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Quand les chercheurs se mettent à la portée des profanes

Par Agathe Perrier, le 21 octobre 2022

Journaliste

Bloën Metzger et Alexis Bougouin, chercheurs à l’IUSTI, ont transmis leurs connaissances sur les milieux granulaires qui ont une propriété unique : êtres solides tout en coulant comme des fluides © Agathe Perrier

Comment une plante peut bouger alors qu’elle n’a pas de muscles ? Et pourquoi peut-on courir sur de la Maïzena ? Autant de mystères que des chercheurs marseillais ont résolu dans leur laboratoire. Et expliqués au grand public à l’occasion des « visites insolites » de la Fête de la Science. Ces moments d’échanges privilégiés permettent, en plus, de faire tomber les préjugés sur les scientifiques et la recherche.

 

Rapprocher les sciences du grand public : tel est l’objectif de la Fête de la Science qui s’est tenue du 7 au 17 octobre (bonus). Parmi les événements proposés, le CNRS – le plus grand organisme public français de recherche scientifique – avait demandé à ses chercheurs d’ouvrir leur laboratoire et d’y organiser des « visites insolites ». À travers des ateliers, les participants ont découvert leur travail et leurs sujets d’étude. « C’est important de leur montrer que l’on est des personnes normales et que ce que l’on fait, même si c’est complexe, a des applications très simples dans la vie », indique Thomas Fasquelle, enseignant-chercheur spécialisé en énergie solaire à l’IUSTI (Institut universitaire des systèmes thermiques industriels, installé au technopôle de Château-Gombert (bonus). La preuve par l’exemple.

 

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Les chercheurs utilisent de la maïzena pour expliquer les propriétés des milieux granulaires © AP

Expérience ludique et bluffante

Quel est le point commun entre du sable, des pâtes, des bonbons ou de la Maïzena ? Tous sont ce que l’on appelle des milieux granulaires. « Leur particularité est qu’ils sont solides mais peuvent couler comme des fluides », résume Bloën Metzger, chercheur à l’IUSTI. Expérience pratique avec de la Maïzena, pour mieux se rendre compte. Cette poudre blanche est généralement utilisée en cuisine, notamment afin d’épaissir les sauces. Ses grains sont ultra fins : 15 microns de diamètre chacun – pour comparaison, un cheveu mesure 200 microns.

Mélangée à de l’eau, la solution prend la forme d’un liquide blanc un peu épais dans lequel on peut faire circuler son doigt. Mais pas trop vite, au risque de la solidifier. C’est d’ailleurs ce qui arrive lorsque l’on tape dessus : le mélange devient complètement dur et amortit le coup. Réaction médusée des visiteurs ; et amusée du scientifique. « Quand la suspension est au repos, les grains ne se touchent pas, ce qui permet d’avoir un liquide. En tapant, on stimule un frottement entre eux et c’est là que ça devient un solide ». Un mécanisme connu depuis plus de cent ans par les chercheurs, qui n’a pourtant été expliqué qu’en 2014 par une équipe de New York. Pour les parties théorie et simulation seulement : la preuve expérimentale a ensuite été apportée ici, par une thésarde de l’IUSTI !

 

 

Des applications bien concrètes

Travailler sur la Maïzena peut paraître anecdotique, mais les connaissances dégagées sont précieuses. Elles permettent en effet de mieux comprendre les capacités d’écoulement des milieux granulaires dans leur ensemble. « Grâce à leurs propriétés, ces éléments peuvent être utilisés pour concevoir des protections médicales, des gilets pare-balles voire même des dos d’âne intelligents. Il faut par contre les doser correctement car le solide peut se casser », expose Alexis Bougouin, post-doctorant à l’IUSTI. La recherche est d’ailleurs loin d’avoir percé tous les secrets (ou levé tous les mystères) de ces milieux granulaires.

Un autre atelier montre comment les plantes bougent alors qu’elles n’ont pas de muscles. Là encore, via une petite expérience toute simple : un morceau de papier calque déposé dans de l’eau. Au bout de quelques secondes à peine, il s’enroule sur lui-même. « C’est dû au contact de l’eau avec les fibres du papier. Le moteur à la base des mouvements est l’eau, et c’est pareil avec les plantes», souligne Joël Marthelot. Des connaissances bien pratiques, utilisées pour créer notamment des tissus anti-transpirants ou imperméables. La recherche ne reste pas cantonnée aux laboratoires et c’est tant mieux.

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Une expérience à base d’un papier calque pour illustrer comment les plantes bougent… sans muscle © AP

 

Faire tomber les idées reçues

La visite se termine par un dernier atelier sur les modes de transfert de chaleur. Un moment qui a particulièrement plu à Jessim, surtout quand il a fallu se servir d’une caméra thermique. Mais aussi à la maman du petit garçon de 9 ans. « Les expériences sont vraiment simples donc on peut facilement les refaire chez nous », apprécie Hanane. Nul doute que le reste de sa famille découvrira bientôt les étonnantes propriétés de la Maïzena, autrement que dans des petits plats.

La visite a également permis de lui révéler une réalité différente de ce qu’elle imaginait. « Beaucoup de chercheurs de ce labo sont jeunes alors que je pensais qu’ils seraient tous plutôt âgés », sourit cette pétillante Marseillaise. Et de poursuivre : « J’avais du mal à comprendre leur métier avant de venir, là je saisis mieux. Ils expliquent tout de façon très claire ». Mission réussie donc pour les scientifiques de l’IUSTI. « Vulgariser notre travail, dans nos domaines, n’est pas difficile. Et on ne manque pas d’idées ! Le plus dur, pour être honnête, est de décider de prendre le temps de le faire », reconnaît Thomas Fasquelle.

 

 

Des visites à guichet fermé

137 visites insolites ont été proposées partout en France, chacune recevant une quinzaine de participants. « Les expériences vécues ne peuvent se partager qu’en petit comité », glisse-t-on au sein du CNRS. Décrocher sa place devait d’ailleurs se mériter. Il fallait remplir un questionnaire en ligne, dont les réponses se trouvaient en quelques clics sur internet. Car il faut avouer que l’événement est victime de son succès. Lors de la précédente édition, 500 candidatures ont été enregistrées pour 136 places disponibles. ♦

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Bonus 

  • L’institut universitaire des systèmes thermiques industriels, c’est quoi ? Le laboratoire IUSTI est une unité mixte de recherche CNRS-Aix Marseille Université (UMR 7343). Il se consacre aux sciences de l’ingénieur autour de recherches en mécanique et énergétique, et aborde des problèmes en lien avec de nombreuses applications dans l’industrie, l’environnement ou la santé.
  • La Fête de la science : 10 jours de manifestations partout en France – Organisé par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche depuis 1991, cet événement se déroule tous les ans au mois d’octobre au niveau national. Le programme se veut varié, entre ateliers, conférences, jeux, parcours, festivals, spectacles vivants ou encore visites de laboratoires, de sites naturels et industriels. Les visites insolites du CNRS sont un événement parmi une multitude d’autres, depuis trois éditions maintenant. La Fête de la Science revient par ailleurs du 10 au 27 novembre à l’international et en outre-mer. Toutes les infos en cliquant ici.
  • À (re)lire : notre reportage « Comment épingler les fausses publications scientifiques ? »

Comment épingler les fausses publications scientifiques ?