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Non, le tri des emballages n’est pas du « fake »

Par Marie Le Marois, le 17 mai 2023

Journaliste

Trier papiers et emballages permet de diminuer considérablement le contenu de sa poubelle, mais aussi de recycler la plupart des matières. Des usagers réfractaires estiment l’action inutile : tout partirait aux ordures ménagères. Or, depuis 2022, 100% des emballages sont traités. Enquête au centre de valorisation de la Métropole Aix-Marseille-Provence, aux Pennes-Mirabeau, qui trie 40 500 tonnes de déchets par an.

 

Colonnes de tri verre et papier:emballages
Colonnes de tri verre et papier:emballages @Marcelle

Bouteilles de lait, boîtes de conserve, paquets de gâteaux s’amoncellent dans notre sac à l’entrée de la cuisine. Prêts à être apportés à la borne de tri collective, à 300 mètres. Parfois nous houspillons nos enfants : ils y ont jeté leur peau de banane ou, au contraire, ont omis d’y mettre la barquette en plastique du jambon. Parfois nous pestons contre la Métropole. Le bac jaune est plein et nous repartons bredouilles avec notre sac tout aussi débordant – qui patiente quelques jours supplémentaires à la maison. Alors quand des amis répètent à l’envi que trier est inutile, que les éboueurs, à Marseille, versent tout avec les ordures ménagères, et que d’ailleurs ils ont un copain qui les a vus faire, le doute s’immisce dans notre esprit.

 

Chaque année, les Français produisent environ 39 millions de tonnes de déchets ménagers, soit 583 kg par habitant (chiffres 2019). Ils coûtent chers : 10,9 milliards d’euros annuels (gestion et traitement).

10 tonnes de déchets traités par heure

Hall de déchargement
Hall de déchargement des déchets sur le site Jas de Rhodes ©Sylvie Villeger

Nous profitons de la visite de l’association Zero Waste Marseille (voir bonus) au centre de tri géré par Suez, aux Pennes-Mirabeau, pour nous glisser parmi les participants du Défi des familles Zéro Déchets et comprendre ce que devient le contenu des bacs jaunes. L’Écopole Jas de Rhodes réceptionne et trie les déchets en provenance de 1,5 million d’habitants répartis sur quatre zones (Pays d’Aubagne et de l’Étoile, Pays d’Aix, Istres-Ouest, Marseille et ses 17 communes limitrophes). Il est impressionnant par sa taille, 56 hectares et ses quatre activités (bonus). Mais aussi par le contraste entre la Méditerranée, avec ses îles du Frioul au loin et le site : des montagnes de matières compactées et un ballet incessant de camions. 

Certains véhicules apportent les détritus des communes et les déversent après être passés à la pesée. D’autres viennent chercher les balles de matières issues des déchets traités, pour les conduire vers des centres de valorisation. « Le métal part chez ArcelorMittal (à terme, l’acier produit en France contiendra jusqu’à 25 % d’acier recyclé NDLR), le papier à Épinal dans les Vosges et les plastiques dans différents endroits selon leur composition – centre, nord, Bordeaux, etc. », détaille Magalie, l’une des bénévoles de France Nature Environnement qui assure la visite (bonus). Automatisé depuis 2010, le débit du centre Jas du Rhode est d’environ 10,5 tonnes par heure avec une équipe le matin, l’après-midi (Rebond Insertion). Et la nuit depuis la grève des poubelles, « pour rattraper le retard », précise la jeune femme.

 

 

Et passés au peigne fin 

Non, le tri des emballages n'est pas du ''fake'' 2
Déchets plastiques @Pixabay

Dans le hall de déchargement, les déchets issus des points de collecte sélective sont mis sur une trémie d’alimentation. Des agents de tri retirent les erreurs de tri (cagette en plastique, grille-pain, disque de frein… « On trouve de tout dans les bacs jaunes ! », se désole Raymond, un autre bénévole. 

Les employés retirent également les gros cartons. Ces derniers seront directement conditionnés et évacués vers des filières de recyclage, car précieux. « Avec la hausse du bois, le prix des déchets carton s’est envolé », poursuit Magalie. Les déchets restants passent ensuite par le trommel qui permet de les séparer en fonction de leur taille. Les plus petits tombent dans le crible balistique.

 

♦La part de déchets non triés (poubelles grises) s’élève à 249 kg par habitant. Or,  selon un rapport de la Cour des comptes 2022, 80% de ces ordures ménagères résiduelles (OMR) pourraient faire l’objet d’une valorisation si elles étaient triées par les usagers et orientées vers des filières de traitement spécifiques.

Séparation corps plats et creux

Cabine d'affinage de tri
Cabine d’affinage de tri ©Sylvie Villeger

Les autres, les objets, sont secoués et séparés grâce à un mouvement elliptique. Les corps plats (papiers, cartons, films plastiques) sont conduits vers des trieurs optiques. Les corps creux (flacons, bouteilles, canettes, briques alimentaires…) sont envoyés au préalable vers l’Overband, un aimant qui permet de capter l’acier. Le séparateur à courant de Foucault permet quant à lui d’extraire les déchets uniquement composés d’aluminium. 

Tout au long de leur voyage dans le centre de tri, les corps plats et creux transitent sur différents tapis à grande vitesse pour être passés au scanner appelé ‘’les trieurs optiques’’. En effet, les bouteilles en plastique n’auront pas la même destination que les flacons de shampoing ou les films plastiques. Enfin, des opérateurs de tri interviennent pour contrôler la qualité du tri mécanique des machines ou prélever les erreurs (les déchets qui ne sont ni des emballages ni des papiers). Les matières triées tombent ensuite dans des boxes. Elles sont dirigées vers une presse à balles pour être conditionnées en vue de leur transport vers des filières de recyclage.

 

 

100% des emballages triés

Balles de matières recyclables
Balles de matières recyclables ©Sylvie Villeger

Avec l’Extension des Consignes de Tri – projet national qui vise à simplifier le geste de tri depuis le 1er octobre 2022 -, il est possible désormais de jeter 100% de ses emballages. Y compris pots de yaourt, films alimentaires, enveloppes sous vide (pour le jambon par exemple), Blister (emballage-coque), tube de dentifrice, boîte à pizza, paquets de chips et polystyrène. Pour ces deux derniers, des études sont en cours sur les possibilités de recyclage et de filières de valorisation.

De l’usine sortent 12 flux, la plupart valorisés. Les métaux (entre 1 et 1,5 kilotonne par an) seront broyés puis fondus, pour une nouvelle vie : boîte de conserve, cadre de vélo, carrosserie de voiture… Les papiers et les cartons (entre 25 et 30 kt) seront lavés, broyés puis transformés en pâte qui servira à la fabrication de nouveaux produits : papier recyclé, boîtes en carton, œufs… Les plastiques transparents PET (entre 2 et 3 kt), principalement les bouteilles, sont lavés, broyés finement pour fabriquer des paillettes qui seront à nouveau fondues pour de nouvelles bouteilles, rembourrage de couette, vêtement, maillot de bain…  Enfin, les plastiques opaques PEHD (1 kt), majoritairement des flacons (lessive, shampoing…), sont fondus et entrent dans la composition de tuyaux, bancs publics, arrosoirs, sols de gymnase…

 

♦La ‘’redevance incitative’’, pour ou contre ? Plusieurs communes font payer les usagers selon le poids de leurs poubelles noires pucées. L’objet est de les inciter à diminuer leurs déchets et à augmenter le tri. Moins on produit de déchets, plus on trie, et moins on paye. Sa mise en place n’est pas sans difficulté.

 

30% de refus de tri à Marseille

Le flux du refus de tri ©Sylvie Villeger

Parmi les 12 flux triés à Jas de Rhodes, il y a également les refus de tri : tous les déchets qui ne rentrent dans aucune case et qui partent en indésirables. Marseille et ses 17 communes limitrophes, dont 67 tonnes environ sont traitées chaque matin, a 30% de son tri refusé – « 20% pour Aix », note Raymond. La raison ? Les Marseillais glissent n’importe quoi dans les bacs jaunes (on l’a vu, plaquettes de frein, grille-pain…) ou ne maîtrisent pas les consignes de tri, rendant leurs déchets indétectables. 

Contrairement aux idées reçues, il ne faut pas aplatir sa bouteille de lait avant de la jeter, « sinon, elle ne sera pas reconnue par la machine, ni comme creux, ni comme plat. Et partira dans les indésirables ». Idem pour les bouchons, s’ils ne sont pas laissés vissés sur les bouteilles, ils terminent dans les indésirables, car ils mesurent moins de quatre centimètres (comme les opercules d’ailleurs ou les petits papiers). Enfin, les emballages doivent être vides et pas imbriqués. Ainsi, contrairement à ce que nous pensions, glisser l’étui plastifié du paquet de gâteau dans son carton ou l’emballage sous vide du jambon dans la boîte de céréales est une erreur. « Car la machine ne pourra pas les différencier », précise Françoise. Et d’ajouter qu’en revanche, on peut rassembler les déchets de la même famille, les pots de yaourt par exemple.

Le refus de tri est récupéré par l’envoyeur – ici Marseille – puis acheminé en camion à EveRé, l’incinérateur situé à Fos-sur-Mer (bonus).

 

 

Indispensable de recycler, mieux de réduire ses emballages

Polartec femme
Veste North Face avec Polartec 200. Depuis 1993, Polartec a recyclé plus de 1,5 milliard de bouteilles plastiques pour fabriquer des tissus techniques performants. @The North Face

Parmi les participants du Défi des famille Zero Déchets, les questions fusent. « Peut-on mettre les emballages souillés ? » « Et les grands cartons ? » Les bénévoles répondent qu’il n’est pas nécessaire de laver les contenants, telles les briques de sauce tomate (comme d’ailleurs les pots en verre). « Ça ne sera à rien et au moins, on ne gaspille  pas d’eau », argumente Françoise. Quant aux cartons, ils peuvent être jetés. Mais de préférence pliés ou en morceaux « pour ne pas prendre toute la place dans le bac ». 

Frédéric, un père de famille qui recycle déjà, se demande s’il ne vaut pas mieux tout incinérer plutôt que recycler. « Recycler une bouteille en plastique n’est pas neutre. Son traitement nécessite énergie et eau, pollue et coûte de l’argent ». France Nature Environnement approuve le fait que le recyclage, s’il est primordial, n’est pas la solution pour les émissions de CO2 (bonus) et notre portefeuille. Cependant, son impact sur l’environnement et la santé est bien moindre que celui des déchets enfouis ou incinérés. Et évite en partie d’extraire des matières vierges – les arbres pour le carton par exemple.

La meilleure solution selon l’association ? Les premiers verbes de la règle des 3 R (Réduire, Réutiliser et Recycler). Après cette visite, il devient évident que notre famille doit faire des efforts pour passer de quatre sacs d’emballage hebdomadaire à un. Et les enfants remplacer les paquets de gâteau par le goûter à l’ancienne, pain et confiture.♦

 

Bonus

  • Défi famille ‘’Zéro Déchet’’ : L’association Zero Waste Marseille a lancé le Défi des Familles Zéro Déchet dans 18 communes. L’idée ? Aider 100 familles à acquérir les outils et les connaissances nécessaires à un mode de vie plus écologique. Et par ricochet, réduire leur consommation, leurs dépenses et leurs déchets. Ce défi, étalonné sur six mois, est ponctué de différents ateliers. ‘’Anti-gaspillage’’ (astuces et recettes antigaspi), ‘’compostage de ses déchets alimentaires’’, etc. Et de visites : Le centre de tri de Suez, l’incinérateur d’EveRé et des ressourceries. La prochaine rencontre est l’atelier tri et recyclage, pour aller encore plus loin dans les bonnes pratiques.

 

  • Non, le tri des emballages n'est pas du « fake » 3
    Papiers prêts à être acheminés dans les usines de valorisation ©Sylvie Villeger

    Ecopôle Jas de Rhodes, quatre activités principales gérées par Suez : tri des déchets ménagers recyclés issus des particuliers. Tri des déchets industriels. Enfouissement des déchets non recyclable et non dangereux d’Aubagne. Valorisation énergétique des déchets enfouis – le méthane et le lixeviat. Ce dernier est un jus produit sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de la fermentation des déchets.

 

 

  • France Nature Environnement 13 rassemble, dans les Bouches-du-Rhône Agir, 50 associations. Elle intervient principalement sur 13 thématiques. Agriculture, air et bruit, aménagement durable, biodiversité, climat, eau et rivière, gestion des déchets, etc. Pour visiter le centre de tri Jas de Rhodes : fne13.contact@gmail.com

 

  • Incinérer ou enfouir ? Les déchets des poubelles grises de Marseille sont incinérés dans l’incinérateur EveRé à Fos-sur-Mer. Ceux d’Aubagne sont enfouis à l‘Ecopôle Jas de Rhodes, ce qui n’est pas sans impact environnemental, ni mécontentements des riverains. Ils s’opposent notamment à l’extension du site. En effet, l’enfouissement s’ajoutant à d’autres, il nécessite toujours plus de terrains.

 

 

  • Impact environnemental du recyclage : une étude a été menée par la Fédération des entreprises du recyclage (Federec) avec l’Adem*. La seule filière pour laquelle on constate un impact négatif sur l’effet de serre est le recyclage du carton. Il émet plus de CO2 que sa production à partir de matière vierge. En revanche, pour les économies d’énergie, le recyclage du carton figure parmi les filières les plus contributrices. À hauteur de 32,2% du bilan total. En effet, il nécessite une consommation totale d’énergie inférieure à celle du carton fabriqué à partir de matière première primaire. Suivent les métaux ferreux (27%), l’aluminium (20%), le papier (12%). L’ensemble des autres flux pèse 8,3% du bilan (détail dans La Tribune).

*Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie 

 

  • Non, le tri des emballages n'est pas du ''fake'' 6
    Fortes de leur succès, les colonnes de tri débordent parfois dans certains quartiers @Marcelle

    La Métropole et les déchets en chiffres : 8500 colonnes de tri (bacs collectifs), plus de 150 000 bacs de collecte sélective et 2 centres de tri. L’objectif est de relever le défi de la réduction à la source des déchets.

La Métropole souhaite multiplier les bacs jaunes, sur le plus de logements et de résidences possible. Chaque particulier n’aura pas un bac jaune à sa disposition personnelle. Mais l’objectif est de les multiplier pour inciter à leur utilisation.

À Marseille, les bacs jaunes sont relevés régulièrement, dès lors que leur capacité est pleine. Les agents de la Métropole et certaines entreprises privées s’en chargent, selon les arrondissements.