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Sur la plage de l’Estaque, gamins des cités et policiers se rapprochent

Par Olivier Martocq, le 13 août 2019

Journaliste

Il n’a pas eu de chance Laurent Nuñez : il a plu ce qui n’était pas arrivé depuis plus de trois mois, et des rafales de vents ont singulièrement compliqué sa visite sur la base nautique de Corbière, dédiée aux minots des quartiers nord. Motif de sa présence : montrer les actions qui rapprochent les policiers des habitants, notamment ceux des cités. Un message subliminal mais une ficelle un peu grosse. En costume mais sans cravate, le numéro 2 du ministère de l’intérieur a fait le job, malgré des journalistes à la recherche de petites phrases sur les dossiers dénonçant des brutalités policières.

 

Sur la plage de l’Estaque, gamins des cités et policiers apprennent à s’apprécier 1Les dépliants de l’Office de tourisme affichent des photos idylliques des trois plages du site des Corbières et de leur panorama à couper le souffle sur la rade et la cité phocéenne. Atout supplémentaire, elles sont abritées du mistral et sûres pour les familles, car peu profondes. Ce que les cartes postales ne montrent pas, c’est l’envers du décor de ce quartier. Les tours et les barres d’immeubles des grandes cités du 16e arrondissement, aux premiers rangs desquelles la Castellane qui héberge à elle seule entre 6 000 et 8 000 habitants. Une population constituée de familles nombreuses souvent d’origine étrangère. Dans cette cité où le taux de chômage frise les 50%, les trafics en tous genres fleurissent. De nombreux jeunes sont tentés d’y prendre part notamment l’été quand ils sont désœuvrés. C’est à eux que s’adresse la base nautique des Corbières visitée par Laurent Nuñez hier après-midi. En été, tout est fait pour que les enfants et les adolescents qui ne partent pas en vacances trouvent sur ce site des loisirs à même de satisfaire les vacanciers les plus exigeants. Toutes les activités y sont gratuites : kayak, plongée, natation, voile, escalade. Elles sont encadrées par de nombreux animateurs mais placées sous la responsabilité de la Police Nationale. Un dispositif qui, selon le Major Philippe Brunetti, permet de nouer le contact. « Quelque 6 000 jeunes des cités viennent chaque année participer à nos activités. Des relations s’établissent entre les moniteurs et les élèves, affirme le responsable de la base nautique. On brise la glace. » Laurent Nuñez, qui a été préfet de police des Bouches-du-Rhône de 2015 à 2017, connaît parfaitement cette expérimentation qui relève de la prévention. Marseille faisant figure de « ville pilote » en la matière.

 

Le Club Med mais gratuit !

Sur la plage de l’Estaque, gamins des cités et policiers apprennent à s’apprécier 2« J’ai retrouvé un jeune croisé ici dans un service parisien que je dirigeais avant d’être Secrétaire d’Etat. Il a passé avec succès tous les concours. Il s’en est sorti et il est très heureux ». Au-delà de l’anecdote, le haut-fonctionnaire insiste sur la relation de confiance qui peut s’établir par ce biais entre des populations défavorisées, qui ont l’impression d’être abandonnées, et l’un des corps essentiel de la république : la police. De nombreux témoignages démontrent que dans ce contexte très favorable, effectivement, des barrières tombent. C’est Nadir qui reconnaît que « on peut être ami avec un policier », même s’il aura du mal à l’avouer dans sa cité. C’est Naïma qui remercie un maître-nageur d’avoir pris du temps avec sa fille de 5 ans qui avait peur de l’eau et a pris hier après-midi sa première leçon de natation. Ou encore Farès, vacataire de la ville de Marseille durant 3 mois comme animateur, qui se félicite d’avoir obtenu ce job d’été, comme une trentaine d’autres.

Brahim Timricht a, lui, trouvé sa vocation sur ce site. Responsable de l’association le Grand Bleu, lancée en 2000 et qui compte aujourd’hui 14 salariés, il encadre la majorité des activités 7 jours sur 7 de 9 heures à 17 heures. « Souvent, c’est nous qui faisons le lien avec les policiers. On est tous issus du quartier et des cités. On connaît les jeunes. On sait repérer ceux qui sont là pour foutre la merde ». De fait, tout n’est pas facile et il a fallu par exemple installer des clôtures et protéger tout le matériel dans des bâtiments fermés sécurisés, « car il y a eu des vols et des dégradations volontaires ». Mais plus que tout, ce qui motive les moniteurs et les animateurs c’est la réussite et la fierté des jeunes qui font des stages pour passer des brevets de secouristes ou de sauveteurs en mer : « Ils en veulent et la plupart repartent avec ce qui est souvent leur premier diplôme ».

 

Reste la réalité du quotidien

Au-delà de l’image d’une cohabitation apaisée entre jeunes des cités et touristes, sous le regard bienveillant des animateurs et policiers, une réalité sociale particulièrement dure n’en demeure pas moins. Elle est illustrée par la polémique qui oppose depuis début août les habitants du quartier à une ancienne star de l’OM locataire d’un fort appartenant à la Ville, qui donne sur la plage. Jean-Christophe Marquet qui n’en pouvait plus de l’insécurité et des incivilités a fait ériger à ses frais une clôture métallique le long du chemin qui mène du parking à la plage, réduisant la largeur de l’unique voie d’accès de moitié. Fureur des riverains et des habituées car il s’agit du domaine public. Cette barrière qui désormais protège la superbe bâtisse des visiteurs indésirables illustre surtout la fracture entre deux mondes qui, en dehors du stade Vélodrome, ne se côtoient pas. Et les belles images des plages des quartiers nord n’y changeront rien ! ♦