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Une fondation d’entreprise pour accompagner l’envol professionnel de jeunes défavorisés

 

Par Olivier Martocq, journaliste

« Le profit n’est pas une fin en soi ». Cette affirmation relève peut-être souvent de l’élément de langage convenu dans les discours en vogue chez les startuppers. Elle est en tout cas appliquée par Régis Arnoux, l’un des patrons les plus secrets de Marseille, dernier représentant actif d’une génération aujourd’hui partie à la retraite. PDG et fondateur de CIS (Catering International Service), 11 000 salariés répartis dans 25 pays, il a lancé voilà 10 ans la Fondation CIS, pour permettre à des jeunes de milieux défavorisés de réaliser leur projet professionnel.

 

L’acte fondateur du partenariat à venir entre le potentiel bénéficiaire de « la bourse de l’envol » et CIS réside dans cet entretien passé devant le comité de sélection, au siège de l’entreprise. Tous les participants installés autour de la table sont volontaires. Tous ont sérieusement préparé ce rendez-vous déterminant. À commencer par les candidats, qui nourrissent un projet professionnel et savent quel parcours universitaire ou cycle d’apprentissage suivre pour y parvenir. Face à eux, des salariés aux profils très différents, motivés par cette démarche. Ce sont eux, et pas un jury de financiers ou de patrons, qui prendront la décision d’accompagner ou non les candidats. Les questions ne sont donc pas formatées et on s’autorise à évoquer la « vraie vie », ou les raisons d’un parcours chaotique. Un moment difficile pour ces jeunes tout juste majeurs, souvent issus de familles en grandes détresse économique, psychologique ou morale avec, parfois, des parents absents, violents ou alcooliques. La plupart n’ont pas les codes, ne se sont jamais confrontés à un tel exercice. Mais, « c’est à ce moment que se crée la relation qui va nous permettre d’avancer ensemble », explique Loic Souron, le président de la Fondation CIS.

 

« Au début, on nous a pris pour une secte » !

Contrairement à une idée reçue, vouloir faire le bien n’est pas une sinécure. « Nous n’allions pas passer une annonce pour dire que nous avions de l’argent à distribuer », raconte Loic Souron. Le premier travail a donc été de flécher les candidats. Pour ce faire, la fondation s’est tournée vers des institutions, des écoles, des universités. Grosse surprise, toutes celles qui ont été sollicitées lors de cette première approche ont regardé cette démarche 100 % privée avec suspicion, y cherchant une tentative d’influence patronale, politique ou même religieuse. Il a fallu trois ans et l’intervention de plusieurs assistantes sociales, heureuses d’avoir enfin des débouchés à offrir à des jeunes suivis parfois depuis l’enfance, pour que la situation se débloque. Aujourd’hui, l’Ecole de la 2e Chance (E2C) est partie-prenante dans le processus de détection des candidats, tout comme la Fondation de France. Mais les services sociaux, qui agissent au quotidien sur le terrain, restent les premiers pourvoyeurs de dossiers.

 

Infirmier(e), banquier(e), boulanger(e), avocat(e), ingénieur ….

La « bourse à l’envol » crée une relation directe entre la Fondation CIS et le jeune. C’est lui qui fait les demandes, justifie les sommes dont il a besoin avant de recevoir l’argent directement sur son compte en banque. Les demandes sont aussi diverses que les parcours. Un scooter pour pouvoir se rendre sur son lieu de stage dans les quartiers nord à 4 heures du matin. Un billet de train, des inscriptions au concours de plusieurs grandes écoles de commerce ou d’ingénieur à Paris. L’équivalent du job chez Quick payé afin de libérer du temps d’étude. Chacun des 100 jeunes retenus depuis le lancement de la fondation a été un cas unique. Les échecs se sont comptés sur les doigts d’une main. Les réussites sont toutes considérées comme exceptionnelles, qu’il s’agisse de l’analyste embauché à New-York par Goldman Sachs ou de l’infirmière fraichement diplômée. « Au fil des années on s’est rendu compte que l’aide matérielle n’était pas le facteur déterminant », analyse Loic Souron. « Elle se monte en moyenne à 2 000 € par an ce qui n’est pas considérable ». Pour lui, l’essentiel est ailleurs et réside notamment sur le suivi quotidien et l’engagement sur de longues périodes parfois. Mais aussi dans le regard porté sur ces jeunes et l’accompagnement qui leur est offert. À l’écoute de leurs aspirations. « On les voit changer physiquement, dans leur comportement, leur manière de s’habiller, d’affronter le regard de l’autre, de s’imposer ».   

 

« L’entreprise ne doit pas être déconnectée de la vraie vie »   

Une fondation d’entreprise à la rescousse des étudiants défavorisés 2
Base CIS en Mongolie.

La Fondation CIS est financée à 100 % par les résultats que dégage le groupe. L’objectif poursuivi par Régis Arnoux en interne est d’ouvrir les collaborateurs à d’autres problématiques que le profit. « Une entreprise ne doit pas être qu’une machine à faire du cash, il faut qu’elle ait du sens ». Et l’hôtelier de l’extrême d’expliquer que dans tous les pays où CIS intervient en créant des bases vie sur les grands chantiers, des projets d’aide aux populations locales sont développés en parallèle : pompes pour amener de l’eau, éclairage urbain fonctionnant à l’énergie solaire, crèche pour enfants abandonnés, création d’exploitations agricoles cédées aux habitants une fois la mission de CIS achevée, etc. Loin de cette réalité de terrain, le siège marseillais n’est pas déconnecté pour autant, comme en témoigne cette attention portée à une population également fragile et vivant à proximité immédiate.