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Un fast-food au service de la solidarité !

Par Olivier Martocq, le 8 décembre 2022

Journaliste

OVNI, un burger conçu spécialement pour L’Après M par le chef étoilé Gérald Passédat. Au bœuf ou au ppisson. ©DR

Fermé en 2019, l’ancien McDonald’s de Saint-Barthélemy, dans le 14ᵉ arrondissement de Marseille, est devenu emblématique lors du premier confinement, transformé en espace de solidarité par les anciens salariés et rebaptisé L’Après M. Il retourne aujourd’hui à sa vocation originelle, la vente de hamburgers, frites et coca. Objectif : sortir de la dépendance aux aides et subventions aléatoires en se réappropriant un modèle économique rentable. 

 

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L’ancien Mc Donald’s a été le 2e employeur du quartier © DR

Après plus de deux ans de luttes couronnées de succès, les responsables de l’Après (pour Association de Préfiguration pour un Restaurant Économique et Solidaire) M ont acquis un vrai savoir-faire en matière de communication. La conférence de presse organisée il y a une semaine, jour pour jour, a été un succès. Les journalistes se sont déplacés en nombre. Radios, télévisions, journaux et web ont annoncé l’ouverture du restaurant en mode test avant son lancement officiel en grande pompe le samedi 10 décembre. L’implication de Gérald Passédat (3 étoiles au Michelin) dans les recettes justifiait à elle seule cette large couverture médiatique.

La tendance de ces dernières années étant au greenwashing pour les entreprises qui polluent, à la RSE pour celles qui éprouvent la nécessité de donner du sens à leur action et ainsi attirer les talents, à la com’ tous azimuts pour les chefs étoilés… j’étais donc sceptique sur l’apport réel de la star de la gastronomie marseillaise dans cette aventure à forte connotation sociale. À l’opposé de la clientèle habituelle du Petit Nice, son restaurant de la Corniche. J’avais tort ! Le chef n’est pas venu faire le show devant les journalistes.

 

Burger gastronomique et locavore

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Dégustation par un reporter qui donne de sa personne ©DR

C’est une des toques de sa brigade, Sébastien Dugast, qui a présenté les deux burgers conçus spécialement pour L’Après M. Des sandwichs au poisson et au bœuf, esthétiquement différents de ceux inventés par la firme américaine il y a 80 ans. « On a travaillé pour parvenir à sceller le hamburger et ainsi éviter qu’il ne coule. Car sa forme est celle d’une soucoupe volante ». Ce hamburger a donc tout naturellement été baptisé l’OVNI. Marque qui permet une analyse subliminale tridimensionnelle. Ovni par sa forme. Par le temps de fabrication – deux minutes de cuisson et 40 secondes de scellage. Ovni car il s’agit d’un produit haut de gamme pour la conception, le goût et la texture [ingrédients dans les bonus). Pour son prix aussi, aligné sur celui des hamburgers classiques, 8,60 euros.

« La cuisine d’un fast food n’est pas conçue comme celle d’un grand restaurant, explique Sébastien Dugast. Les réglages de température et de durée ne sont pas les mêmes. Ce sont des lieux d’assemblage de divers produits d’usine livrés séparément. Or on a décidé que l’OVNI serait cuisiné sur place, à partir d’ingrédients frais. Il a donc fallu s’adapter à l’outil existant. Inventer des process, les tester. Les équipes étaient très motivées et au final, ça fonctionne. »

Au-delà de cette prouesse culinaire, L’Après M propose la carte classique d’un fast-food, frites et coca compris. « Nous avons sondé les habitants des cités alentour. Ils veulent retrouver ce qu’ils aiment », analyse Fathi Bouaroua. L’ancien directeur de la fondation Abbé Pierre sur la région PACA est en effet partenaire de l’aventure depuis le départ, à titre bénévole.

 

Le premier fast-food social de France

Un fast-food au service de la solidarité ! 3« Nous ne devenons pas des commerçants. Le social reste au centre des actions que nous mettons en place iciL’objectif est d’ailleurs d’assurer leur financement sur le long terme ». Sans vouloir trop entrer dans les détails, les responsables du collectif expliquent à mots couverts que les subventions arrivent au compte-gouttes. Que malgré les agréments reçus, la Banque Alimentaire, par exemple, ne fournit pas l’aide demandée par l’Après M pour répondre aux besoins des habitants du quartier, lui préférant « d’autres canaux de distribution ». Comprendre d’autres associations.

« On a fait un business plan. Ici, à la grande époque, le MacDo encaissait jusqu’à 350 000 euros par mois. Dans un premier temps on vise donc 100 000 euros », détaille Fathi Bouaroua. Il précise que ces rentrées permettront ainsi d’assurer l’emploi de 24 salariés. « Nous ne sommes pas une multinationale, ni même une entreprise classique. L’intégralité des bénéfices sera reversée au Village des Initiatives d’Entraide (VIE) qui, sur ce site, distribue depuis 2020 des colis alimentaires et des vêtements aux plus démunis ».

 

 

Une dimension de modèle économique 

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L’équipe de L’Après M autour de Fathi Bouaroua et Kamel Guémari ©DR

Dans ce quartier où le chômage dépasse les 23%, ce restaurant basé sur l’insertion professionnelle va permettre à des chômeurs longue durée de trouver un emploi immédiat, et surtout de bénéficier d’un accompagnement. L’objectif étant de leur assurer une qualification pérenne pour leur ouvrir les portes du monde professionnel classique. Au-delà de ce parcours d’insertion, il s’agit de rendre autonome le financement des projets portés par L’Après M qui, jusqu’à présent, dépendent du bon vouloir des politiques ou des structures caritatives.

Cette évolution de l’Après M est donc tout particulièrement suivie par le préfet délégué pour l’égalité des chances. Laurent Carrié précise à bon escient que l’accompagnement de l’État portera sur l’aspect administratif et certains financements : « Concrètement, sur la mise en place des procédures d’insertion, nous travaillons en vue de l’obtention de l’agrément au titre d’organisme d’accueil communautaire et d’activités sociales (OACAS) ». Et le préfet d’ajouter : « Sur le plan financier, en 2023, le budget de la politique de la ville viendra en soutien des actions de L’Après M. Et au bénéfice des habitants des quartiers prioritaires ».

 

Une salariée fière et heureuse

Au-delà de la portée sociale, Kamel Guémari le co-fondateur de L’Après M es qualité de syndicaliste ayant mené le combat des salariés licenciés par MacDo en 2019 (lire bonus) vise un rôle sociétal pour le fast-food de Saint-Barthélémy. « Avec ce restaurant, on s’adresse à la population des quartiers voisins avec une offre classique dont ils sont friands. Tout en les amenant à une alimentation de qualité et de proximité », glisse-t-il. Les standards sont stricts. « Les frites fraîches viennent de Gémenos. Le pain, d’une boulangerie lancée par des jeunes du quartier. Et la viande halal, de la boucherie voisine ».

L’Après M est ouvert de 11h à 23h, sept jours sur sept. Je m’y suis rendu lundi 5 décembre. À 19h30, il y avait du monde. Une ambiance conviviale. L’OVNI a été une vraie découverte pour les papilles. Les hamburgers classiques étaient de qualité. J’ai été servi trois minutes après avoir passé la commande sur la borne, par une hôtesse qui était une salariée fière et heureuse, ça se voyait. Un bénévole présent m’a indiqué, photo à l’appui, que Gérald Passédat était passé incognito dans la journée pour voir si tout était en place… ♦

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Bonus

  • Les ingrédients de l’OVNI. Boulette (poisson ou bœuf) à la marseillaise, cette création de Gérald Passédat comprend des épices ras el-hanout, des tomates confites, beaucoup d’herbes et d’aneth. Assortis de chou rouge et de sauce tzatzíki (yaourt grec, coriandre, oignons, concombres, tomates, jus de citron). « Le plus compliqué, c’est le montage. Car il faut que la garniture soit parfaitement centrée avant le pressage qui va lier les deux parties du hamburger, lui donner cette forme caractéristique d’OVNI et surtout le rendre hermétique ». Mon avis : c’est très bon et, effectivement, ça ne coule pas.

 

♦ (re)lire l’article : Scop-Ti, pas assez de pétrole mais des idées !

 

  • Un bref historique de la situation de L’Après M.

1992. Mc Donald’s ouvre un restaurant dans les quartiers nord, à Saint-Barthélemy. La position est stratégique car l’enseigne est assurée de posséder une situation de quasi-monopole. La contrepartie est l’engagement auprès de la Ville de Marseille à employer les habitants riverains et ainsi créer de l’emploi dans un quartier en difficulté. Au fil du temps, le restaurant Mc Donald’s devient le deuxième employeur du quartier, après Carrefour, situé à quelques centaines de mètres.

2019. Le Mc Donald’s de Saint-Barthélemy est placé en liquidation judiciaire et entraîne dans sa chute 77 salariés.

2020. En pleine crise sanitaire, les anciens salariés du Mc Donald’s réquisitionnent leur ancien lieu de travail pour le mettre au service des associations et des habitants du quartier. L’association s’installe dans les locaux du Mc Donald’s rebaptisé L’Après M. Elle rassemble de nombreux bénévoles qui fournissent des colis alimentaires aux personnes en difficulté et accompagnent les plus démunis au quotidien.

2021. La Ville de Marseille le rachète, offrant une situation plus stable à l’association.