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Mon supermarché a 1100 patrons !

Par Marie Le Marois, le 21 mars 2019

Journaliste

Soucieux de la qualité de leur assiette et du respect de l’environnement, des consommateurs choisissent de passer derrière la caisse et de reprendre la main sur leur consommation. Voici le supermarché autogéré, dernier-né des réseaux de distribution alternative. Au Super Cafoutch, dans le centre de Marseille, ils sont 1100, à la fois patrons, employés et clients. 

 

Après les Amap, les colis de producteurs, les achats groupés, les épiceries en vrac, ce concept débarqué de New York essaime en France. En témoigne la quarantaine de ‘’petites pousses’’ installées ou en projet. Leur particularité est de fonctionner grâce à des citoyens dont ce n’est pas du tout le métier.  Comment une entreprise peut-elle être gérée par autant de personnes ? Quelle différence avec une épicerie traditionnelle?

 

Supermarché lambda

Au premier coup d’œil, rien ne diffère d’un magasin lambda. L’alimentation s’acoquine avec les produits d’hygiène et d’entretien. Le frais avec l’épicerie. Alors oui, il y a un peu de vrac, un rayon zéro déchet, des produits plutôt bio et locaux mais rien d’extraordinaire. Si ce n’est la belle énergie qui s’y dégage. Les gens affichent ici un large sourire. Les uns papotent autour des raviolis frais d’Aubagne, les autres auprès du pain solidaire Bou’Sol. Pas de différence entre clients et salariés. C’est normal : il n’y en pas.

 

Une épicerie coopérative ET participative

L'épicerie coopérative & participative pour reprendre la main sur sa consommation 13Les 1100 sont coopérateurs. Des hommes, des femmes, de 11 à 78 ans. Des entrepreneurs, des chômeurs. Des Marseillais mais aussi des gens des environs. Devenir coopérateur et acheteur est simple. Il suffit d’acquérir une part de 100 euros. Ou, de 10 euros pour les minima sociaux, les étudiants et les moins de 26 ans. Ainsi qu’assurer le bon fonctionnement du magasin en donnant chaque mois trois heures de son temps. À la caisse, au nettoyage ou à la livraison. Les plus engagés, une quarantaine, participent à l’une des sept branches de travail : gouvernance/organisation et juridique, participation des membres, informatique, financement/comptabilité, communication…

 

Choisir des produits dans le respect de l’environnement et des producteurs

La branche approvisionnement, elle, compte huit adhérents. Ce sont eux qui ont par exemple ‘’sourcé’’ les fromages de chèvre d’Augustine, l’huile d’olive Les Bastidettes ou la salade du Talus. Ils se rendent sur place dans la mesure du possible, pour vérifier que les valeurs du producteur correspondent bien à celles de Super Cafoutch : des produits bio et locaux, « mais pas que, nuance Cathy, la cinquantaine bienveillante. Nous choisissons également des producteurs en agriculture raisonnée qui respectent l’environnement mais aussi les conditions de travail car parfois, il y a un peu d’exploitation ». Une donnée qui a longuement été discutée lors des forums mensuels où les adhérents peuvent se retrouver et échanger leurs idées.

 

Un cahier de suggestions

L'épicerie coopérative & participative pour reprendre la main sur sa consommation 11

Chaque adhérents peut émettre des propositions via le cahier de suggestions des produits/producteurs. Elles sont ensuite discutées dans la branche approvisionnement, puis lors du forum mensuel. Comme leur vision de la consommation est partagé, pas de risque qu’il y ait des tomates en plein hiver ou du Nutella.

Ainsi, c’est ensemble qu’ils ont décidé de créer un rayon Zéro Déchet en cosmétique et entretien. On trouve même des éponges lavables Tawashi, des lingettes démaquillantes en tissu et un cahier de recettes DIY (Do it yourself), pour fabriquer notamment sa propre lessive.

 

La motivation des adhérents ?

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Lucile et Cathy, designer textile et psychologue, deux piliers de Super Cafoutch

Reprendre la main sur sa consommation, dans le respect de l’environnement et du producteur, reste la première motivation. Certains soutiennent le projet sans acheter, d’autres viennent faire leurs courses sans débattre aux forums. Cathy est psychologue dans un CMP (Centre médico-psychologique) à Marseille. Elle fait partie de la poignée d’aventuriers à l’origine de Super Cafoutch avec son mari, Raoul.

Elle œuvre dans le groupe Zéro Déchet de l’association et vient du 12e arrondissement de Marseille, à une dizaine de kilomètres du local. Pas vraiment la porte à côté. « Certains habitent même à la Ciotat, ils viennent faire des courses une fois par mois », précise Lucile.

 

Participer à un projet collectif

Cette jeune femme pétillante de 32 ans, designer textile en free-lance, habite elle-même à 20 minutes, dans le quartier de La Plaine. Elle a rejoint l’aventure « avec l’envie de manger bien, moins cher, et de participer à un projet collectif ». Avant, elle jonglait entre les enseignes bio, le marché du Cours Julien et la supérette. Aujourd’hui, elle fait partie de la branche « communication » et achète tout ici, « avec quand même un peu de marché car j’adore ça ».

Ce qui la passionne, c’est l’organisation collective, « faire en sorte que tous se sentent concernés et participent ». Et les habitants du quartier, plutôt populaire ? Malheureusement « trop peu sont intéressés, regrette Cathy. Mais ils viennent quand même nous voir, nous poser des questions. On échange sur la manière de consommer moins mais mieux ».

 

Et des prix accessibles

Pourtant, le groupe fait attention à proposer une gamme de prix assez large pour les adhérents les plus modestes. Étudiants et personnes en recherche d’emploi en tête. On trouve ainsi de l’huile bio de Grèce et des œufs, pas bio mais issus de poules élevées en plein air.

Les prix sont également accessibles car les employés sont bénévoles. Et la marge fixe est réduite. « Nous faisons 20% de marge fixe quand ça peut aller jusqu’à 50 ou 60% pour un magasin classique de même taille », indique Raoul, le mari de Cathy. « Nos prix sont particulièrement intéressants sur les fruits et légumes bio par rapport à la grande distribution du fait de leur marge très élevée ».

À son échelle, Lucile observe déjà 20 euros d’économie environ sur son panier hebdomadaire. Les marges sont réduites car les coûts fixes le sont aussi. À commencer par la masse salariale puisque les employés sont bénévoles. Il reste cependant des produits assez chers comme les éponges Tawashi ou les raviolis. Normal : même avec une marge faible, certains produits, notamment artisanaux, restent onéreux. Mais, « plus il y aura de produits et d’acheteurs, plus les prix diminueront », avance Raoul.

 

Du groupement d’achat Super Cafoutch au supermarché

L'épicerie coopérative & participative pour reprendre la main sur sa consommationEn moins de quatre ans, l’association est passée de 400 à 1100 adhérents. Quel chemin parcouru depuis la première commande ! « Nous étions alors 60 en groupement d’achat. Nous achetions ensemble une fois par mois une cinquantaine de produits différents – pâtes, céréales…- et préparions les colis chez les uns et les autres. Mais en passant à 400 personnes au bout d’un an, la gestion est devenue compliquée ! » Il a fallu trouver un local.

L’association sollicite alors des demandes de subventions, lance une campagne de financement participative et trouve un espace près de la Porte d’Aix, choisi « pour ses travaux possibles et son loyer correct de 880 euros plus les charges », détaille Raoul. Mini Cafoutch ouvre le 4 avril 2018 avec des horaires d’ouverture singuliers, fixés après un sondage sur les préférences des adhérents. Six mois après, le collectif embauchait deux salariés, Bénédicte et Hugues. Et, en août 2022, déménageait dans un espace de 630 m2 près du Vieux-Port.

L’espace comprend 300 m2 de surface de vente, des bureaux, des chambres froides, un espace de découpe pour pains (et fromages bientôt), un espace Tiers Lieu pour organiser réunions et groupes de travail (avec, en projet, ateliers Zéro Déchet, DIY et cuisine, conférences sur l’alimentation). Enfin, des espaces de collecte pour le recyclage et le réemploi en partenariat avec Recyclop, Corepile, les Alchimistes, l’Incassable et l’association RAMH.

 

 

Ajuster en permanence

Alors bien-sûr, on ne s’invente pas gérant d’un magasin du jour au lendemain. Les adhérents tâtonnent. Il a fallu trouver des fruits et légumes accessibles, veiller aux bonnes quantités, stocker sans perdre la marchandise. Faire attention à l’hygiène et au gaspillage, notamment pour les produits qui se conservent difficilement comme le frais et le vrac. « Toutes ces choses là, on les découvre », confie Cathy qui se souvient qu’au début, il y a eu quelques pertes, notamment en fruits et légumes. « Mais au bout d’un an, le problème s’est régulé car nous proposons des petites quantités ».

L’effet secondaire est que certains adhérents trouvaient que le choix était maigre, surtout lorsqu’ils arrivaient à l’heure de la fermeture…. Le panier moyen était de 75 euros par personne par mois. Pas vraiment beaucoup, « mais on n’était pas ouvert tous les jours, on ne proposait pas tout, et ni viande ni poisson en raison des contraintes », pondère Raoul.

 

Mobiliser les troupes reste le point faible

 

SuperCafoutch Blaise
Blaise, 25 ans, ingénieur qui bosse dans des bureaux en face la journée. Un caissier consomm’acteur et enthousiaste !

 

Autre problème : si tous sont censés donner trois heures de leur temps, ce n’est pas toujours le cas. « Pour l’instant, on joue sur la confiance, on ne contrôle pas. Mais plus on grandira, moins on aura le choix. On prendra un logiciel pour bien répartir les engagements de chacun », insiste Cathy. Mobiliser les troupes pour être ambassadeurs Super Cafoutch sur les événements-clés (Les Dimanches de la Canebière, le Marché Paysan de la Friche Belle-de-Mai…) est également compliqué. Ce sont toujours un peu les mêmes qui s’y collent. Comme dans n’importe quelle association, en somme. Et les vols ? Pas pour l’instant. La rencontre avec d’autres magasins du même type, dernièrement avec celui de Montpellier, permet d’échanger les bonnes pratiques.

 

Un nouvel élan avec l’ouverture du supermarché

L’ouverture du supermarché fin août 2022 a tout changé. Avec de nouveaux fournisseurs et producteurs (Boulangerie Salvator, glaces de Julien Laplane, savons du Fer à cheval) et une offre de vrac augmentée. Le recrutement de trois salariés qui assurent les commandes et la recherche de nouveaux fournisseurs. Et permettent aussi une bonne coordination entre les différents équipes de coopérateurs. Une plus grade amplitude horaire comparée à la mini épicerie test.

Résultat ? Les ventes ont explosé. Le chiffre d’affaires en septembre 2022, premier mois d’ouverture, s’élève à 55 000 euros. L’avenir s’annonce radieux pour ce modèle vertueux qui contribue à une alimentation durable. ♦

 

* — Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité. En espérant que cela vous donnera envie de vous abonner et soutenir l’engagement de Marcelle – le Média de Solutions —

 

 

Les besoins :

  • Des adhérents ! Pour voir si ce système vous convient, vous pouvez faire vos courses une fois sans adhérer. Et si vous adhérez et que vous êtes finalement insatisfait, il vous sera possible de récupérer votre mise, c’est à dire les parts achetées. Pour adhérer en ligne, c’est ici
  • Pour se lancer, Super Cafoutch a bénéficié de différents soutiens : la Région Sud Paca (dans le cadre de l’Appel à projet Transition économique et écologique des entreprises, pour un montant de 55 000€, pour une durée de 16 mois, pour les dépenses de ressources humaines notamment), le département des Bouches-du-Rhône (une subvention de fonctionnement d’un montant de 15 000€), la Fondation MACIF (une aide à l’investissement de 20 000€ et France Active (le cofinancement à hauteur de 50% des coûts d’une mission d’étude-action sur la faisabilité et le développement).

 

Bonus

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  • Le grand frère de Super Cafoutch est le supermarché autogéré Park Slope Food Coop. Implanté à Brooklyn, arrondissement de New-York, depuis plus de 45 ans, il compte 16 400 coopérateurs / consommateurs et réalise un chiffre d’affaire de 49 millions de dollars. Ce format existe aussi à Paris, Montpellier, Bordeaux, Nantes, Toulon (les autres en France) avec des projets déjà créés ou en devenir, notamment à Aix.
  • Pourquoi Super Cafoutch ? En référence au mot marseillais « cafoutch » qui désigne un débarras ou une petite pièce où l’on met de tout et de rien.

 

  • Projection du film documentaire franco-américain Food Coop réalisé par Tom Boothe. Il présente l’expérience du supermarché autogéré Park Slope Food Coop, suivi d’une discussion avec des membres de Super Cafoutch. Le 22 mars de 20h30 à 23h30 (penser à réserver, les places partent rapidement) au Cinéma Le Vidéodrome 2, 49 Cours Julien, Marseille (6e)

 

  • Chez Super Cafoutch, on recycle au max ! Avec Recyclop, association qui donne une seconde vie aux mégots, Plante Liège qui recycle les bouchons en liège (en objets design, matériaux isolants…) et finance la plantation de chênes-liège avec l’argent récolté. Et aussi bouchons plastique, livres (bibliothèque à disposition), boîtes d’œufs et sachets papier (à utiliser à l’épicerie).