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Un café qui emploie des personnes extra-ordinaires !

 

Par Olivia de Fournas et Marie le Marois, journalistes

 

Avec ses coffee-shops solidaires, Café Joyeux propose un emploi ordinaire – cuisinier et serveur – aux personnes porteuses de handicap mental et cognitif. Leurs fondateurs prouvent que l’inclusion du handicap dans une entreprise classique est non seulement possible mais aussi nécessaire : elle ouvre le cœur. En attendant leur venue à Marseille, Lyon, Lille, Angers, Nantes, Tours et Montpellier, reportage à Rennes où le premier Café Joyeux a ouvert en 2017.

 

Un café qui emploie des personnes handicapées ET extraordinaires 2Au premier abord, Café Joyeux ressemble à un commerce comme ceux qui fleurissent dans la rue piétonne rennaise. Un peu plus contemporain peut-être : terrasse chauffée, baie vitrée, décoration recherchée, cuisine ouverte. On y sert tartes salées et sucrées, soupes, salades, sandwichs, cookies et gâteaux avec toujours le même credo, « Servi avec le cœur ! »

Quand on pousse la porte, un visage tout sourire, un peu différent, vous accueille. « Vous voulez un café ? Bienvenue, tout est fait maison », annonce Mathilde un peu rapidement à cinq clients trempés par la pluie bretonne. Comme les autres serveurs – trisomiques, autistes ou déficients intellectuels-, elle porte bandeau jaune, jean, chemise noire et… deux baskets différentes aux pieds, une blanche et une jaune. « C’est pour afficher notre différence jusqu’au bout », explique sa collègue Cécile, qui s’applique à enfourner une planche de moelleux coco au four.

 

Un service impeccable

Olivier, le manager du lieu, veille au grain : « Tu es sûre que c’est la bonne température ? » Cécile vérifie aussitôt dans le lutin de recettes. Ce professionnel hyperactif, qui a travaillé dans l’hôtellerie de luxe, vise un service parfait. « La qualité, c’est le meilleur service à leur rendre. C’est en étant irréprochables côté service, mais aussi assiette, que les clients reviendront », confirme Antoinette. Cette assistante-manager de 25 ans a quitté le milieu bancaire pour « un métier plus humain, qui a du sens ».

Un café qui emploie des personnes extra-ordinaires !
Yann Bucaille

« Le défi est de conjuguer l’exigence méticuleuse de la cuisine et la singularité de nos serveurs joyeux », résume Yann Bucaille, multi-entrepreneur de 49 ans qui se consacre désormais aux Cafés Joyeux. Baskets aux pieds et chapelet au poignet, il explique en avoir eu l’idée lorsque Théo, un jeune garçon autiste qu’il faisait voguer sur son catamaran Ephata* à Dinard, lui a demandé du travail. Défi difficile, alors que la France compte de plus en plus de demandeurs d’emploi en situation de handicap. En 2017, ils étaient 510 000, chiffre qui ne cesse d’ augmenter.

Mais rien n’excite plus le marin breton que les projets à priori impossibles. Avec sa femme Lydwine, Emmanuel spécialiste de la distribution et Grégoire, éducateur spécialisé, il a trouvé l’emplacement du café, au cœur de la ville. Il a ensuite transformé l’ancienne maroquinerie, embauché des managers motivés, cherché des serveurs à l’Arche, dans les établissements médico-sociaux, à Pôle Emploi… et même via des candidatures spontanées.

 

« On ne sort pas d’ici indemne »

Un café qui emploie des personnes handicapées ET extraordinaires 1L’ambiance du café est plébiscitée par les clients qui font la queue pour déjeuner. Certains s’y attablent « parce qu’on a faim ! », d’autres grâce à un article élogieux dans Ouest-France. Anne, travailleuse dans un centre pénitentiaire, qui sirote un « chaï tea » avec trois amies, « vient là pour valoriser le travail des personnes handicapées ». De discrets indices indiquent au visiteur d’où vient l’esprit du lieu. Une phrase de Jean Vanier écrite à la craie sur une porte, « La fragilité est au cœur de l’humain », un livre du père Guy Gilbert, un crucifix offert par le prêtre de la paroisse venu bénir le café, la statue de Saint Antoine en papier mâché…

Même si Thérèse vient touiller le café d’un client surpris qui avait juste demandé du sucre, si Brandon se trompe de table pour la commande, si Vianney lance un « gourmand ! » au manager qui teste un gâteau, l’expérience ouvre une brèche dans le cœur des clients. « On ne sort pas d’ici indemne », affirme un signataire du Livre d’or, déposé en évidence sur le comptoir.

 

« Servi avec le cœur »

Ici, on prend son temps, on change son rapport à la personne, on s’émeut comme Martine, entrée par hasard et légèrement impatiente. Elle fond quand Mathilde vient lui apporter avec application un cheese-cake, et va jusqu’à Un café qui emploie des personnes extra-ordinaires ET extraordinairesla serrer dans ses bras, larmes aux yeux. La jeune serveuse lui rend son geste d’affection. « Tu as vu comme tu lui as fait du bien ? » fait remarquer Yann Bucaille à Mathilde, hilare. On change son regard sur le handicap et par rapport à la performance. « Les serveurs Joyeux font parfois beaucoup mieux leur métier que ceux que je côtoyais », confie Olivier, habitué à travailler dans des hôtels de luxe.

On rit aussi, devant des scènes pleines d’humour. Le slogan « servi avec le cœur » est indissociable du mot Joyeux « car il fait partie de notre ADN. C’est ensemble, dans le travail avec nos différences au service de l’autre, que l’on ressent la joie », s’emballe Yann Bucaille. Vianney interrompt sa conversation pour répéter en boucle « Il est content, il est content ! », avec un naturel désarmant. « Tu me fais ma journée ! » assure le fondateur, dans un « check » avec le jeune homme. ♦

 

*Ephata : Yann et Lydwine Bucaille-Lanrezac, très engagés dans la vie, ont créé en 2012 l’association Émeraude Voile Solidaire pour emmener des personnes en souffrance (maladie, handicap, exclusion) naviguer une journée sur Ephata (ouvre-toi en araméen), un catamaran de 18 mètres. En 7 ans, ils ont embarqué plus de 7 500 personnes. Favoriser la rencontre entre personnes ordinaires et extra-ordinaires, et promouvoir la différence, c’est leur combat.

 

Bonus

 

  • Les besoins : Achetez les nouveaux café en grains et capsules de Café Joyeux : 100% des bénéfices serviront à ouvrir d’autres coffee-shop solidaires. Le café est torréfié de manière traditionnelle à Strasbourg, puis conditionné à Paris par des personnes en situation de handicap dans un ESAT. Le volet torréfaction est porté par Marina, une marseillaise, et Diego son mari. Coffret en vente avec les 3 cafés (23 € capsules, 18 € en grains), e-shop ou dans les coffee-shop.

 

  • Le Café Joyeux Choiseul a ouvert ses portes à Paris le 21 mars. Et le Café Joyeux Opéra le 20 novembre, dédié
    Un café qui emploie des personnes handicapées ET extraordinaires 3
    Skippeur Sidney Gavignet

    celui-ci à la vente à emporter. Avec l’ouverture de ce 3e lieu, la start-up peut se targuer d’employer 24 équipiers joyeux, cuisiniers et serveurs, qui travaillent en CDI aux côtés de 5 managers et 2 éducateurs spécialisés.

 

  • Café Joyeux à la Route du Rhum : mené bénévolement par Sydney Gavignet, navigateur et parrain d’Émeraude Voile Solidaire, Joyeux a remporté le 20 novembre la course en catégorie Rhum Mono. L’idée était de mettre en lumière la start-up et montrer que beauté et performance sont compatibles avec la différence.