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Sylvain Breuzard applique à l’entreprise les principes de la permaculture

Par Philippe Lesaffre, le 17 janvier 2022

Journaliste

En s’inspirant de la philosophie de la permaculture, il a mis en place un modèle de développement alternatif au sein de sa société : la permaentreprise. Le PDG de Norsys, une compagnie de services informatiques implantée en France et au Maroc, Sylvain Breuzard entend ainsi « régénérer l’énergie et l’employabilité de ses collaborateurs ». Il propose désormais aux autres entreprises de s’inspirer de cette méthode.

 

Sylvain Breuzard l’observe depuis quelques années. « Les hommes et les femmes, jeunes ou non, recherchent du sens à leur vie professionnelle. Ils demandent un engagement concret des entreprises. » On l’a vu notamment en octobre 2018 : 32 000 étudiants ont par exemple signé un Manifeste pour un réveil écologique, car ils ne voulaient plus travailler pour des entreprises polluantes, fortement émettrices de gaz à effet de serre. Et, selon lui, « le projet de permaentreprise répond à ce type d’attente ».

Les dirigeants cherchent souvent à maximiser coûte que coûte les profits de leurs entreprises. Pas Sylvain Breuzard. Le PDG de Norsys, une société de services informatiques, a à cœur de démontrer que l’on peut, dit-il, « réussir dans le développement d’une société avec une autre vision que celle qui domine« . Voilà le projet qui l’anime, depuis le lancement de sa société en 1994 : mettre l’économie au service des êtres humains. En l’occurrence de ses collaborateurs en particulier. Cela revient à chercher les solutions, dixit Sylvain Breuzard, pour « régénérer l’énergie et l’employabilité des collaborateurs« .

 

« Besoin de se remettre en question »

Sylvain Breuzard décline dans l'entreprise les principes de la permaculture
Illustration © Étienne Appert pour le site Permanentreprise

Sylvain Breuzard s’engage en 2005 pour l’égalité entre les femmes et les hommes et met en place le CV anonyme… Mais il faut aller plus loin. « Globalement, la mise en œuvre d’une politique de RSE reste insuffisante. Les chefs d’entreprise ont besoin de se remettre en question. Il suffit de voir comment la planète se dégrade sur le plan environnemental et social. »

Il y a quelques années, le PDG découvre la philosophie de la permaculture. Bien plus qu’une série de conseils de jardinage, elle vise à trouver des moyens visant à rendre la Terre plus habitable pour les êtres humains. En d’autres termes, c’est l’idée de « prendre soin des hommes, de la planète, mais aussi de fixer des limites à la consommation et ​de redistribuer les surplus ». Autant de principes éthiques indispensables pour la permaculture. Assez vite, il comprend que celle-ci peut « inspirer un nouveau modèle d’entreprise« , adaptable à Norsys.

Alors, il saisit l’opportunité, constitue des ateliers de travail en compagnie de quelques collaborateurs. Et engage la grande bifurcation. En quelques mois, ces derniers parviennent à « identifier une vingtaine d’objectifs d’impact incontournables, basée sur la raison d’être de la compagnie, ainsi que sur les principes éthiques de la permaculture. Et qui sont utiles pour faire évoluer le monde dans le bon sens« , dit-il.

Cela passe par la redistribution de 50% des résultats de l’entreprise aux salariés et à la société civile (intégrant les impôts), ou encore l’ambition – affichée il y a trois ans – d’arriver à une contribution positive en carbone d’ici 5 à 10 ans pour son entreprise, déjà certifiée B.corp et qualifiée de société à mission depuis 2019. Ce qui avait au passage nécessité de formuler une raison d’être d’intérêt général, ainsi que de s’engager sur des objectifs sociaux et environnementaux.

 

Télétravail avant Covid-19

La permaentreprise pousse, souligne celui qui est aussi à la tête du conseil d’administration de Greenpeace France depuis 2011, à « adopter un fonctionnement très collaboratif« . Presque à se réinventer. Tout doit être pragmatique, expérimental, et, pour lui, les leviers d’action sont nombreux. « Cela peut passer par une organisation du travail remaniée, la flexibilité des horaires, la mise en place de salles de sieste et de sport, un management qui soit axé sur l’ouverture d’esprit, le dialogue, la bienveillance. »

 Sans oublier la mise en place du télétravail en 2015, favorisant un juste équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, et ce qui a réduit les émissions carbone, en évitant de nombreux déplacements… Or, il l’admet volontiers : « Sa mise en place n’a pas été facile, car de nombreux collaborateurs travaillaient chez des clients fermés à cette démarche. En 2019, 40% des personnes en ont pourtant bénéficié, et nous n’avons ainsi pas été déstabilisés lors du premier confinement. » 2020 a été au final une année de croissance. « Mais restons humbles, nuance-t-il, notre secteur d’activité est porteur. On aurait eu beaucoup plus de difficultés dans l’événementiel, par exemple. »

 

« Entreprise plus attractive »

Sylvain Breuzard, le fondateur de la permaentreprise 1La métamorphose de l’entreprise a-t-elle bénéficié aux 600 collaborateurs ? « Cela a pu renforcer l’adhésion à l’entreprise, réduire le turnover, rétorque-t-il. Proposer à des femmes et des hommes d’être des acteurs d’un projet de permaentreprise, c’est créer de l’énergie positive. Ce n’est pas négligeable en cette période actuelle. » En outre, « le modèle de la permaentreprise rend l’entreprise plus attractive. C’est important dans des secteurs à pénurie de compétences. Chez Norsys, cela nous permet d’embaucher de bons profils dans l’informatique ; il en manque des milliers en France et dans le monde »…

L’ex-président du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise, tout en indiquant que « le chemin n’est pas terminé » pour Norsys, entend montrer l’exemple. Dans l’optique que d’autres l’imitent. Auteur en 2021 de l’ouvrage illustré La permaentreprise : un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture, il intervient à plusieurs conférences, dans des ​réseaux d’entreprises, comme le salon Produrable, l’an dernier, dans des écoles, des formations ​de dirigeants… « Je sens le vent du changement, quelque chose se passe. Certains entrepreneurs se remettent en question ; toutefois, ils ignorent comment s’y prendre. Ils manquent encore un peu de lucidité. » Et de poursuivre : “Les entreprises voient bien qu’il y a des attentes de la part des salariés, sociales comme environnementales, et qu’il y a de la fragilité, des burn-out, mais derrière, que se passe-t-il ? Il faut une approche globale. »

 

« On peut faire bouger les lignes »

Ainsi, il passe la seconde. Il vient de créer – en 2021 – l’école des permaentrepreneurs, pour faire connaître ce modèle de développement et former le plus de monde à sa mise en œuvre. La première promotion, composée de chefs d’entreprise, de responsables RSE, de consultants, a été constituée à l’automne dernier. La promesse : qu’à l’issue de la formation, organisée dans les locaux parisiens de Norsys, les dirigeant.e.s puissent concevoir « un référentiel de permaentreprise pour transformer leur société« .

Car, oui, « on peut faire bouger les lignes ». Et peu importe la taille de la société et le secteur d’activité. « Cela peut prendre du temps, tout dépend d’où part l’entreprise. Pour certaines, je l’admets, c’est plus difficile. » Comme les compagnies pétrolières, notamment. Or, ce qui est certain, c’est qu’il faut, dit-il, “embarquer tout le monde”. Dans le cas contraire, cela peut être source de blocage : « Si les actionnaires ne sont pas ouverts à ce modèle, n’y pensez pas ! Il faut sensibiliser à ce niveau et convaincre que ce modèle de permaentreprise crée effectivement un cercle vertueux économique alors qu’il rejette le principe de maximisation des profits, qui s’avère destructeur. »

 

Bonus
  • Le livre. Sylvain Breuzard revient sur son parcours, sur l’origine de la permaculture, plutôt connue pour son application dans l’agriculture. Il explique comment les concepts imaginés par David Holmgren et Bill Mollison (“prendre soin de la Terre, des hommes, se fixer des limites et partager les surplus”) peuvent s’adapter au monde de l’entreprise. C’est un guide utile pour comprendre les principes et s’en emparer pour sa propre entreprise.

La Permaentreprise. Un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture, de Sylvain Breuzard, publié aux éditions Eyrolles (2021)

  • Informations pratiques pour la formation. Elle se déroule chez Norsys. Elle est ouverte aux dirigeant.e.s ou collaborateurs.trices qui auront à piloter le projet permaentreprise en interne, aux consultants désireux d’accompagner leurs clients sur cette voie. Maximum 10 personnes par promotion. Prix : 5 000 euros HT et tarif préférentiel à 3 000 euros HT pour toute personne inscrite un mois avant le début de la formation.