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Une École de la Vigne et du savoir-être en Médoc

Par Frédérique Hermine, le 1 mars 2023

Journaliste

Une formation pour préparer des candidats aux métiers de la vigne, secteur qui du mal à recruter ©F.Hermine

70 élèves de 16 à 63 ans sont déjà passés par l’École de la Vigne des Châteaux du Médoc, qui regroupe désormais une dizaine de propriétés viticoles. Elle forme des chômeurs aux métiers du vignoble et du chai, avec une garantie de CDI au bout de ce parcours qualifiant de 18 mois.

La 8e cession de l’École de la Vigne pilotée cette année par le château Rauzan-Gassies a démarré en novembre dernier, avec huit élèves qui vont apprendre pendant un an et demi la conduite du vignoble, l’entretien du matériel, le travail du sol, les traitements phytosanitaires, le maniement du chariot élévateur, la vinification et l’élevage des vins.

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L’immersion dans les propriétés aide les candidats à savoir s’ils sont faits pour ça ©DR

Pallier les problèmes de recrutement en milieu viticole

La formation, qualifiante, veut pallier les problèmes de recrutement en milieu viticole, la perte de savoir entre départs à la retraite et abandons du métier. Pour continuer de transmettre les gestes et les compétences. Itinérante entre les châteaux viticoles médocains, cette école de la vigne a été initiée il y a une dizaine d’années. À sa tête, une poignée d’opérateurs collabore avec Pôle Emploi et l’ANEFA (Association nationale paritaire pour l’emploi et la formation en agriculture), un réseau de proximité composé de spécialistes en recrutement et emploi dans le secteur agricole. « Il s’agissait de trouver des candidats aux métiers de la vigne pour lesquels nous avons du mal à recruter. En sélectionnant des volontaires motivés. En finançant leur formation rémunérée avec un CDI à la clé », détaille Philippe Blanc, directeur du Château Beychevelle.

Ce domaine est l’un de ceux qui ont lancé la formule, avec les châteaux Beaumont, Lagrange, Larose-Trintaudon, et Pichon-Baron. Rejoints ensuite par Phélan-Ségur, Léoville-Poyferré, Chasse-Spleen, La Lagune, Clarke, Montrose, Fonréaud… « Nous sommes bien obligés de constater une désaffection pour nos métiers, une situation aggravée par notre situation géographique ».

Des aptitudes au travail individuel et collectif

Pôle Emploi se charge d’envoyer des mailings aux chômeurs de 16 à 63 ans inscrits dans ses fichiers. À charge pour la dizaine de châteaux impliqués dans le processus de recruter par des mini-entretiens préalables, « afin de s’assurer de la motivation et de l’endurance des candidats en s’appuyant sur leur savoir-être et leur faculté d’adaptation à un organigramme », détaille Fabrice Darmaillacq, directeur technique de Château Clarke en charge de la dernière session. « Pour le reste, on s’en occupe. La formation met surtout à l’épreuve leur capacité à reproduire, à avancer, à travailler autant individuellement que collectivement. L’immersion dans les propriétés les aident à savoir s’ils sont faits pour ça, s’ils sont capables de travailler dehors en toutes saisons et s’ils s’épanouissent dans le vignoble ».

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Avoir un maximum de connaissances de la vigne au chai pour être opérationnel au bout de 18 mois ©DR

Il y a bien quelques erreurs de casting, surtout avec des candidats suivant plusieurs pistes de reconversion, mais finalement, l’École de la vigne enregistre peu d’abandons. Les profils sont très variés avec cette année, une dominante féminine et de plus en plus de saisonniers qui veulent s’inscrire dans la durée, mais connaissent déjà le travail ; ils bénéficient alors d’une POEC allégée (Préparation Opérationnelle à l’Emploi Collective).

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Un apprentissage multimétiers

Au bout de trois mois, les stagiaires démarrent leur parcours de 532 heures vers un Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) en milieu vitivinicole. « Il s’agit de leur apprendre un maximum de choses de la vigne au chai pour qu’ils soient opérationnels au bout de 18 mois de cursus et qu’ils se positionnent sur un métier, sachant que les vignerons et tractoristes sont les plus recherchés par les châteaux » complète Julie Bourseau de la MFR (Maison Familiale Rurale) de Saint-Yzans-en-Médoc (33) chargée de la coordination. La formation longue et les échanges à l’occasion de la tournée dans les différents châteaux partenaires où se déroulent les cours théoriques les aident à se positionner en pleine connaissance des différents métiers.

Pour chaque bloc de la formation, une évaluation pratique et théorique. Les participants doivent rédiger un dossier sur le sujet de leur choix et passer devant un jury de professionnels. Au total, environ 70 élèves répartis sur 8 sessions ont suivi la formation depuis 2015. Le taux de réussite avoisine les 93% et le parcours de qualification débouche sur un CDI.

« Nous avons gardé tous ceux qui sont passés par chez nous, affirme Fabrice Darmaillacq. Nous essayons de nous adapter aux cas individuels – pour 10-12 personnes, c’est plus facile, et d’aider ceux qui auraient des problèmes de logement ou de transport. Certains n’ont pas le permis et nous organisons des ramassages en sorties de bus ou des covoiturages. Mon seul regret est de voir la formation s’essouffler, car on se détourne de nos métiers ». Une formule similaire a été mise en place en Pessac-Léognan et sur la rive droite.

L’expérience de Julien

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La possibilité de pouvoir tester plusieurs postes, c’est important ©DR

Julien, la quarantaine, a toujours été attiré par la vigne et le chai, mais longtemps basé en région parisienne, il avait plutôt opté pour le métier de géomètre. Il décide finalement de changer de vie en déménageant dans le Bordelais. Après avoir travaillé ponctuellement dans des domaines, il choisit de postuler fin 2020 à l’École de la Vigne. En observation dans les différents châteaux lors de la formation, il se rend compte que c’est la polyvalence au fil des saisons qui le séduit le plus, passer de la taille au tracteur et à la machine à vendanger puis au chai.

« Le plus difficile a été d’engranger beaucoup d’informations surtout lors des sessions théoriques, reconnaît l’apprenti vigneron. La réussite de la formation repose également sur le fait que les châteaux jouent le jeu en vous confiant des tâches diverses. Et que l’on vous fasse confiance pour que vous puissiez tester différents postes ».

Julien a d’ailleurs été embauché à un poste polyvalent au Château Clarke. Pour celui qui a travaillé pendant une vingtaine d’années comme géomètre, un métier d’extérieur n’est pas un obstacle. « Quand on fait une activité physique, on n’a jamais froid contrairement à un géomètre qui bouge peu et ne peut pas mettre de gants pour écrire ou taper sur son clavier. Bien sûr la vigne, c’est dur. Plus encore chez un prestataire de services qui travaille davantage à la quantité à grosse cadence. Cependant, les châteaux savent aménager la charge de travail de leurs salariés. Et le salaire est en général convenable, complété par des primes ». ♦