Le village des Flottins, marché de Noël éco-responsable de la ville d’Évian-les-Bains, en Haute-Savoie, a accueilli pour sa 15e édition le chef papou Mundiya Kepanga. Pour partager le même message de développement durable et de protection de la forêt.
Coiffe traditionnelle de plumes et de fourrure sur la tête, un piquant de porc-épic dans le nez, barbe frisante et grisonnante, le chef papou Mundiya Kepanga a délaissé son pagne habituel pour venir fêter Noël en Europe, à l’invitation de la ville d’Évian (74) et d’Alain Benzoni, l’initiateur et organisateur du Village des Flottins. Le directeur du théâtre de la Toupine lui a même abandonné sa grosse veste en cuir et une écharpe de laine. De fait, l’ambassadeur mondial de l’Unesco pour la protection des forêts n’avait pas chaud sous nos climats d’altitude. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il est venu cette année parrainer le fabuleux Village des Flottins. Manifestation qui se tient chaque année depuis 2007 sur les bords du lac Léman.
Un projet fédérateur et gratuit
Né de l’imagination de « Benzo », à la demande du député-maire de l’époque Marc Francina, cet événement culturel, éco-responsable et durable avant l’heure, se veut le contrepied des Noëls mercantiles qui fleurissent à cette période sur tout le territoire.
« Je suis un vrai montagnard né à Chamonix – ma mère gardait les vaches sur le plateau d’Avoriaz qui n’avait pas encore découvert l’or blanc », raconte le saltimbanque. Il a d’abord fondé son théâtre alternatif à Thonon-les-Bains à la fin des années 70 avant de s’installer à Évian en 2004. « Quand le maire m’a demandé un marché de Noël, je lui ai d’abord répondu que je ne voulais pas d’un événement avec des cochonneries made in China. Puis j’ai cherché une idée, un projet fédérateur, gratuit, qui emmène tout le monde et surtout pas du mercantilisme ». En s’asseyant au bord du lac pour y réfléchir, son regard tombe sur tous les bois flottés venus du Rhône. Une tempête les a libérés en cassant les filets qui les retenaient. Benzo tient sa matière première.
Des monstres de bois sortis des eaux
« C’est une ressource inépuisable quand les troncs d’arbre et les branches descendent des montagnes par les torrents et les rivières. Il y a de quoi faire travailler l’imaginaire, comme lorsque l’on invente des animaux et des personnages en regardant les nuages ». Avec une équipe de bénévoles et quelques camions, il décide donc d’aller ramasser les bois flottés le long des ruisseaux. Notamment dans le Valais suisse, sur les berges du Léman. Et même plus en aval sur le Rhône, à 100 km de là, au grand barrage de Génissiat, en collaboration avec la Compagnie Nationale du Rhône.
Il ne reste plus qu’à les faire sécher et les transformer en monstres de bois. À inventer une légende, celle du peuple des Flottins. Et ainsi créer un événement à sensibilité écologique comme tous les spectacles de la Compagnie.
Recyclage en bois de chauffage
Pendant la manifestation, Flottins et Flottines baguenaudent entre les sculptures pour raconter contes et légendes, interpeller les parents, taquiner les enfants… L’an dernier, ce ne sont pas moins de 350 tonnes de bois qui ont été collectées. Elles ont servi à créer 650 sculptures ; certaines pesant jusqu’à 8-9 tonnes. Ont mobilisé 135 sculpteurs autodidactes ou venus des écoles de Beaux-Arts de la région, notamment celle de Besançon.
Benzo donne le La et le thème chaque année ; les Monstres lacustres et autres poiscailles pour cette 15e édition. « On garde toujours deux ou trois sculptures en ville ou sur le lac chaque année. Elles sont devenues la signature d’Évian, en attendant qu’elles pourrissent en prenant l’humidité. Il en reste encore quelques-unes des premières éditions. Les autres sont recyclées en bois de chauffage dans les bidons de feu qui éclairent et réchauffent la manifestation. Question de cohérence avec nos valeurs de développement durable ».
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Le cri d’alarme du chef papou
Lorsque, pour l’édition 2022, l’équipe a songé à trouver pour la première fois un parrain, il n’a pas fallu longtemps pour tomber d’accord sur le nom de Mundiya Kepanga. Le chef de la tribu des Huli, qui vivent dans l’une des dernières grandes forêts primaires du globe, en Papouasie Nouvelle-Guinée, voyage depuis 2003 en Europe pour inciter le monde à réfléchir. À favoriser le dialogue entre les cultures « avec respect et générosité » et surtout à protéger les forêts. Il avait fait l’objet du magnifique film multi-récompensé Frères des Arbres, de Marc Dozier (qui l’accompagnait comme traducteur) et Luc Marescot.
À Évian, il a lancé un cri d’alarme en rappelant que « nos ancêtres nous ont appris que les hommes sont les frères des arbre et que si les arbres disparaissent, les hommes disparaîtront aussi. Dans ma tribu, lorsqu’un enfant naît ou que quelqu’un meurt, on plante un arbre car nous sommes liés pour toujours à cette planète ».
Un arbre de fer, message contre la déforestation
Ce fut donc chose faite en plantant au bord du lac avec Josiane Lei, la maire d’Evian, un « arbre de fer » (parrotia persica), réputé pour la dureté de son bois. Au-delà du symbole, Mundiya a insisté sur le fait qu’il s’agissait « d’un acte important à expliquer surtout aux enfants, qui sont des graines à arroser de bons conseils ». Une grande sculpture de bois flotté a également été créée à son effigie pour promouvoir son action contre la déforestation.
Le message du chef papou, qui devrait rester parrain du Village des Flottins pour plusieurs années, rejoint ainsi celui militant d’Alain Benzoni, pionnier des spectacles éco-responsables. « Avant, on nous traitait de punks quand on parlait d’écologie et de solutions alternatives. Aujourd’hui, c’est tendance et nos idées sont largement récupérées. Cela nous aide à trouver des financements et des partenaires. Et les jeunes ne nous regardent plus de haut en rigolant. Ils nous félicitent et nous aident ». ♦
Bonus
- Une palette d’actions éco-responsables. Un réseau de bénévoles, grands et petits, enfants des écoles compris, permet de mettre en œuvre d’autres idées et de tenir les stands.
Au Village des Flottins, les divers matériaux récupérés dans les déchetteries des environs servent ainsi à créer des jeux interactifs. Comme les manèges « à propulsion parentale », actionnés à la force des bras ou des jambes.
Les pelotes de laine récupérées sont recyclées en bonnets et écharpes par un « gang de tricoteuses ».
Également au programme, des stands de producteurs en circuits courts, une expo-vente solidaire (les fonds sont reversés à l’association Accueil & Partage aidant les familles du Chablais en situation de précarité). Et, bien sûr, des ateliers de sculptures en bois flotté (à partir de 6 ans).
- Éclairage dynamique ! Cette année, Benzo avait décidé d’améliorer l’éclairage de la manifestation. Mauvaise pioche par les temps qui courent ; il a donc cherché une nouvelle idée alternative. « Grâce à notre partenariat avec les déchetteries locales, nous avons pu récupérer une vingtaine de vélos à retaper. De quoi faire fonctionner les guirlandes du grand sapin de la ville. Quelqu’un qui pédale sur un vélo allume une guirlande, 8 personnes sur 8 vélos font fonctionner 8 guirlandes. C’est ludique et on reproduit le système avec les petits sapins des quartiers ».
Pendant la manifestation, donc jusqu’au 2 janvier, la mobilité douce est fortement encouragée : covoiturage, partenariat avec les bateaux de la CGN sur le lac et avec les trains du Léman Express, triporteur à assistance électrique conduit par un flottin-pianiste… Autant d’initiatives qui ont permis à Évian de devenir ville pilote dans le cadre des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’Onu en 2015.