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Un studio radio pour ados en souffrance

Par Nathania Cahen, le 2 octobre 2018

Journaliste

Un ami musicien, Fallou, m’a parlé de cette station radio confidentielle et de sa super animatrice. J’ai eu très envie d’en savoir plus car Radio EMA n’est pas tout à fait une radio comme les autres : elle est prescrite sur ordonnance au titre de soins culturels au sein de l’Espace méditerranéen de l’adolescence.

Depuis six ans, une web-radio singulière émet depuis le cœur de l’Espace méditerranéen de l’adolescence (EMA), au sein de l’ancien l’hôpital Salvator, à Marseille. Sa brune et enthousiaste animatrice, Mikhaele Elfassy pour l’état civil et Mikha pour tous, nous propose une visite guidée du premier étage de ce bâtiment des hôpitaux Sud. Autrefois occupé par des blocs opératoires, il accueille désormais les adolescents en souffrance (anorexie, instinct suicidaire, phobie scolaire…) Entre une médiathèque et un atelier dédié aux arts plastiques, s’intercale l’enclave dont elle est responsable : un vrai studio radio professionnel séparé de sa régie par une large baie vitrée, comme dans les grandes stations parisiennes, et seul du genre dans l’hexagone. Quand l’EMA a vu le jour en 2012 sous l’impulsion du pédopsychiatre Marcel Rufo, ce dernier a souhaité un hôpital qui ne ressemblerait pas à un hôpital, et placerait la culture au cœur du projet de soins. S’inscrivant dans cette philosophie, la création de ce studio a été rendue financièrement possible par le parrainage du chanteur Mika (il n’y a pas de hasard !) et par l’opération « pièces jaunes ».

 

L’autre radio-thérapie

L’émission phare de Radio EMA est un talk-show, orchestré et modéré par Mikha – afin de bien répartir la parole. Les thèmes ne sont pas anodins : le mensonge, la trahison, le harcèlement, les réseaux sociaux, les phobies, les manies, la scarification, l’homosexualité… Chaque session hebdomadaire dure une heure et demi et se déroule en présence d’un soignant, à même d’intervenir en cas de malaise ou de difficulté. « Certains patients sont oppressés ou claustrophobes, d’où l’utilité de la régie, qui rassure et fait office de sas de transition », explique Mikhaele.

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Mikha aux manettes de la régie.

Radio et culture permettent aussi des expéditions hors les murs, pour des expos, des concerts, des spectacles (des partenariats ont été noués, notamment avec le Festival de Marseille et La Criée), autant d’occasions de jouer les reporters auprès d’artistes ou de sportifs. Même si beaucoup viennent au studio pour se prêter à l’exercice de l’interview -le président de l’OM Jacques-Henri Eyraud, la directrice du théâtre de La Criée Macha Makeïeff, le chanteur Christophe Mahé… Tous en ressortent enrichis par leur échange avec les ados.

Un traitement plébiscité

Quelles sont les vertus de cette thérapie singulière, prescrite sur ordonnance ? « C’est l’activité préférée des ados que nous suivons – Il faut bien dire que Mikha a la ‘patate’ et que c’est contagieux ! Ils viennent bien plus volontiers à la radio qu’en consultation psychiatrique, constate le professeur David Da Fonseca, chef du pôle psychiatrie de l’APHM. La radio est une stratégie indirecte mais efficace pour amener les jeunes souffrant d’anxiété ou de phobie sociale, parfois déscolarisés, à se réexposer au regard des autres, à s’exprimer en public, partager des idées ou des réflexions avec les autres. Et regagner ainsi l’estime de soi. Inhibés ailleurs, ils lâchent prise devant le micro ! ». Pour autant, ces séances radio ne sont pas déconnectées du reste du traitement et les restitutions peuvent être utilisées en thérapie.

Mikha complète : « L’anonymat de la voix et du media rassure les jeunes, agit sur la confiance. Cela aide ces ados en souffrance à se révéler à eux-mêmes et au monde. Parfois c’est le choix d’une chanson qui fait sauter un verrou. Mais moi je ne sais pas et ne veux pas savoir pourquoi ils sont là, je perdrais de ma spontanéité ». Elle voit passer chaque année quelque 150 ados derrière ses micros.

Les bonnes ondes de Radio EMA

Outre le temps de l’enregistrement de l’émission, l’existence-même de la radio est importante, trait d’union avec les familles, les amis, les amoureux. « Mais pas seulement, web radio, elle est accessible à n’importe quel moment, de n’importe où, sur n’importe quel support connecté, dans et en dehors de l’hôpital, indique Mikha. Via le formulaire de contact de notre site, il n’est pas rare que j’aie des nouvelles, que des ados ou anciens ados me confient combien la radio a pu leur être utile, pour dépasser certains blocages, un refuge pour peupler une nuit d’insomnie, pour repousser des idées noires… » N.C.

 

 

Bonus

Les besoins :

  • Des stagiaires pour aider à monter les sons et interviews
  • Des personnes à même de témoigner de leur adolescence et donner des conseils au cours d’émissions enregistrées
  • Des dons sur HelloAsso pour l’entretien et le remplacement du matériel ou faire venir des conteurs

 

Ailleurs :

  • A Roubaix depuis 2005, les Z’entonnoirs ont été les pionniers des émissions de radio avec personnes présentant des troubles psychiques.
  • A Paris depuis 2010, Radio Citron, la webradio « qui n’a pas peur des pépins » est réalisée par des patients en soins psychiatriques. Elle s’inspire de Radio La Colifata, créée au sein de l’hôpital La Borda à Buenos Aires en 1991, et première au monde à émettre depuis un établissement psychiatrique.