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Ultra-précarité : l’urgence d’une réponse globale et coordonnée

Par Maëva Danton, le 28 octobre 2021

Journaliste

Dans le tourbillon de l'épidémie de covid-19, de nombreuses personnes ont basculé de la précarité à l'utlra-précarité @Secours Catholique-Caritas France_ChristopheHargoues

Tempête sur le plan sanitaire, l’épidémie de covid-19 l’a aussi été sur le plan social. Rappelant combien les inégalités sociales, économiques et sanitaires sont imbriquées les unes dans les autres. Face à cela, la réponse ne peut être qu’aussi complexe que le problème, et coordonnée. C’est ce que préconise le dernier rapport du Collectif Alerte PACA, présenté le 13 octobre.

Adana a 13 ans. Née en Albanie, elle doit rejoindre la France en 2017. Question de vie ou de mort : elle souffre d’insuffisance rénale, sa mère de thrombose et de cécité. Pour subvenir aux besoins de sa famille, le père travaille sur des chantiers. Au noir. Il en tire 1300 euros par mois. Mais l’hiver dernier, il est arrêté et reçoit une Obligation de quitter le territoire : 300 euros de frais d’avocat. Dans le même temps, ses revenus ne s’élèvent plus qu’à 500-700 euros par mois pour un loyer de 500 euros auquel il faut ajouter les autres charges.

En juin, la famille d’Adana cumule deux mois d’impayés. Elle reçoit les premières menaces d’expulsion mais n’a d’autre choix que de s’accrocher à son T2 insalubre. À ses murs couverts de moisissure. Son humidité permanente. L’absence de vitre dans la chambre où les deux sœurs partagent un lit. Le froid qui n’a que faire des cartons censés remplacer la porte d’entrée de l’immeuble, cassée. C’est ça ou la rue.

Voici l’une des huit histoires mises en avant dans le rapport Chroniques de l’ultra-précarité en PACA, présenté par le collectif Alerte PACA (bonus). « Avec ce rapport, nous avons voulu comprendre des trajectoires individuelles grâce à des monographies » (bonus), explique Laurent Ciarabelli, animateur de réseaux au Secours Catholique des Bouches-du-Rhône et coordinateur du rapport.

 

Contre l’ultra-précarité, l’urgence d’une réponse globale et coordonnée
Laurent Ciarabelli, coordinateur du rapport (Secours catholique) @DR

Le covid-19 : tempête sociale

Un rapport qui rend compte des tendances sociales suite à l’épidémie de covid-19, parmi lesquelles le basculement de nombreuses personnes dans la pauvreté. « La crise a accentué les inégalités, la précarité, la pauvreté … Et même si l’économie semble être repartie, beaucoup ne s’en sont toujours pas relevés ».

En témoignent les chiffres de la faim mesurés dans les 3e et 15e arrondissements de Marseille. « D’après l’indicateur HAS [Haute autorité de santé, ndlr], 8% des personnes souffrent de faim sévère, 30% de faim modérée dans ces territoires », assure Axelle Cuny, coordinatrice des opérations d’Action contre la Faim à Marseille.

En cause dans cet essor de l’ultra-précarité : des pertes de revenus touchant en premier lieu les plus précaires (travail non déclaré, contrats courts, étudiants), l’endettement qui en a résulté, ou encore le non-recours aux prestations sociales (bonus). S’ensuit un enchevêtrement de problématiques qui se cumulent et s’alimentent les unes les autres. Car c’est bien là le principal enseignement de ce rapport : l’ultra-précarité est un mécanisme complexe, chronique, se développant de manière progressive.

 

Un décloisonnement des approches et une prise en compte des trajectoires individuelles

Pour enrayer cette mécanique, il faut « un décloisonnement des approches et une prise en compte globale des trajectoires individuelles », assure Guillaume Debrie, coordinateur régional chez Médecins du monde, qui a contribué au rapport.

Dans ce document, le collectif s’attaque ainsi simultanément à plusieurs problématiques. À savoir : insuffisance de ressources, non-recours, santé physique et mentale, alimentation, logement, jeunesse, et fracture numérique. Avec des préconisations pour chacun de ces thèmes.

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L’ultra-précarité est un processus complexe, à la croisée de plusieurs problématiques. @Secours Catholique-Caritas France_Christophe Hargoues

Parmi elles, on peut citer la simplification des démarches administratives pour lutter contre le non-recours. La revalorisation des minimas sociaux. La hausse du nombre de travailleurs sociaux. La possibilité pour les personnes étrangères en situation irrégulière de travailler de manière légale. Le développement de la médiation en santé et de l’interprétariat pour des soins réellement accessibles à tous. Le renforcement et l’amélioration du système d’aide alimentaire d’urgence… et bien d’autres. Toutes ces mesures devant s’inscrire dans « une approche multisectorielle », insiste Axelle Cuny.

Car « tout est lié. Lorsqu’une personne manque de ressources pour se nourrir et qu’elle a faim, cela impacte sa santé physique mais aussi son mental. Elle ne peut plus se projeter dans l’avenir. Il y a aussi de graves conséquences sur le développement des enfants ».

 

 

Un Observatoire des grandes pauvretés : première préconisation du rapport

Pour agir sur tous ces leviers de concert, il faut nécessairement agir ensemble. « On a tendance à multiplier les guichets, avec des informations parfois différentes. Cela génère une importante déperdition d’énergie », regrette Laurent Ciarabelli qui en appelle à la mise en place de guichets uniques.

« Une dynamique en ce sens est née pendant le covid. Il faut aller plus loin pour apporter des réponses opérationnelles et adaptées aux besoins », souhaite Axelle Cuny.

Mais pour agir de manière coordonnée, encore faut-il se retrouver sur le diagnostic. D’où la première préconisation du Collectif Alerte PACA en faveur d’un Observatoire des grandes pauvretés. « On a besoin de savoir ce qui fait qu’une catégorie de personnes va devenir pauvre. Il faut pouvoir détecter des signaux faibles, des régularités pour pouvoir proposer des réponses adaptées et pour ajuster les politiques publiques », explique Laurent Ciarabelli. « On a besoin d’une information plus précise, plus proche, qui intègre la complexité », ajoute Axelle Cuny.  

 

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« On a besoin de savoir ce qui fait qu’une catégorie de personnes va devenir pauvre. Il faut pouvoir détecter des signaux faibles, des régularités pour pouvoir proposer des réponses adaptées », explique Laurent Ciarabelli @Secours Catholique-Caritas France_Sébastien Le Clézio

Pour ce faire, l’Observatoire fédérerait les pouvoirs publics, les acteurs associatifs, les collectifs citoyens mais aussi le monde de la recherche. « Dans notre idée, ce serait une sorte de comité de suivi qui déciderait quelles pauvretés on étudie et qui permettrait de faire des préconisations politiques », imagine Laurent Ciarabelli. Ce, dans le cadre d’une expérimentation sur trois ans pour commencer. Mais pas question d’en dire davantage. « On a quelques idées, mais ce que nous aimerions, ce serait de coconstruire cet outil avec les autres acteurs ». Essentiel pour que chacun s’en empare.

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« Les questions politiques interfèrent souvent avec ces sujets brûlants, regrette Guillaume Debrie. Mais on ne peut pas ne pas prendre la mesure de la difficulté de la crise sociale à Marseille. @Secours Catholique-Caritas France _Christophe Hargoues »

 

Dépasser les clivages politiques

Lors de la présentation officielle du rapport le 13 octobre dernier à Marseille, la Ville – représentée par Benoît Payan- et l’État se sont engagés à soutenir le projet d’Observatoire. En revanche, aucun élu de la Métropole et du Département n’a fait le déplacement. « Une des particularités du territoire, c’est que les assemblages entre collectivités ne sont pas évidents. Les questions politiques interfèrent souvent avec ces sujets brûlants, regrette Guillaume Debrie. Mais on ne peut pas ne pas prendre la mesure de la difficulté de la crise sociale à Marseille ».

Pour le collectif, tout le monde trouverait son compte dans la mise au point de cet Observatoire qui permettrait de proposer des réponses les plus efficaces et efficientes possibles. « Nous attendons les retours de la Métropole et du Département, sinon nous retournerons vers eux, assure Axelle Cuny. Ensuite, la prochaine étape sera de rassembler tous les acteurs autour de la table ». Pour se parler et peut-être passer à l’action. Pour Adana et tous les autres. ♦

 

Bonus

  • Le collectif Alerte – Créé en 1994 sous l’impulsion de l’Uniopss, le Collectif ALERTE a pour objectif l’éradication de la pauvreté – grande pauvreté en particulier- et de l’exclusion. Pour ce, il se propose d’être un lieu de réflexion et d’échanges inter-associatifs. Il réunit 35 fédérations et associations nationales de solidarité, engagées dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

En plus de son collectif national, il se décompose au niveau local, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur notamment.
Dans le cadre du rapport sur l’ultra-précarité en PACA (le second du collectif local), sept associations ont apporté leur contribution. À savoir le Secours catholique, Action contre la faim, Médecins du monde, Emmaüs Connect, la Fondation Abbé Pierre, Petits frères des pauvres et l’Uriopss.

 

  • La méthodologie du rapport – Pour réaliser ce rapport, le Collectif Alerte PACA s’est appuyé sur des monographies, c’est-à-dire une étude très détaillée et approfondie de la trajectoire de plusieurs personnes qualifiées d’ultra-précaires. Une méthodologie s’appuyant sur des entretiens très longs, à savoir 4 heures en une ou plusieurs fois. Les personnes sont invitées à s’exprimer librement, ce qui leur permet d’orienter la discussion vers les aspects qui les impactent le plus. À la fin, elles peuvent formuler des propositions qui sont à l’origine des préconisations du rapport.

Pour mener au mieux ces entretiens et en tirer un rapport représentatif, le collectif a été accompagné par des chercheurs.

 

 

  • Le non-recours aux prestations sociales – On parle souvent de fraude sociale, on parle bien moins de non-recours. Pourtant, on estime que 30% des personnes qui auraient droit au RSA ne le demandent pas. Ce chiffre s’élève à 25% pour les allocations familiales. Les causes sont multiples. Sentiment de honte. Peur d’être considéré comme quelqu’un « d’assisté ». Démarches trop difficiles. Maltraitance au moment de réaliser des démarches (racisme, homophobie, mépris social). Ou encore incapacité à utiliser les outils numériques à l’heure où les démarches sont de plus en plus dématérialisées.