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Réconcilier plaisance et protection de la posidonie

Par Agathe Perrier, le 6 juillet 2020

Journaliste

@Andromède - Océanologie

Une entreprise marseillaise a créé Stop Ancre, un système à fixer sur les ancres plates des bateaux pour les rendre moins agressives pour les fonds marins. Ce dispositif agréé ne doit pas faire oublier l’essentiel : respecter l’environnement et la biodiversité, en particulier la posidonie, le « poumon » de la Méditerranée.

 

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Alain Maurin, inventeur du dispositif Stop Ancre © Agathe Perrier

Des dizaines de bateaux flottant paisiblement dans les criques ou au large des côtes, c’est le spectacle auquel nous avons droit tous les étés en Méditerranée. Bucolique en surface, mais dévastateur en profondeur, lorsque les embarcations ont jeté leur ancre sur des bancs de posidonie. Car en remontant, elles labourent littéralement cette plante aquatique vitale pour la grande bleue. Les scientifiques la qualifient en effet de « poumon de la Méditerranée » tant elle joue un rôle essentiel pour la biodiversité et la lutte contre l’érosion du littoral (bonus).

C’est pourquoi associations et organismes de défense de l’environnement, à l’instar de la campagne de sensibilisation ÉcoGestes Méditerranée (bonus), martèlent chaque été le même message : « On n’ancre pas sur la posidonie, on choisit une zone de sable », souligne Jamila Poydenot, cheffe de projets au sein du Centre Permanent d’Initiatives Pour l’Environnement des îles de Lérins et Pays d’Azur, association coordinatrice de l’opération dans la région Paca.

Rendre les ancres plus écologiques

Alain Maurin va encore plus loin. En plus de ne pas mouiller sur les posidonies, ce professeur d’électronique passionné de nautisme depuis l’adolescence a mis au point un dispositif pour rendre les ancres plus sécuritaires et écologiques. Baptisé Stop Ancre, il s’agit de deux stabilisateurs qui se fixent sur les pelles des ancres plates. Ils agissent ensuite « comme les petites roues du vélo » précise l’inventeur. « Ils permettent de guider l’ancre ce qui diminue la distance d’accrochage, empêche les dérapages et permet d’utiliser moins de longueur de mouillage ». L’enfouissement dans le sable est ainsi plus rapide et durable et évite le décrochage de l’ancre y compris en cas de changement de vent.

Imaginé pour son utilisation personnelle, son système a rapidement séduit son entourage. Tant et si bien qu’il décide de créer en 2017 son entreprise, GM PRO, pour lancer son concept. Il n’a depuis eu de cesse de tester son invention sur tous types de sols marins et, bien sûr, auprès de plaisanciers. Résultat : « On a obtenu la note de 9,3/10 après 1 000 tests réalisés par des professionnels, des associations et des plaisanciers », met en avant, non sans fierté, Alain Maurin. Le « graal » à ses yeux, mais aussi une base solide pour le développement de sa start-up.

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Une ancre plate équipée des deux stabilisateurs du système Stop Ancre © AP
S’imposer comme référence

Si GM PRO a déjà vendu plus de 1 000 exemplaires de Stop Ancre – au prix de 79 euros – la production et la commercialisation débuteront réellement à partir de 2021. Le dispositif est actuellement conçu à Toulouse. L’ambition est de le relocaliser à Roquefort-la-Bédoule en cette fin d’année, avec la création d’une vingtaine d’emplois à la clé. Un projet d’investissement chiffré entre 800 000 et un million d’euros, qu’Alain Maurin compte financer en grande partie grâce à une levée de fonds. D’abord auprès de la banque Crédit Maritime et du réseau d’investisseurs Mer Angels puis en allant chercher des fonds régionaux et européens. « Si tout va bien, on achète les machines en octobre, on commence à produire vers janvier-février et on vend des Stop Ancre d’ici l’été », s’enthousiasme l’entrepreneur.

Des essais menés fin juin par la SNSM (société nationale de sauvetage en mer) de Bandol, en présence notamment des autorités de la Marine Nationale, des Affaires Maritimes et de la gendarmerie Maritime, ont démontré qu’une ancre équipée des stabilisateurs Stop Ancre décroche à 70 km/h de vent contre 50 km/h sans. Le dispositif est également de ceux que recommande le ministère de la Transition écologique dans son guide du mouillage 2020. De bon augure pour l’avenir de la start-up provençale, qui espère s’imposer dans le futur comme la référence de l’ancrage « écologique ». Ou en tout cas le moins dégradant possible pour la biodiversité.

 

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Affiche de la campagne ÉcoGestes Méditerranée
Ancrage interdit sur les posidonies quoi qu’il arrive

Bien que Stop Ancre rende les ancres plus respectueuses des fonds marins, Alain Maurin est catégorique : « Il faut l’utiliser sur le sable en complément des zones de mouillages organisées. Interdiction sur les posidonies ! ». La protection de l’environnement est aujourd’hui au cœur de ses préoccupations. « On sera présents au congrès mondial de la nature en janvier prochain à Marseille (ndlr : d’abord prévu en juin 2020, il a été repoussé en raison de l’épidémie de Covid-19). Pas dans le cadre de Stop Ancre mais pour parler d’écologie, de la posidonie et des problèmes de mouillage », glisse-t-il. Il prône un nautisme « raisonné » en Méditerranée de sorte à pouvoir concilier activité économique et de loisir avec respect de la nature.

Du côté des ÉcoGestes Méditerranée, Jamila Poydenot n’émet pas de critique particulière sur le dispositif. Elle rappelle toutefois : « Aucune ancre n’épargne la posidonie. Le seul ancrage écologique est de ne pas mouiller dessus ». Depuis juin 2019, un arrêté de la préfecture maritime de Méditerranée interdit d’ailleurs le mouillage sur la posidonie aux embarcations de plus de 24 mètres. « Ce n’est pas la majorité des bateaux mais ce sont ceux qui font le plus de dégâts », précise Alain Maurin. Parmi les alternatives proposées : utiliser les zones de mouillages organisées ou des ancres qui ne dérivent pas. « Ce qui est le cas de Stop Ancre », ajoute l’entrepreneur.

 

alain-maurin-stop-ancreDeux ancres complètes dans les cartons

Alain Maurin planche en parallèle sur la conception de deux ancres dans lesquelles le système Stop Ancre serait intégré. L’une fixe, l’autre pliable – « à la demande des constructeurs de bateaux » – qui devraient sortir respectivement en 2022 et 2023. Une déclinaison indispensable. Car si les vieux bateaux sont majoritairement équipés d’ancres plates (80% du marché de l’ancien), les nouveaux disposent eux d’ancres charrues, incompatibles avec Stop Ancre. De quoi assurer les arrières, et le futur, de sa petite entreprise ♦

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

 

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

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Bonus [réservé aux abonnés] : La posidonie ou le « poumon de la Méditerranée » – Plus d’infos sur les ÉcoGestes Méditerranée

  • La posidonie ou le « poumon de la Méditerranée ». Comme l’explique l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse : la posidonie est une plante marine propre à la Méditerranée. Elle forme de grandes prairies depuis la surface jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur offrant abri, frayère et nourriture pour la faune. La biodiversité y est particulièrement élevée. Véritables « poumons » de la mer Méditerranée, les herbiers de posidonies protègent également le littoral de l’érosion en stabilisant les fonds meubles. Fragiles et vulnérables, ils reculent à cause de la pollution, du bétonnage du littoral ou de l’arrachage dû aux ancres des bateaux de plaisance et aux arts de pêche traînants. On ne sait pas aujourd’hui restaurer les champs dévastés, qui poussent d’environ 5 cm par an.

 

  • La campagne ÉcoGestes Méditerranée. Il s’agit de la seule campagne de sensibilisation sur la façade méditerranéenne (Paca, Occitanie, Corse). Elle s’adresse aux plaisanciers pour les inciter à des changements de pratiques, à la fois en terme de comportements et d’équipement de leurs bateaux, dans l’objectif de réduire les impacts de leurs usages. Un guide de solutions simples à mettre en pratique regroupe une dizaine d’écogestes (à retrouver en cliquant ici). Cela va de l’ancrage à la gestion des hydrocarbures, des eaux noires et grises et des déchets à la consommation d’eau ou encore la pratique de la pêche et de la plongée.

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