’Alstom, la Fédération de Recherche des Unités de Mathématiques de Marseille, l’institut Archimède, l’Institut of language, communication and the brain, la ville de Marseille, la faculté des sciences du sport de Luminy et le programme MathC2+.
  • Les maths devraient faire leur retour au lycée – Elles avaient disparu du tronc commun en classes de première et terminale suite à la réforme du lycée en 2019 (une mesure d’ailleurs largement critiquée à l’époque). Les maths devraient néanmoins y revenir. Un rapport du comité de consultation sur l’enseignement des maths au lycée, publié en mars, le préconise en effet. Ce pourrait être le cas dès la rentrée prochaine pour les élèves n’ayant pas pris les maths en spécialité. Puis pour tous à partir de la rentrée 2023. L’actuel enseignement scientifique de 2h par semaine serait alors complété de 1h30 à 2h de maths.
  • Les matières scientifiques, source d’inégalité – La sociologue Clémence Perronnet s’est penchée sur comment les sciences excluent les femmes, les classes populaires et les groupes ethno-racisés. Un phénomène décrypté et accompagné de solutions dans son ouvrage « La bosse des maths n’existe pas. Rétablir l’égalité des chances dans les matières scientifiques »(éditions Autrement, paru en septembre 2021). À retrouver en cliquant ici.