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Les voies réservées au covoiturage gagnent (doucettement) du terrain

Par Nathania Cahen, le 10 février 2021

Journaliste

Crédit AREA, groupe APRR

Quelques voies « VR2+ » réservées au covoiturage sont apparues en France en 2020… Aux États-Unis, la première expérience remonte à 1976 ! Les intentions sont louables, les politiques publiques s’impliquent. Mais les objectifs sont-ils remplis ?

Interview de Thomas Matagne, président-fondateur d’Ecov, opérateur de lignes de covoiturage en zones peu denses. 

Écouter cet article en podcast – 9 minutes

 

Marcelle – Où en est-on avec les voies réservées en France ?

Thomas Matagne – En mai 2020, Elisabeth Borne, l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé l’ouverture de deux voies dédiées au covoiturage sur des tronçons des autoroutes A1 et A6A en Ile-de-France. Ces voies étaient habituellement réservées aux transports en commun et aux taxis. Désormais, elles accueillent temporairement aux véhicules de covoiturage comportant au moins deux personnes.

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Thomas Matagne, président-fondateur d’Ecov

En octobre dernier, un tronçon de 8 km a été affecté au covoiturage sur l’A48 (Grenoble) par AREA sur commande de l’État. Puis Lyon a emboîté le pas avec une nouvelle voie de circulation mise en œuvre sur la M6/M7 (anciennement A6 et A7). La voie de gauche y est désormais réservée au covoiturage, bus et véhicules avec une vignette Crit’Air 0.

D’autres métropoles envisagent de déployer à leur tour des voies réservées aux véhicules d’au moins deux personnes à bord. Par exemple, Nantes Métropole a annoncé l’ouverture d’une voie réservée sur cette grosse artère qu’est le boulevard de la Prairie de Mauves.

 

Ce sont toujours de petites distances ?

En effet, il n’est pas besoin de beaucoup de kilomètres. Il s’agit de cibler des portions de route fréquemment engorgées, où des gains de temps significatifs peuvent être attendus.

 

Ce type de voie existe depuis plus de 40 ans aux États-Unis. Quels sont les enseignements de cette expérimentation ?

Les voies réservées au covoiturage gagnent (doucettement) du terrain 1En 1976, la première expérience de voie HOV (pour high occupancy vehicles) avait tourné court pour la Santa Monica Freeway, en Californie. Moins de six mois plus tard, en raison d’un taux d’accidents plus élevé lié aux différences de vitesse entre les voies et des gains de temps parfois négatifs, un rétropédalage avait été opéré.
Charles Raux, chercheur au CNRS et ancien directeur du Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET) l’évoque dans une étude récente. Il explique que des recherches ont ensuite porté sur la capacité d’écoulement comparée aux différents types de voies et les mesures d’ingénierie du trafic à adapter. Il en ressort notamment que l’impact sur la congestion sera positif si le taux de covoiturage préexistant n’est ni trop faible ni trop élevé (entre 10 et 30%). Si la voie HOV n’est activée qu’en cas de congestion. S’il y a une régulation des bretelles d’accès aux autoroutes, etc.

 

Pourquoi la France s’y intéresse-t-elle si tard ?

C’est pour de bonnes et de moins bonnes raisons ! Aux États-Unis, il n’est pas rare de trouver des routes et autoroutes comptant de 6 à 10 voies ; il est donc assez facile d’en consacrer une au covoiturage. En Europe, nos infrastructures sont beaucoup plus petites. Réserver une des 2, 3 ou 4 voies traditionnelles est plus complexe. On peut alors imaginer utiliser ponctuellement la bande d’arrêt d’urgence – il est possible dans certains pays de doubler par la droite.

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Une parfaite répartition des voies, avec une ligne covoiturage.

Un autre blocage en France était lié à la réglementation : comment contrôler que les automobilistes respectent les conditions ? Les choses ont évolué avec la loi d’orientation sur la mobilité (« des transports du quotidien à la fois plus faciles, moins coûteux et plus propres ») qui rend possible la verbalisation. Et dans un avenir proche, les radars automatiques seront en mesure de compter le nombre de personnes à bord des véhicules. Et de verbaliser automatiquement.

Le problème est d’avoir des radars qui ne font pas d’erreur sur le nombre de personnes à bord, sachant qu’un enfant assis à l’arrière compte bien comme un passager mais n’est pas forcément facilement détectable. Mais de mon point de vue il s’agit là d’un faux problème : on a tendance à attendre la solution technique parfaite, alors qu’une mise en œuvre pragmatique peut très bien fonctionner. Au Canada, il y a du comptage par radar automatique, mais comme on ne les considère comme parfaitement fiables, ce sont les policiers qui verbalisent. Et ils utilisent les compteurs comme une indication statistique sur les périodes où il y a le plus de fraudes. Ainsi leur action est limitée mais efficace, et au final dissuasive.

Enfin, il est important de préciser que les États-Unis n’ont pas de politique dédiée au covoiturage. Il ne suffit pas de mettre des infrastructures, encore faut-il permettre aux automobilistes de covoiturer concrètement. En la matière, la France est certainement le pays d’Occident le plus avancé, même si tout reste à faire !

 

Quel est l’impact écologique des voies réservées ?

Il est encore tôt pour le mesurer, mais inciter au covoiturage diminue le nombre de véhicules en circulation, donc les émissions nocives. Cela s’inscrit dans la Stratégie nationale bas carbone.

Par ailleurs, la Convention citoyenne pour le climat a proposé en 2020 de « généraliser les aménagements de voies réservées aux véhicules partagés et aux transports collectifs sur les autoroutes et voies rapides ». Cette mesure était déjà rendue possible par la Loi d’orientation des mobilités de 2019. Cette LOM permet à l’autorité investie du pouvoir de police de la circulation de créer des voies réservées aux transports en commun, taxis, covoiturage ou véhicules à très faibles émissions. Et de mettre en place des dispositifs de contrôle automatisés. Ce que la CCC permet, c’est de mettre l’accent sur le sujet et de pousser l’Etat et les collectivités à étudier et mettre en œuvre ces évolutions qui ne sont pas toujours politiquement faciles à porter.

 

Les Français sont-ils favorables à ce type d’aménagement ?

Même si on manque d’étude, en général le principe est bien accueilli. Il est même valorisé pour aider à la pratique du covoiturage. Par exemple, dans une étude de l’ADEME, 69% des personnes interrogées se déclaraient favorable aux véhicules peu polluants et au covoiturage, et pour la mise en place de voie de circulation et place de stationnement réservées.

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Crédit photo Clement Choulot – Ecov

C’est la mise en pratique qui est difficile. Quand vous avez une route qui souffre de bouchons, et que vous prenez une voie, la congestion augmente temporairement. Tout le pari est que le covoiturage soit davantage utilisé, grâce à cette voie qui fait gagner du temps. Et qu’au final, il y ait moins de congestion qu’avant la mise en place. Mais la période d’amorçage est difficile, car au début vous avez plus de bouchons et une voie qui paraît « vide ». C’est forcément plus difficilement acceptable à court terme et donc politiquement explosif ! D’où l’importance d’associer aux voies réservées des solutions, qui permettent d’apporter une réponse concrète (solutions de covoiturage, transports collectifs).

 

Qui sont les covoitureurs ? Et comment étoffer leur nombre ?

Si l’on reste aux États-Unis, une enquête menée en 2001 révèle que « plus de 80% des covoitureurs sur les trajets domicile-travail concernent les membres d’une même famille ». Les voies réservées révèlent surtout une pratique existante de covoiturage intrafamilial ou entre collègues. Elle ne génère donc pas de nouvelles habitudes.

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crédit photo Clement Choulot – Ecov.

Or là réside le nerf de la guerre : il faut faciliter la rencontre des futurs covoitureurs grâce à des aménagements appropriés. Comme des aires, des arrêts et des services pratiques et dédiés. À côté du covoiturage « planifié », il faut mettre en place les conditions d’un covoiturage « spontané » (comme les « slug lines » américaines et leurs points de rencontre identifiés).

Dans la région grenobloise, le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) a intégré cette complémentarité. La voie réservée aux covoitureurs sur l’A48 est reliée à une appli qui complète le dispositif et intègre des services de covoiturage planifié et d’auto-stop organisé.

 

Quelles sont les limites ou causes possibles d’échec pour ces voies dédiées ?

Il faut évidemment une masse critique de covoitureurs suffisante pour équilibrer les voies, assurer une bonne fluidité. Charles Raux parle du « syndrome de la voie vide ». Quand la sous-utilisation apparente de la voie réservée devient source de ressentiment de la part des automobilistes restant dans les embouteillages. Même si, en réalité, il se peut que plus de passagers soient transportés par moins de véhicules.

L’enjeu est la transition, passer d’un état à un autre. Il y a un champ à explorer autour de la progressivité. Actuellement, la mise en place est assez binaire. En revanche, avec les véhicules connectés, il est possible d’imaginer une gradation de l’autorisation d’accès, en fonction des conditions. Tout reste à inventer. ♦

 

Bonus
  • À Grenoble, voie réservée mais surveillée – Pour garantir le respect de l’usage de cette voie, la société Pryntec a élaboré un totem, installé sur le bas-côté. Comme un radar. Des capteurs, fixés dans le boîtier, permettent de compter le nombre d’occupants à l’intérieur d’un véhicule en mouvement, que ce soit à l’arrière ou à l’avant. Mais le logiciel respecte la réglementation sur la protection des données. « Si le conducteur enfreint les règles, un message va s’afficher sur les panneaux lumineux lui rappelant de changer de voie », explique l’un des représentants de l’entreprise. Les plus réfractaires s’exposent à une amende de 135 euros.

Fruit d’un travail de trois années, l’ouverture de la première voie de covoiturage de Grenoble pourrait d’ailleurs faire des émules en France. APRR a déjà ciblé d’autres secteurs qui pourraient en bénéficier. Parmi lesquels la métropole de Lyon, Annecy, Dijon ou encore Belfort.

 

  • La profession de foi d’AREA – La Société des Autoroutes Rhône-Alpes a récemment ouvert une voie réservée au covoiturage sur l’A48

« À travers sa stratégie bas carbone, AREA s’est engagée à participer pleinement à la transition énergétique. À lutter également contre le dérèglement climatique. Réduire l’autosolisme (le fait d’être seul à bord de son véhicule), en favorisant le covoiturage, fait partie de nos engagements.

En diminuant le nombre global de véhicules en circulation, le covoiturage permet de limiter les émissions polluantes. En outre covoiturer représente des économies pour l’usager. Mais aussi plus de convivialité, l’accès à la mobilité pour tous (notamment ceux qui n’ont pas de véhicule personnel), et moins de congestion à terme.

Pour accompagner le développement du covoiturage, le groupe APRR co-construit des parkings gratuits destinés aux covoitureurs. Le plus souvent en partenariat avec les collectivités locales. Avec une centaine de parkings déployés, ce sont plus de 4 000 places qui sont dès aujourd’hui disponibles. »