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Un engagement citoyen : offrir ses compétences

Par Antoine Dreyfus, le 22 novembre 2019

Journaliste

Confiné à l’origine aux métiers juridiques, le pro bono (offrir des compétences) se développe dans le secteur social. L’association Probono lab organise des journées sur tout le territoire, dans une sorte de Probono Tour qui a fait escale à Marseille le 15 octobre dernier, sur le thème « Lever les freins à l’emploi ». Marcelle y était. On vous raconte cette initiative judicieuse.

 

Au début, j’avoue que je n’y comprenais pas grand-chose. L’attachée de presse me téléphonait en me demandant si j’allais bien à la journée du « Probono lab » organisée par la « Probono factory » ? À moins que ce ne soit l’inverse ? En fait oui, c’est l’inverse, c’est la journée Probono factory, organisée par le Probono lab… Bref, je pataugeais. Dans mes souvenirs d’étudiant en droit, le « pro bono » des avocats était une aide et des conseils juridiques gratuits. Je sais que l’avocat « pro bono » travaille pour des nèfles, mais le fait avec conviction. Mais que venait faire la « factory » ou le « lab » là-dedans ? Pourquoi mélanger des vocables latins (Pro bono est l’abréviation de la locution latine « pro bono publico », signifiant « pour le bien public ») et des mots anglais ?

Un engagement citoyen : offrir ses compétences 2En réalité, le pro bono, c’est un peu comme Monsieur Jourdain, qui parle en prose. On en a tous un peu fait. Le « pro bono » désigne l’engagement de volontaires qui donnent un sens à leur activité en s’impliquant dans des initiatives d’intérêt général à titre gracieux. L’association Pro bono lab, quant à elle, l’a professionnalisé, analysé, décortiqué, a établi des processus et lancé des initiatives, dont ces journées « Pro bono factory ». Une fois que l’on a compris, c’est limpide. Lors d’une journée une dizaine d’associations ou de structures à vocation sociale, se retrouvent dans un lieu dédié, dans une ville, avec des professionnels, des demandeurs d’emploi et des étudiants.

« C’est un partage de compétences, un mécénat de compétences, détaille Laurent Fialon, le représentant de Pro bono lab en Méditerranée. Au départ, le Pro bono est une assistance juridique, qui a été développée par des associations telles que la Cimade ou le Gisti, mais désormais, cela s’étend à toutes sortes d’activités sociales. Et nous en avons de plus en plus besoin. Les besoins en compétences de plus en plus pointues : pression sociétale, multiplication des demandes d’aide, complexification des conditions, intensification de la législation, pression sur la performance et réduction des moyens : baisse des subventions privées due à la crise et désengagement de l’État, concurrence accrue entre les associations, etc… »

 

Neuf associations lauréates bénéficient de conseils de salariés, chômeurs et étudiants

Direction donc, l’école de commerce EMD, près de la gare Saint-Charles, pour une journée Pro bono avec neuf associations (liste dans les bonus). J’arrive en milieu d’après-midi. Les associatifs, les salariés, les chômeurs ont déjà bien travaillé et se répartissent dans les différents étages de l’EMD. Le stress monte. À l’issue de la journée, il faut en effet trouver des solutions, ou tout au moins dresser des objectifs. « Cela va d’une association qui se demande s’il ne faut pas embaucher un stagiaire pour la communication du site, explique Laurent Fialon, à une structure prometteuse mais dont les subventions plafonnent, sans que l’on comprenne pourquoi. »

Un engagement citoyen : offrir ses compétences 1Première salle : Josyane est salariée d’AG2R La Mondiale, chargée de développement en activité sociale, à Marseille. Son métier ? Accompagner des associations dans le développement de projets. « Je travaille sur le retour à l’emploi de personnes, la grande dépendance, l’aide aux aidants, etc. » Josyane a pris sa journée pour aider l’association SalespowHer, qui vise à aider des femmes à retrouver un emploi. « Nous sommes plusieurs salariés d’AG2R à participer à cette journée Pro bono. C’est valorisant pour l’entreprise. Pour les salariés, ça redonne du sens. On participe très concrètement à des actions sociales. C’est extrêmement stimulant. »

Des étudiants participent aussi à cette journée de mécénat. À l’instar de Gaia Nguyen Quang (22 ans) étudiante en Master 1 de management à l’EMD. Pour elle, « c’est très instructif ce genre de journée. Nous mettons en pratique ce que nous apprenons en théorie. Évidemment, nous ne sommes pas encore des professionnels, donc, notre apport est surtout celui d’un œil extérieur. Ils sont expérimentés. Mais parfois, un œil extérieur est nécessaire. » Ce genre de journée permet aussi à Gaia de la conforter dans ses choix de travailler dans le secteur social ou humanitaire. « En fait, j’ai déjà fait un stage dans l’une de ces associations, Massajobs. J’ai adoré. J’ai notamment aidé des jeunes de classe de 3ème à rédiger leur C.V. J’habite dans les quartiers Sud de Marseille assez privilégiés, et j’ai beaucoup appris dans mon stage chez Massajobs. Ces jeunes ne sont pas différents de nous. Ils sont souvent nés au mauvais endroit, mais beaucoup ont d’énormes potentiels. Et c’est donc dans cet esprit que je veux m’orienter. »

Troisième et dernier participant de cette journée Pro bono : les demandeurs d’emploi. Intégrer le pro bono dans le parcours de formation des demandeurs d’emploi et personnes en reconversion est primordial. Anaïs Schenke (29 ans) en est persuadée, elle qui a travaillé dans une association intitulée « 1000 visages » : « Je le vois comme une initiative citoyenne tout d’abord, consistant à donner durant une journée de son temps et ses compétences à un projet. C’est stimulant. Je le vois comme la construction de Lego. On a toutes les pièces devant soi et il faut les assembler. Car lorsque l’on travaille dans une association, on ne prend jamais de recul, on est toujours la tête dans le guidon. Et pour moi, cela me permet de remobiliser mes compétences, d’être toujours active. » ♦

 

Bonus [Pour les abonnés] Le pro bono factory 2019 – Neuf associations locales ont été lauréates de cette édition pro bono – l’étude complète –

 

  • Le pro bono factory 2019 est passé par Marseille (thème : Lever les freins à l’emploi) le 15 octobre, puis par Lyon (Bien manger, bien vieillir) le 7 novembre. Avant Paris du 19 au 21 novembre (Éducation, insertion professionnelle et mixité sociale) et Lille, aussi pour la première fois le 5 décembre (L’engagement, par tous et pour tous, au service du bien public).

Au total, cela représente 10 000 personnes sensibilisées, 500 volontaires engagés, 50 projets accompagnés.

Pour tous renseignements, cap sur le média du pro bono en open source : témoignages, portraits, tribunes, articles de fonds…Pour découvrir l’engagement citoyen par le partage de compétences.

 

  • Neuf associations locales ont été lauréates de cette édition pro bono. Ce qui veut dire donc qu’elles ont bénéficié de cette journée marathon et d’un suivi pendant un mois avec des volontaires. Les lauréats sont :

-AMS économique : valorisation des espaces verts et protégés dans le Pays d’Aix pour des personnes éloignées de l’emploi.

-FACE Sud Provence : éducation, emploi et responsabilité sociale des entreprises dans les Bouches du Rhône.

-Force Femmes : accompagnement des femmes de plus de 45 ans pour le retour à l’emploi ou la création d’entreprise.

-Massajobs : création de ponts entre les entreprises et les personnes des quartiers populaires de Marseille (Quartier des Lauriers et Belle de Mai).

-Pilotine : chantier naval d’insertion.

-Remise en jeux : insertion par la création et la fabrication de jouets en bois.

-SalespowHer : programme intensif via les techniques de vente pour des femmes éloignées de l’emploi (notre article a paru récemment)

-Scity.scop : aider les personnes à la recherche d’emploi à se déplacer. Promotion d’une mobilité plus durable et inclusive.

-Workingfirst : Lutte contre la discrimination des personnes en situation de handicap psychique.

 

  • L’association Pro bono a réalisé une étude complète. Il en ressort que même si ce concept est encore confidentiel en France, le pro bono a cependant déjà été expérimenté « par 31% des Français, dont les pratiques sont variées (…). Les motivations pour s’engager, ainsi que les bénéfices retirés, se rapportent principalement à l’humain, au relationnel, à l’implication dans la société. Quant aux freins, il s’agit principalement du manque de temps et d’un défaut de ressources et d’accompagnement, preuve que le pro bono a un fort potentiel auprès des Français. »

La perception de cette forme d’engagement est par conséquent très positive. Si le pro bono est vu par une grande majorité des Français (85%) comme un levier pour développer le bénévolat et l’engagement en général, 64% estiment que c’est un outil de communication pour les entreprises.

Les Français envisagent d’autres leviers pour soutenir le développement du pro bono : 46% d’entre eux suggèrent la mise en place d’outils de mise en relation de bénéficiaires et de personnes engagées ; 38% souhaiteraient que les acteurs publics fassent des campagnes de communication ; 37% que l’on puisse s’engager plus sur son temps de travail ; et 34% que des dispositifs législatifs soient mis en place pour favoriser le pro bono.