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Une école des « transformateurs publics » incubée à Marseille

Par Nathania Cahen, le 23 mars 2023

Journaliste

Enthousiastes, les 14 de la première promotion ont gardé le contact @DR

C’est une première en France et c’est à Marseille. En 2022, une promotion pilote de 14 acteurs territoriaux a suivi cette formation inédite, conçue pour raisonner transversal, coopérer et accélérer les projets d’innovation publique. Une deuxième fournée de transformateurs publics est en cours de constitution.

La spécificité de cette approche repose sur sa méthode et son ambition. Elle a été mise au point par une équipe d’entrepreneurs sociaux et d’institutions complémentaires. Les 14 premiers participants ont été collégialement sélectionnés sur des projets concrets, ambitieux et réalisables. Sur l’intérêt et le fort soutien témoignés par leurs hiérarchies. Sur des critères de faisabilité et sur leur motivation à créer des ponts et des dynamiques entre les institutions qu’ils représentent.

La Mairie de Marseille, la Métropole Aix-Marseille-Provence, l’AP-HM, et Pôle Emploi ont immédiatement compris l’intérêt de cette initiative. Ils ont engagé de 2 à 6 cadres ou agents en charge de problématiques spécifiques. Comment renforcer le conseil communal en santé en lien avec les citoyens et les services de la ville (Ville de Marseille) ? Accompagner le changement d’usage de la caserne du Muy en intelligence collective (Métropole) ? Faire de l’AP-HM le premier employeur inclusif de la région ? Propulser le Lab Pôle Emploi comme l’outil incontournable de l’insertion professionnelle ?

Réinventer la « puissance publique »

Une école des « transformateurs publics » incubée à Marseille 1
La formation de transformateur public court sur six mois et se décline en autant de modules thématiques @DR

L’idée d’une telle formation germe il y a une poignée d’années. « Beaucoup d’acteurs de l’innovation sociale constataient des difficultés à travailler avec les institutions publiques – sur des questions de gestion ou encore de temporalité. Il nous semblait opportun de réinterroger la façon de mener certains projets », rembobine Olivia Fortin, adjointe (Printemps Marseillais) au maire de Marseille, Déléguée à la modernisation et à la qualité des services municipaux. « Or, la modernisation est au cœur de mon mandat. Opérer un changement de culture est une brique parmi d’autres, mais elle est importante ».

Un brainstorming avec l’équipe de l’accélérateur à projets Marseille Solutions débouche sur l’idée d’une formation. « Nous avons pensé intelligence collective, accompagnement individuel, formation vivante, méthodologie, facilitation, engagement, projets à impact… », déroule Daphné Charveriat du Lab Innovation et Transformation de la Ville de Marseille.

La première promo de Transformateurs publics s’élance en mars 2022. La formation court sur un semestre, à raison de deux jours par mois. Elle se décline en six modules thématiques (lire bonus) animés par des formateurs experts issus du Laboratoire d’intelligence collective et artificielle (LICA), de Synergie Family, de Marseille Solutions, de Qwantic, ou de même de certaines collectivités. Avec, en parallèle, un coaching individuel et collectif.

Une méthode plébiscitée

Laure Gaillard, Chef du service alimentation à Aix-Marseille Métropole a fait partie des cobayes. Elle travaille notamment sur le PAT, Projet alimentaire territorial. « Cette formation a été une bénédiction, une bouffée d’oxygène. Travailler avec des gens d’administrations différentes, mais animés par des valeurs de service public communes et très fortes a constitué une richesse et m’a aidée à passer certaines étapes. Ça a bougé beaucoup de choses en moi. C’est intéressant de voir comment fonctionnent les autres administrations, leurs pratiques, outils, labs ».

Elle évoque le module « apprendre à se connaître » et la découverte de l’ennéagramme, technique issue de la méthode Palo Alto pour reconnaître neuf typologies de personnalités et permettre de travailler en bonne intelligence avec son entourage. « Ce sont des outils qui permettent de régler des problèmes, dans la hiérarchie notamment. Avec mon N+2, j’ai appliqué les ‘discussions en marchant’, une façon de dialoguer apaisée, qui a permis de débloquer une situation ».

♦ Relire l’article : Appliquer à l’entreprise les principes de la permaculture

« Le courage de se lâcher, de penser grand, mais agir petit »

Corinne Perinu-Rosmini, elle, s’est approprié la technique de « la tour de guet », « prendre de la hauteur pour considérer une problématique, sous tous les angles, du point de vue du client, du bénéficiaire… » Chargée de mission à la Direction générale des Services de la ville de Marseille, elle planche notamment sur le nouveau dispositif MIA, pour Marseille innove par les alliances. « J’ai intégré la formation à un moment où j’étais en reconversion, où j’avais besoin de trouver l’élan pour me projeter dans un univers dans lequel je n’avais pas de repères. Ça a été extraordinaire, un bol d’oxygène énorme : le courage de se lâcher, d’oser penser grand, mais agir petit… confesse-t-elle. Cela a conforté mon appétence pour les synchronicités ».

La fonctionnaire évoque encore la coopération, la possibilité de sortir de son cercle habituel pour chercher des alliances nouvelles et se sentir légitime pour le faire. « Nos institutions n’ont pas l’habitude de travailler ensemble mais nous rencontrons des problématiques identiques. Comme nous fonctionnons avec des biais différents, nous avons depuis gardé l’habitude de nous conseiller et de nous entraider », se réjouit Corinne Perinu-Rosmini.

Du concret pour les représentants de Pôle Emploi

Ils étaient deux missionnés par cet établissement public : Christophe Gaita, Responsable du service projets innovants & Lab, et Xavier Guidoni, Directeur des affaires institutionnelles pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Nous avions différents sujets d’intérêt, explique ce dernier. Trouver comment gagner en surface d’influence. Comprendre comment accompagner les périodes de tension dans le recrutement de certains services publics comme l’hôpital ou la mairie. Rencontrer leurs responsables ressources humaines et nouer des liens m’a fait gagner un temps précieux. Cela a même débouché sur deux projets de conventions prochainement signées ». Il insiste sur deux valeurs clés : le codéveloppement et la bienveillance.

Les échanges ont par ailleurs permis à Pôle Emploi (qui s’appellera bientôt France Travail) d’envisager des moyens d’anticiper les crises et de monter des formations adaptées en amont.

♦ Lire aussi : La Grande Bobine, un institut territorial des transformations publiques

Continuer à brainstormer ensemble

Retour avec la métropole avec Dalila El Jaouadi, chargée de développement territorial à la direction Politique de la Ville, service Cohésion sociale. « On travaillait trop en silo, chacun veillait sur son pré carré, changer de moule était très innovant ! » Elle raconte : « J’en ai fait des formations, car j’adore apprendre et monter en compétence… J’ai tout de suite senti le positif de celle-ci ! ». Ce qui lui a plu ? « Des choses que je n’avais jamais faites, comme se connaître soi-même – et réaliser qu’à 53 ans je ne me connaissais toujours pas. Quand je mettais de l’humain dans mon travail, cela semblait poser un problème à certains. Les ateliers m’ont libérée : je ne culpabilise plus, j’ai appris à faire avec ce que je suis. Cela m’aussi donné des outils pour animer les réunions, les rendre plus ludiques et humaines. Quand j’entame une séance en demandant l’humeur de chacun, cela surprend, puis détend ».

Dalila El Jaouadi souligne qu’il est important pour elle de continuer à travailler avec les treize autres, sur l’agriculture urbaine, les soins dans les quartiers nord de Marseille, ou le conseil des femmes des quartiers populaires qu’elle met actuellement sur pied. « Le groupe m’a permis d’oser, de structurer, de concrétiser », souligne-t-elle. De son côté, elle a donné un coup de pouce à l’AP-HM qui a installé un centre de santé dans la cité des Flamants.

Une école des « transformateurs publics » incubée à Marseille 2
« Il est temps que la fonction publique se transforme, que ses techniciens se parlent » @DR

À peine quelques plâtres essuyés…

Certains regrettent une formation trop courte, « du coup on ne maîtrise pas assez pour transmettre ou appliquer. On a envie de creuser ces pratiques, mais le quotidien nous rattrape, c’est frustrant », avoue Laure Gaillard. « Ce n’était pas parfait, on a essuyé les plâtres, embraye sa collègue Dalila El Jaouadi. Mais il est temps que la fonction publique se transforme, que ses techniciens se parlent. Et puis des liens solides se sont noués. Il faut transformer l’essai ! » Si Xavier Guidoni regrette l’absence de représentants de la Région, du Département et de la Préfecture, il sait que « le projet a vocation à élargir son horizon » et attribue la note de 17 sur 20 à cette V1 !

Ces deux journées mensuelles, il a parfois fallu les intercaler au chausse-pied dans des emplois du temps bien remplis. « Un gros investissement temps, confirme Corinne Perinu-Rosmini. Parfois dur à gérer, mais tellement nécessaire ». Elle évoque aussi une dimension ludique qu’elle a apprivoisée, « parce qu’il est important de susciter l’imaginaire quand il s’agit de retrouver des marges de manœuvre ».

  • Pour obtenir des infos : transformateurs.publics@gmail.com . La formation coûte aux alentours de 5000 euros. Elle peut être prise en charge par des fonds dédiés des collectivités concernées ou par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Les fondations d’une véritable École des transformateurs publics

Les 14 de la première promo ont gardé le contact, pratiquent à l’occasion le codéveloppement, sollicitent le groupe pour résoudre des problématiques auxquelles ils sont confrontés. « On repart toujours avec des propositions ou des solutions », se félicite Laure Gaillard.

Cette première promotion a posé les fondations d’une véritable École des transformateurs publics. Daphné Charveriat l’assure : « Tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette dynamique un puissant levier de transformation et de valorisation de l’action publique ». De quoi rendre aussi plus attractifs les postes administratifs – une centaine sont actuellement à pourvoir, à la Ville, l’AP-HM… » Le projet à terme reste de former 100 à 150 transformateurs publics par an. Des travaux dans ce sens sont en cours avec la Banque des Territoires et le CNFPT pour officialiser la formation. Et permettre un traitement efficace et accéléré pour nombre de projets ressources. ♦

Bonus

La formation en quelques chiffres

  • 6 mois d’ateliers et d’accompagnement
  • 14 porteurs de projets d’innovation publique territoriale accélérés
  • 6 modules thématiques

◉ Module 1 – Se découvrir. 3 jours

◉ Module 2 – Développer sa créativité. 2 jours.

◉ Module 3 – Coopérer. 2 jours.

◉ Module 4 – Entreprendre. 2 jours.

◉ Module 5 – Rester connecté.e.s 1 jour.

◉ Module 6 – Se propulser. 2 jours

  • 8 formateurs experts

 

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