Solidarité

Par Maëva Gardet-Pizzo, le 22 mars 2024

Journaliste

Julie Nicol : Un toit à Soi loge les sans domicile

Pour Toit à moi, l'accès au logement va de pair avec un accompagnement complet de la personnes privée de logement, avec la création d'une communauté pour l'entourer. @MD
[Héros Du Quotidien] D’après la Fondation Abbé Pierre, 330 000 personnes auraient été privées de logement en France en 2022, soit 33 000 de plus que l’année précédente. Pour y faire face, Toit à moi met en place des campagnes de financement participatif permettant d’acheter des logements pour des personnes qui en sont privées. Née à Nantes, l’association a depuis essaimé partout en France, notamment à Marseille, où elle est portée par Julie Nicol. Une femme déterminée que Marcelle avait rencontré en septembre dernier, au moment des dernières retouches d’un logement qu’occupe désormais un homme, accompagné de son chien.
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Un samedi de septembre à Marseille, dans un petit appartement du quartier des Chartreux. Un meuble d’entrée à monter, une salle de bain et une cuisine à récurer. Une horloge à poser… « Ce qu’il y a de bien, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à faire », assure Julie Nicol, directrice de Toit à moi à Marseille.
L’appartement, 33 mètres carrés, était en parfait état au moment de son achat. Un achat rendu possible grâce une campagne de financement participatif qui permettra bientôt d’offrir un toit à une personne sans logement. « Le logement devrait être occupé à partir du 9 octobre. Nous terminons les consultations auprès de nos partenaires», des acteurs de l’hébergement qui suggéreront à Toit à moi des profils de personnes susceptibles de venir s’installer ici, entre ces murs saumon et pastel.

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Sous la mezzanine, un lit à tirer, pour économiser de l’espace. @MD

De Nantes à Marseille

Le concept est bien rôdé. Née il y a quinze ans à Nantes, l’association Toit à moi a depuis fait des petits aux quatre coins du pays. Et à Marseille, c’est Julie Nicol qui, après une carrière dans l’univers du logement, a eu envie de bâtir de toutes pièces cette antenne locale. En 2022.

Depuis, l’antenne marseillaise a déjà logé une personne. Un homme, la quarantaine, aujourd’hui présent comme bénévole, appliqué à monter une table à repasser. Il se fait appeler Marcel. Tresses nouées en chignon, survêtement noir remonté sur les mollets, il a passé six années à la rue.

♦ (re)lire : Toit à moi offre des clés aux personnes à la rue

Travaillant comme saisonnier dans l’hôtellerie-restauration, il perd un jour le logement qu’il occupe à Marseille. « Là, c’est l’engrenage », dit-il, passant une main derrière sa nuque. « Alors je dors un peu à l’hôtel, à droite à gauche chez des amis, de la famille ». Les HLM ? Même pas la peine d’y penser. Seul, célibataire, il faudrait attendre des années. Le 115 ? « Je préfère encore dormir dehors ». Il passe parfois quelques nuits dans des centres d’hébergement. « Mais certains étaient surtout destinés aux drogués. Moi, je ne suis pas de ce monde ».

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Dans ce deuxième appartement, peu de choses à faire. Bien équipé, il est aussi en parfait état. Reste juste à passer un coup de ménage, et à ajouter quelques meubles. @MD

« On aide les gens sur la durée »

S’ensuit la parenthèse covid. Le néant. Plus le moindre boulot à se mettre sous la dent. La rue. En continu. Jusqu’à ce que le réseau solidaire de La Cloche le mette en relation avec Julie. Le 29 mai 2022, il a enfin les clés d’un appartement à lui. Il peut souffler. « Pendant quatre mois, j’ai eu beaucoup de mal à sortir du lit. Trop fatigué ». Aujourd’hui, il reprend pied. L’association lui laisse le temps qu’il faut. « C’est ce qui est bien avec cette association. On aide les gens sur la durée », assure Véronique, bénévole depuis 2022, tout en nettoyant la cuisine.

Une cuisine tout équipée. « Le propriétaire savait à qui il vendait l’appartement. Alors il a tout laissé », sourit Julie, sortant d’un tiroir une roulette à pizza, et même une boîte d’allumettes pour la gazinière. L’appartement comprend aussi de nombreux objets offerts par le réseau de l’association. Une communauté appelée à soutenir les personnes au-delà du seul accès au logement, qui n’est qu’un des deux piliers de Toit à moi.

Un accompagnement complet

« Le second pilier, c’est l’accompagnement de la personne sans abri », explique Julie. « On l’aide à se reconstruire et à construire un projet de vie ». Ce, au moyen d’une approche globale, au plus près des besoins, en lien avec des structures partenaires, spécialisées, par exemple, dans la précarité énergétique, ou encore dans la gestion des addictions.

Pendant ses six années de rue, Marcel avait par exemple perdu tous ses papiers administratifs. Il a fallu les refaire, ce qui a pris un an. Il ne s’était par ailleurs pas occupé de sa santé. « Depuis que Toit à moi m’accompagne, j’ai fait un check-up complet ». Contrôles du cœur. De la vue. « J’ai découvert que j’étais myope ». « Depuis, il ne quitte plus ses lunettes », sourit Julie. « Je ne pouvais plus regarder la télé à plus de 30 cm. Je voyais trouble dans la rue. Maintenant, je revis ».

Ce qu’apprécie aussi Marcel, c’est le lien humain qu’il a retrouvé ici. « Le contact humain, c’est vraiment ce qui m’a manqué pendant ces années à la rue. J’ai vraiment souffert de la solitude ».

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A gauche, Véronique. A droite, Chloë. Toutes deux bénévoles de Toit à moi à Marseille. @MD

Un format de bénévolat flexible

La communauté marseillaise Toit à moi est composée d’un conseil d’administration aux profils aussi utiles que divers (bonus), mais aussi d’une équipe de bénévoles qui trouvent ici une manière de combiner envie de s’engager et flexibilité vis-à-vis de leurs contraintes personnelles.

Chloë, qui a monté le petit meuble d’entrée, est nouvelle dans l’association. Elle a 28 ans et est ingénieure aéronautique. Arrivée sur Marseille il y a un an, elle a envie d’agir et trouve Toit à moi Marseille via la plateforme gouvernementale Je veux aider. « J’avais pensé participer à des maraudes, mais j’aurais eu du mal à être disponible. Ici, on s’implique en fonction de nos capacités et l’ambiance est agréable. On vient parce qu’on en a envie. On ne se sent pas obligé ».

Depuis son arrivée en mars dernier, elle a participé à plusieurs événements collectifs. Ramassage de déchets sur les îles du Frioul. Tenue de stands lors d’événements. Les bénévoles ont aussi donné à Marcel une fête d’anniversaire qui l’a ému. « C’était génial. J’étais vraiment super content », se remémore-t-il pensif, bras croisés avant de scruter ce nouvel appartement. « Je pense que ça va être bien ici ».

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Julie Nicol, directrice de l’association marseillaise @MD

De nouveaux projets

Six mois plus tard, l’association marseillaise a grandi. Julie peut désormais s’appuyer sur une chargée d’accompagnement qui lui permet de consacrer davantage de temps au développement de la structure. « Nous essayons de finaliser le financement d’un troisième logement. J’aimerais que l’on puisse y accueillir quelqu’un au cours de l’été prochain, je suis peut-être optimiste », sourit-elle.

L’association est également impliquée sur d’autres projets parallèles. Comme le défi national Courir pour toit qui, du 15 au 31 mars 2024, incite tous les Français – citoyens, salariés …- à enchaîner des kilomètres pour collecter de l’argent pour Toit à moi. « L’an dernier, nous avions collecté 120 000 euros. On aimerait faire encore mieux cette année ».

L’antenne locale s’engage par ailleurs contre la précarité énergétique. « Nous avons un gros projet avec la Deets 13 et Plateo. Nous aimerions obtenir des financements pour mener des travaux de rénovation énergétique dans les logements que nous proposons aux personnes et pour créer du contenu pédagogique ». Des outils qui pourraient être mis à disposition des autres antennes de Toit à moi. Contribuant à améliorer plus encore la vie des personnes, dans un contexte d’inflation dont pâtissent surtout les plus modestes.♦

Bonus

[pour les abonnés] – Des loyers modulables – Une équipe forte de profils variés – Comment aider ? – Un million de personnes sans logement en France –

  • Un toit à soi pour se reconstruireDes loyers modulables – Les personnes mises à l’abri par Toit à moi sont locataires de leur logement. Pour cela, elles s’acquittent d’un loyer inférieur de 20% à la moyenne du marché. Et ce loyer peut encore être modulé en fonction de la situation de la personne, le temps que celle-ci retrouve une source de revenus pérenne. Avec pour enjeu d’accompagner les personnes dans la gestion d’un budget.
  • Une équipe pleine de ressources – Parmi la communauté Toit à moi à Marseille, on trouve des profils très variés : architecte, agent immobilier, géologue, éducateur spécialisé… Une complémentarité qui renforce l’approche à 360° proposée par l’association. Celle-ci s’appuie en outre sur un parrain susceptible de lui apporter de la visibilité : le chercheur, auteur et chroniqueur marseillais Médéric Gasquet-Cyrus.
♦ Lire aussi : Contre le mal-logement, les ch’tites maisons solidaires
  • Comment aider ?  – « Si 120 personnes donnent 20 euros par mois pendant cinq ans, cela paie un logement », assure Julie Nicol. Pour contribuer, chacun peut apporter sa pierre à la campagne de financement participatif en cours, pour laquelle il manque 50 donateurs à ce jour. Il est possible de suivre l’association sur les réseaux sociaux, celle-ci peut ponctuellement faire appel à des dons en nature. Toit à moi est enfin à la recherche de mécènes qui lui permettront d’accélérer et d’accompagner toujours plus de personnes privées de logement. Cela vaut à Marseille, mais aussi dans les 14 autres implantations de l’association, partout en France.
  • Un million de personnes privées de logement en France – D’après le rapport de 2022 de la Fondation Abbé Pierre, plus d’un million de personnes sont privées de logement en France. Parmi elles, 330 000 sont privées de domicile, 25 000 résident principalement dans des chambres d’hôtel, 100 dans des habitats de fortune tandis que la majorité (643 000) dorment malgré eux chez de tierces personnes. Des chiffres en hausse, le nombre de personnes sans domicile ayant doublé depuis 2012 et même triplé depuis 2001.