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Transition des territoires : comment mobiliser les élus ?

Par Philippe Lesaffre, le 13 avril 2023

Journaliste

Des recommandations, à propos de la rénovation thermique des bâtiments ou sur la végétalisation des repas © Unsplash

Les scientifiques alertent : les territoires, fragiles, vulnérables, ont à s’adapter aux effets perceptibles du changement climatique. Mais comment aider les collectivités à s’engager, en particulier sur l’alimentation ? Le Shift Project ouvre quelques pistes.

 

Dorénavant, le sujet n’est plus discuté du côté des élus. « Tout le monde a bien saisi que le changement climatique était d’origine anthropique, il n’y a plus de débat », estime Corentin Riet, chargé de projet « résilience des territoires » au Shift Project (lire bonus). Pour autant, l’heure est encore à la sensibilisation, pour le co-auteur du cahier Climat, crises : comment transformer nos territoires. « Il faut donner les clefs pour aider les collectivités à bâtir une stratégie de résilience globale… » Car si certains élus, conscients des enjeux et mobilisés, prennent le taureau par les cornes pour contourner les difficultés d’ordre financier ou politique et puis agir, une majorité voit encore le défi climatique comme « un sujet secondaire ou technique » qui s’ajoute à la pile de dossiers du quotidien. Erreur, puisque « cela touche tous les secteurs ».

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Le défi climatique n’est pas un sujet secondaire ou technique ©Pixabay

Donc, insiste-t-il, pour emprunter le chemin de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique, il faut « les accompagner au quotidien ». Et d’abord prendre en compte les particularités de la géographie, en montrant bien que l’ensemble des territoires, où qu’ils se trouvent, sur le littoral, sur une zone de montagne, à la campagne ou dans une région urbaine, demeurent fragiles et vulnérables aux effets du changement climatique. Tempêtes, submersion, risques hydriques, fonte des glaciers… Il est nécessaire de cartographier les risques en vue de protéger les constructions humaines (bonus).

 

Des plateformes pour aider les collectivités

Par exemple, via la plateforme gouvernementale Géorisques, permettant d’identifier certains risques en fonction de la géolocalisation. À noter que le think tank The Shift Project, cofondé par Jean-Marc Jancovici, sort son propre outil, Shift my town, qui donne les principales caractéristiques des différentes zones en France, comme le taux d’artificialisation des sols, le nombre des émissions émises sur le territoire ou la part des habitants qui dépendent de leur véhicule individuel pour se déplacer.

Bien qu’elle sorte en mai, la plateforme est d’ores et déjà disponible. L’association apporte des recommandations, à propos de la rénovation thermique des bâtiments ou sur la végétalisation des repas. Objectif : permettre aux élus, donc, d’ « engager une redirection pour améliorer la résilience ».

Mais au-delà des conseils et des statistiques – au demeurant, très utiles –, il faut « bouger » la classe politique. Et afin de déclencher l’envie de mobilisation, encore faut-il utiliser les bons arguments, et convaincre : « Les élus seront prêts à transformer leur territoire s’ils se rendent compte que cela leur permettra de le rendre plus attractif et de protéger les habitants. » Éclairer sur les bénéfices d’une politique de bifurcation fonctionne. Corentin Riet et Laurent Delcayrou l’écrivent dans leur cahier Climat, crises : comment transformer nos territoires : « Les actions locales d’atténuation et d’adaptation améliorons la sécurité, mais aussi la qualité de vie et le bien-être des habitants. »

 

♦ Lire aussi : Comment redonner aux citoyens le goût de l’engagement ?

 

Sujet « clivant »

Transition des territoires : comment mobiliser les élus ?
Il faudrait réduire notre consommation de produits d’origine animale, notamment carnée @Unsplash

Comment y arriver sur des sujets centraux, mais tout autant « clivants » et « polémiques », tels que… l’alimentation ? Le Shift Project incite les acteurs à se mettre autour d’une table pour dialoguer. « Les acteurs économiques et publics ont tout intérêt à s’y mettre… » Surtout que le secteur alimentaire est tout de même responsable de 24% de l’empreinte carbone moyenne d’un Français (selon les chiffres du Haut Conseil pour le Climat en 2019). Corentin Riet l’indique, il faut que nous parvenions à « réduire notre consommation de produits d’origine animale, notamment carnée ». La viande et le lait représentent les deux tiers des émissions de GES de notre alimentation. Et mobilisent plus de 72% de la surface agricole en France.

Or, parier sur des repas plus végétaliens et plus locavores (avec l’aide de producteurs et de commerçants locaux !) permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre et ainsi emprunter le chemin de la sobriété. Plus exactement, à la cantine, les plats avec viande devraient « devenir la norme », précise Corentin Riet. Le think tank de Jean-Marc Jancovici propose, dans la restauration collective, de « servir deux repas végétariens par semaine ». Et d’opter pour du bœuf une fois par mois, en préférant de la volaille, notamment.

 

Fruits et légumes : la nécessaire relocalisation

À l’instar de la municipalité de Lyon qui, depuis l’an dernier, entend végétaliser l’assiette des enfants de ses 129 cantines. Pour inviter les uns et les autres à s’engager, il peut être utile de montrer ce qui marche. De valoriser des initiatives locales ici ou là, portées par certaines collectivités engagées et pionnières en la matière, comme Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, ou Valence-Romans, dans la Drôme. « Cela pèse dans les discussions », note Corentin.

Toujours intéressant afin de pousser à la création de nouvelles « ceintures vivrières », qu’il appelle de ses vœux. En tout cas, en ce qui concerne les fruits et les légumes. Lui recommande cette relocalisation ciblée afin d’ « éviter les nombreux transports de ces marchandises fragiles et périssables ». Selon l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), un tiers des émissions liées au transport alimentaire concerne les fruits et les légumes. Plus de 40% des tomates, des courgettes et des concombres commercialisés, puis consommés en France viennent de l’étranger. Parfois, la part de l’importation du produit est encore plus élevée, près de 80% pour le raisin, par exemple.

 

♦ Relire : Solar Impulse labellise des solutions pour sauver la planète

 

Reconversion d’actifs urbains

Ainsi, « les collectivités peuvent soutenir les producteurs et aider à la reconversion d’actifs urbains vers des activités agricoles, en zone urbaine ». Des lieux également à visée pédagogique, en particulier pour les plus jeunes. Et Corentin de citer l’exemple de Vannes qui a lancé en 2019 une régie municipale pour faire pousser fruits et légumes, visant à couvrir une partie des repas de plusieurs crèches municipales. Une première en France.

Qui peut être duplicable ailleurs ? « Sur le plan physique, la réponse est oui dans la plupart des villes, car cela demande peu d’espaces fonciers. Mais cela nécessite toutefois un accompagnement des agriculteurs et un certain nombre de moyens au départ, nuance-t-il. Sans oublier que la période n’est pas la plus propice… vu le contexte d’inflation.

 

Valorisation des biodéchets

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Les biodéchets : en moyenne, en France, ils représentent un tiers de nos poubelles ©Unsplash

Promouvoir une alimentation plus végétale, relocaliser une partie de la production sur le territoire… puis valoriser les biodéchets. En moyenne, en France, ils représentent un tiers de nos poubelles, selon l’Adème (et nous l’avons bien remarqué, par exemple à Paris lors de la grève des éboueurs contre la réforme des retraites). D’ailleurs, à partir du 1er janvier 2024, l’ensemble des ménages devront avoir une solution pour trier les restes alimentaires. Que ce soit via la formule du porte-à-porte (passage d’un camion-benne) ou grâce à des composteurs collectifs ou individuels. Les déchets sont utiles par exemple pour aggrader la terre (cela permet de limiter les apports d’engrais) et pour la méthanisation, aussi.

Or, l’heure tourne… « Dans les grandes villes, les retards s’accumulent », observe-t-il. Pas sûr que les collectivités y arrivent à temps… À Paris, par exemple, certaines bennes spécifiques ont été installées sur la voie publique de manière permanente, notamment sur l’emplacement de plusieurs marchés. Cette solution semble être privilégiée par rapport au porte-à-porte. Seuls trois arrondissements parisiens sont concernés, et l’ensemble des habitants n’en profitent pas, souvent en raison d’un manque de place dans les immeubles, dans lesquels ne peuvent être rangées systématiquement les différentes poubelles en fonction des flux.

Les communes ont encore du pain sur la planche ! ♦

 

Bonus

  • The Shift Project. C’est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, guidé par l’exigence de la rigueur scientifique. Pour éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique. Sa tête de proue est Jean-Marc Jancovici, président-cofondateur, ingénieur polytechnicien.

The Shift Project est soutenu par des leaders économiques qui veulent faire de la transition énergétique leur priorité stratégique. Il est épaulé par un réseau de plusieurs milliers de bénévoles regroupés au sein d’une association : The Shifters. Depuis notre création en 2010, nos travaux ont eu un impact notable sur l’élaboration des politiques publiques nationales et européennes.

 

  • Nouvelle cartographie. Le réchauffement climatique au cours du XXIe siècle en France pourrait être 50% plus intense que ce que l’on pensait. C’est le résultat de nouvelles projections sur le climat futur qui viennent d’être réalisées par une équipe du CNRS, de Météo France et du Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique. Si les tendances actuelles d’émissions de carbone se maintiennent, la température moyenne de l’Hexagone sera 3,8 °C supérieure à celle du début du XXe siècle. Un chiffre qui pose d’immenses défis d’adaptation et promet des changements sévères dans l’agriculture et les écosystèmes français. Depuis l’ère préindustrielle, la France a vu sa température augmenter de 1,7°C.
♦ (re)lire : Des avions pour repérer les passoires thermiques

 

  • Impact. Les effets du changement climatique peuvent avoir des répercussions négatives sur les constructions humaines du monde. Une société australienne d’analyse de risques XDI, spécialiste du conseil aux décideurs, aux grandes entreprises, a réalisé un classement mondial des zones les plus vulnérables. Zones commerciales, sites industriels… Dans le monde, l’Asie est particulièrement touchée, la France aussi. La première zone à risque ? Les Hauts-de-France. La région, à la 6e place européenne, se hisse au 121e rang mondial, devant Provence-Alpes-Côte d’Azur (176e), Grand Est (200e), Occitanie (237e), Pays de la Loire (239e), Nouvelle-Aquitaine (243e), ou encore Auvergne-Rhône-Alpes (253e).