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Pour les jeunes, l’insertion par le beau

Par Antoine Dreyfus, le 13 décembre 2019

Journaliste

Le Passage, fresque monumentale de fleurs de pissenlits, a été inaugurée le jeudi 12 décembre dans une cité de Marseille. Imaginée par l’artiste Aurélie Masset et réalisée par six jeunes en service civique, elle vise à redonner des couleurs à un quartier souvent maltraité et redonner la pêche aux jeunes qui ont contribué à la réaliser. Un projet d’insertion par l’art.

 

Résidence Bellevue, à Félix Pyat, l’une des cités les plus pauvres de Marseille, mais pas au nord, plutôt vers le centre. Une belle journée d’hiver ensoleillée. Au bas de l’une des façades, on s’active donc, pour finaliser la fresque, fruit d’un travail de longue haleine. Elle n’est pas complètement terminée, mais presque. Le plus long a consisté à réaliser les pochoirs que les six jeunes du service civique vont placer sur la façade d’une longue barre du Parc Bellevue. Les premiers motifs, deux fleurs, ont déjà été peints par des cordistes, car la nacelle, sur laquelle travaillent les jeunes ne permet pas d’atteindre le haut du bâtiment.

Ce programme est porté par l’artiste Aurélie Masset, connue dans les quartiers Nord pour avoir accompagné des projets artistiques novateurs, où se mêlent fresques monumentales, éducation à l’art et musiques urbaines (IAM, Fonky Family, etc.).

 

Œuvre urbaine d’insertion

Une fresque monumentale pour remotiver les décrocheursLa fresque monumentale s’intitule Le passage. C’est à la fois une œuvre urbaine, un projet d’insertion et de création artistique dans ce quartier populaire de Saint-Mauront, sous la houlette de l’association d’Aurélie Masset, Méta 2. La fresque Le Passage est installée tout près du futur parc (coulée verte) d’Euromed (Bonus). Pour l’aider dans la réalisation, l’artiste travaille avec six jeunes des quartiers, sélectionnés « uniquement sur la motivation. Nous n’avons pas regardé les diplômes ou les formations, explique Aurélie Masset. Uniquement la motivation. » Il ne s’agit pas d’un simple atelier de quelques jours, mais d’un service civique d’un an. « Nous accompagnons ces six jeunes pendant un an. Nous les initions à différentes techniques artistiques. Nous les formons. Nous les initions à l’art. Puis, ce sont eux qui réalisent la fresque selon la technique du pochoir. »

 

L’idée de la fresque consiste bien évidemment à donner des couleurs à ce quartier, mais aussi à donner confiance à des jeunes qui ont décroché des cursus classiques de l’école. « Tous ont pris de l’assurance. On les a vu changer. C’est incroyable », assure Aurelie Masset. Signe de l’intérêt : Le Passage est lauréat du concours national « S’engager pour les Quartiers » organisé par l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) et FACE (Fondation Agir Contre l’Exclusion) dont la finale avec les trois lauréats nationaux a eu lieu le 9 décembre à l’Assemblée Nationale à Paris.
Aurélie Masset y a défendu ce projet et la fresque qui représente des pissenlits.

Pourquoi cette fleur d’ailleurs ? « On me le demande souvent. Cette fleur est le symbole des flux migratoires de Marseille, car elle pousse partout. C’est aussi une plante populaire, une sorte de mauvaise herbe. Enfin, le pissenlit est rattaché à la devise de Larousse « Je sème à tous vents » et du dessin d’Émile-Auguste Reiber. »

 

Une résidence décatie

Une fresque monumentale pour motiver les décrocheurs 2La résidence Bellevue à Félix Pyat a longtemps été un concentré de problèmes : des immeubles récents mais dans un état de ruine avancé, habités par des propriétaires pauvres et endettés ou des locataires exploités par des marchands de sommeil. Faute d’entretien, la résidence de 6 000 habitants présentait le visage d’une déshérence : rouille, béton cassé, fils électriques à nu, murs pelés à force d’humidité, rats, cafards, poubelles jetées dans la rue ou dans les parties communes, caves inondées, etc. « Au ‘pire du pire’, a raconté Michel Henry de Libération au début des années 2000, des marchands de sommeil achetaient les appartements, des T3 ou T4, entre 5 000 francs (760 euros) et 25 000 francs (3800 euros). Ils les relouaient 2 500 francs par mois (380 euros). » Pendant longtemps, les outils réglementaires et financiers manquaient pour permettre une réhabilitation plus que nécessaire. Finalement, en 1999, un plan de sauvegarde a été annoncé, et la Logirem a racheté des appartements, avec des programmes mixtes, en proposant des logements sociaux ou très sociaux. Un autre bailleur, Marseille Habitat, gère l’autre partie des appartements.

La fresque participe de ce renouvellement urbain. Un coup de peinture qui s’accompagne d’un volet social innovant. Six jeunes donc : Ludyvine, Oustadjidine, Karim, Ambrine, Ben et Djamila. Six parcours différents, mais qui racontent tous un peu la difficulté d’avoir grandi dans un quartier réputé difficile, à Félix Pyat, à Guichard ou à la Belle-de-mai. Six jeunes qui ont évolué, à des degrés divers, grâce à ce service civique.

 

Changer le regard des gens sur les cités

Une fresque monumentale pour remotiver les décrocheurs 1Ousta, comme il aime qu’on l’appelle, n’est là que depuis un mois et demi, arrivé sur le tard pour ce service civique. Il a 19 ans, vient du secteur difficile Guichard-Gaillard, dans le quartier Saint-Mauront, a décroché un CAP électricité. Il est passé par l’école de la seconde chance (« mais ça ne me correspondait pas »). Il aime le côté « artistique et technique » de ce service civique. Et il trouve qu’il s’est amélioré « dans la façon de s’exprimer ».

Karim, lui, affiche 24 ans et déjà plus de maturité. Originaire des Comores, il a grandi à la Belle-de-mai. Il ne manque pas de formations (CAP en pâtisserie, formation de peintre) et a déjà travaillé comme peintre en intérim. Mais il se cherche. La motivation ? « Aider le quartier. J’ai plein de copains ici. Et si on peut changer le regard que les gens ont sur les cités, tant mieux. » Même s’il ne deviendra pas artiste peintre, Karim s’est découvert une nouvelle envie : travailler dans une ferme. « J’ai besoin d’être dehors à l’air libre et pas enfermé. Pourquoi pas la ferme ? »

Côté filles, il y a Ludyvine (« avec un y » tient-elle à préciser, 19 ans), qui vient de Saint-Just. Niveau terminale avec un bac pro en gestion/administration. Elle a décroché avant de passer le bac, a gardé des enfants et a été animatrice en centre aéré. Si elle ne sait « pas vraiment ce qu’elle va faire après ça », elle a beaucoup aimé « découvrir l’art, les ateliers artistiques et les différentes techniques. »

Résidente de Félix Pyat, Djamila, 19 ans, a, quant à elle, obtenu son bac ST2S (sciences et technologies de la santé et du social). Elle a voulu passer le concours d’infirmière, mais le concours a été annulé. Ce service civique a fait un bien fou à Djamila : « J’ai beaucoup changé. Je suis plus à l’aise qu’avant. Je n’ai plus peur de prendre la parole en public, parce que nous avons rencontré plein de personnes différentes. J’ai aussi découvert l’art. Et c’est très gratifiant de faire quelque chose qui va rester longtemps. » ♦

 

BONUS

  • L’atelier Méta 2 – C’est un lieu de création artistique situé au cœur du quartier Saint-Mauront. Composé d’une équipe d’artistes plasticiens et d’animateurs artistiques, Méta 2 se spécialise depuis 1999 dans l’art monumental et l’aménagement d’espaces publics, lieux de passage, non-lieux, en zones de rencontres entre les usagers par différentes approches. Le style des artistes de l’Atelier Méta 2 s’apparente à l’art monumental et l’art urbain : leurs œuvres s’imposent dans l’espace public par un format qui interpelle le citadin, investissent la ville par la couleur, sous différentes formes et matériaux (peinture, mosaïque, béton coloré, sculptures…). Elles s’extraient des lieux de l’art et de ses formes traditionnelles pour interagir sur un environnement social, géographique, politique et esthétique. […] Les œuvres s’inspirent de travaux tels que ceux de Friedensreich Hundertwasser, peintre et architecte autrichien qui s’est consacré à la création « d’un monde aux couleurs gaies (…) synonyme de paradis », du Modernisme espagnol, illustré par l’architecte Antoni Gaudi ou encore de l’Op Art par un jeu de formes géométriques, d’aplats de couleurs contrastées et de structures formelles répétitives.

  

  • Malik Ben Messaoud – Cet artiste et sculpteur a été le compagnon d’Aurélie Masset. Son travail consistait à faire tomber les ghettos physiques et psychiques. Il est décédé en 2015. Intimement lié à la cité de Bassens, cité surgie des urgences d’accueil des années 60, Malik Ben Messaoud entretenait aussi des liens avec la Friche qui lui doit deux projets (Bassens-Support Cité 1 et Méta 2) et aux quartiers de Saint-Mauront et la Belle de Mai où il travaillait. À lire ici, une histoire de Bassens et de Malik Ben Messaoud

 

  • Le concours S’engager pour les quartiers – Il a été initié par la Fondation FACE et l’ANRU en 2011. Le concours, divisé en catégories, récompense chaque année des projets à vocation sociale développés dans des quartiers qui ont fait, ou vont faire, l’objet d’un renouvellement urbain. L’appel à candidatures 2020 n’a pas encore été lancé.

 

 

  • Le parc Bougainville – Situé au sud du Vallon des Aygalades, d’une surface de 4 hectares, il est la première étape d’un grand projet de renaturation d’un site industriel fortement dégradé. La première ambition de ce parc est de créer de toutes pièces, dans un contexte très dégradé (fourrière, friche industrielle), un espace public de qualité afin de rééquilibrer le déficit d’espaces verts que connaissent les quartiers nord de Marseille. Différentes zone du parc seront dédiées à différents usages : espaces plantés, espaces pour enfants, zones actives. Le parc Bougainville n’est que la première pierre du futur parc des Aygalades, une longue coulée verte de 14 hectares le long du ruisseau du même nom. Rayé du paysage au siècle dernier lors de l’urbanisation des quartiers nord de Marseille, ce ruisseau constituera bientôt l’épine dorsale « verte » de l’EcoCité. Le futur projet, en images.