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Voir le monde autrement avec un enfant singulier

Par Marie Le Marois, le 6 avril 2023

Journaliste

La couverture du livre ''Sam. L'envol d'un enfant Asperger'' est inspiré du film Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse

Sam ne parle pas, ne communique pas. Pour le petit garçon, le chemin est plus ardu que pour les autres enfants. Il doit trouver le sien. Comment faire lorsque son enfant a une manière particulière d’être au monde ? Alexia Belleville raconte dans un livre, qui se lit comme un thriller, comment elle a réussi à accompagner son fils jusqu’à son envol. Un témoignage d’une grande richesse, haletant et rythmé, qui intéressera les parents d’enfants singuliers. Mais aussi toute personne souhaitant trouver sa propre voie.

 

Sam est un toujours à l’écart, happé dans son monde. À trois ans, il refuse le contact et impose la distance. Il est présent à ce qu’il entreprend, mais n’y met pas les mots. Il n’a pas non plus de regard, « en tout cas un regard qui se loge dans les yeux de l’autre », raconte Alexia Belleville, auteur et journaliste. La relation n’existe pas. Son intériorité est inaccessible. C’est tout au moins ce que pense sa maman. « Je me trompais, car en réalité, j’avais une mauvaise grille de lecture ».

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 »Sam. L’Envol d’un enfant Asperger » raconte le chemin épineux de Sam, mais aussi de sa mère, Alexia Belleville.

Elle le comprend grâce à Laurence Parizot, orthophoniste à Marseille. Elle ne s’arrête pas à l’apparente immobilité du bambin dans son cabinet, à son regard vide. À l’impression qu’il renvoie de ne pas écouter.

La professionnelle observe qu’il est bien présent et fait attention à tout. Entre en relation avec autrui, mais de manière singulière. « La relation était bien là. C’était l’expression de la relation qui était différente », rapporte l’auteur de ‘’Sam. l’envol d’un enfant Asperger’’. Elle a néanmoins le sentiment de se retrouver devant une malle cadenassée dont il lui est impossible de trouver la clé.

La distance et l’étrange ne la dérangent pas, c’est plutôt de savoir accompagner son petit homme qui la questionne. « C’est comme si on te demandait de monter l’Everest, sans boussole, sans oxygène », résume cette jeune quinqua.

 

♦ Le 6 avril à partir de 18h: rencontre-dédicace Librairie Prado Paradis, à Marseille. Le chercheur François Féron sera présent pour apporter son éclairage (infos ici)

 

Déconnexion pour se protéger et obsessions pour se rassurer

Kaplas
Sam est passionné de Kaplas, au point d’avoir développé des compétences extraordinaires pour la construction. @Kaplas

Sam capte son environnement, mais avec une perception démultipliée – les bruits de la cantine deviennent par exemple une cacophonie intérieure difficilement supportable. Il est alors obligé de se déconnecter et de se retrancher dans son imaginaire. « C’était probablement la seule issue pour pas que son anxiété n’augmente », décrypte sa mère. Dès lors, une évidence apparaît : en se coupant du monde pour se protéger, il développe une intériorité singulière et des compétences extraordinaires, « à moins que ce ne soit le contraire ».

L’enfant se focalise sur ses passions, agence des Kaplas, construit gares et aéroports, dessine des réseaux de transport. Le Dr Nathalie Villeneuve, neurologue à l’hôpital Sainte-Marguerite, avance deux constats. Les créations de Sam, tout ce qu’il réalise avec ses mains, sont ses mots. Et traduisent la première fondation de sa pensée qui s’avère élaborée et intelligente. En effet, ses constructions restent équilibrées, pertinentes et ingénieuses. Le second constat est que ses obsessions qui inquiètent tant ses parents – regarder des heures la machine à laver qui tourne ou les cloches des églises – sont très importantes car elles le rassurent. Et il ne faut surtout pas interférer. Ces comportements devraient disparaître dès qu’il aura développé du lien social, source d’anxiété pour lui.

 

♦ Le Syndrome d’Asperger touche en France environ 400 000 personnes, mais la plupart ne sont pas diagnostiquées. Il se caractérise par l’absence de déficience intellectuelle et du langage, tout en présentant les signes classiques de la triade autistique dont des difficultés dans les relations sociales et de communication (bonus).

 

L’école, mais avec parcimonie

Alexia Belleville
Accompagner Sam, « c’est comme si on te demandait d’escalader l’Everest, sans boussole, sans manuel, sans oxygène », résume Alexia Belleville. @Pixabay

Comment accompagner son enfant singulier sans qu’il abandonne son identité ? Alexia veut simplement lui livrer les clés de compréhension du monde. Pas qu’il se fonde dans le moule « comme nous y invite notre société », souligne cette femme qui s’insurge contre le diktat de la norme limitante qui gomme les aspérités. En revanche, pour y parvenir, ses parents sont obligés de lâcher leur propre référentiel. Et de faire fi des regards et des jugements.

Alexia adapte chaque jour son éducation. Invente une nouvelle manière de vivre en s’adaptant à lui. « À l’échelle d’une journée, je devais élaborer pour Sam un environnement rassurant, calme, silencieux, protégé. Rien qui ne puisse le bouleverser intérieurement. Tout était création ».

Le Dr Bruno Gepner (bonus), qui parvient à voir le monde de Sam à travers ses yeux, conseille l’école « à dose homéopathique ». Car elle est source de stress permanent – et s’il n’est pas pleinement serein, il ne peut pas se développer. En même temps, l’école est importante pour permettre au petit garçon de nouer des amitiés qui lui apporteront cette sérénité dont il a tant besoin, mais aussi un accès à la pensée de l’autre. À l’altérité. La maîtresse laisse tomber les apprentissages, Sam picore les enseignements à son rythme. « En fait, il apprenait tout, sans que nous le sachions ».

 

 

Troisième voie

voyages
Les voyages permettent à Sam de développer davantage la relation à autrui

Alexia Belleville explore une troisième voie. Ce sera d’abord les voyages. Sam parvient en effet à aller davantage vers les autres quand il se trouve ailleurs, « comme si les repères extérieurs changeaient ses repères intérieurs ». Il y aura également la rencontre avec le cheval. Il choisit instinctivement le plus sauvage et le plus craintif. « La relation qui s‘est nouée entre eux a permis un dialogue sans les mots. Plus subtil, moins engageant qu’avec un être humain ». Sam suit également des ateliers d’art thérapie, apprend le piano dans une école de musique – quelle émotion lorsqu’il participe avec talent au spectacle de fin d’année !

Les proches – son père, grands-parents, son grand frère – l’entourent sans jamais porter de jugement sur ses bizarreries, « en respectant sa rive, sa manière d’être ». Alexia le laisse s’ébattre dans la baignoire, et peu importe si elle déborde. Suit toujours les mêmes trajets rassurants au quotidien. Lui laisse répéter certaines expressions à l’envi. Visite avec ce petit passionné de train la gare de New York pendant trois heures. Mais dissimule de son dos les boutons d’ascenseurs, car l’espiègle adore appuyer sur ‘’alarme’’.

 

L’étincelle

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Sam développe rapidement des amitiés à l’école.

Le premier envol de Sam est conjoint au développement de sa relation avec Laurence Parizot. L’orthophoniste crée chez lui le désir de la rencontre. Vers 4-5 ans, il commence à percevoir l’intérêt de l’autre et, dans la foulée, à développer l’interaction. Sam s’ouvre au monde. À l’amitié. Plus tard, cette même orthophoniste apprend à Sam les habilités sociales (bonus) en incluant une autre collégienne – comprendre la pensée de l’autre, les codes sociaux, gérer ses émotions… Si elle s’occupe de la communication, la sophrologue Diane Ciolkovitch s’attelle de son côté à travailler le souffle (pour le langage et l’endormissement). Et une psychométricienne, à la motricité.

L’Éducation nationale de son côté, celle-là même qui ne voulait pas le garder (préconisant pour lui l’école de l’hôpital), accorde à Sam une AVS (assistante de vie scolaire, aujourd’hui AESH, accompagnant d’élève en situation de handicap – NDLR) en grande section de maternelle. Elle lui permet de décoder les consignes et comprendre l’implicite, et ainsi accéder aux apprentissages.

L’année d’après, grâce à cette femme qui a l’intelligence de se mettre à l’écart et de s’occuper d’autres enfants, l’enfant acquiert petit à petit l’autonomie. En CE1 ou CE2, il n’a plus besoin d’elle. Aidé par différentes personnes pour les devoirs, dont Marilyn Mesguich, il suit une scolarité classique, passant d’une année à l’autre avec une implication et une volonté énormes. « Il voulait toujours être au plus haut ».

 

 

Des talents prodigieux

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Apprendre le piano dans une école de musique a participé au développement de Sam. @Pixabay

Aujourd’hui, le petit garçon est devenu un jeune homme de 19 ans présent au monde. Il est étudiant à la fac après un bac mention très bien. Il nourrit toujours des passions – montagne, politique, maths. Et a gardé toute sa singularité, si précieuse. Cette perception intense et globale de son environnement lui permet d’intégrer tous les détails de son environnement de manière fulgurante. Son acuité et sa sensibilité lui permettent de tisser des amitiés sincères, profondes et élaborées. Il a une faculté d’adaptation, d’écoute et d’observation, ainsi qu’une mémoire extraordinaires. Il a la capacité de se situer dans l’espace comme s’il était au-dessus de la scène.

Le mot Asperger a seulement été évoqué à 17 ans, par hasard, dans une discussion libre avec le Dr Bruno Gepner. Heureusement. Car là encore, si poser un diagnostic permet d’expliquer des comportements, il peut aussi enfermer l’enfant dans une case. Une case limitante. « Dans notre société, le regard posé sur les singularités est une stigmatisation qui entrave le développement de l’enfant. Si on admettait que l’étrange soit un plus, on serait surpris de découvrir le potentiel de certaines personnes », regrette cette mère de deux enfants.

 

 

Des enfants qui font grandir leurs parents

L’enfant hors cadre et hors-norme oblige ses parents à explorer d’autres chemins pour lui et, par ricochet, à appréhender la vie différemment. La liberté et la distance de son fils sont inspirantes pour Alexia Belleville. « Cette juste distance est nécessaire, elle permet l’observation et ainsi de voir correctement l’autre et de le comprendre ». Avec toutes ces années, elle a développé davantage sa créativité et son intuition. Elle n’a peur de rien, elle a confiance dans la vie et traverse les épreuves avec sérénité. Elle aime l’inconnu. Et plus que tout, gravir les montagnes des Alpes.

Alexia Belleville ne veut surtout pas que son témoignage apparaisse comme celui d’une mère courage, mais qu’il soit porteur d’espoir pour d’autres. Elle a écrit son livre dans sa première version en une seule fois quand son fils avait 9 ans, consciente qu’il fallait témoigner de cette victoire de Sam sur lui-même. « Car c’est lui qui décide à un moment donné de sortir de son monde, pas moi ». Témoigner que la vie d’un enfant n’est jamais scellée. Qu’il n’existe pas de recette toute faite, mais un accompagnement pluriel à adapter et ajuster en permanence. Chaque enfant est unique.♦

 

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Bonus

  • Le Syndrome Asperger (SA) par le Dr Bruno Gepner

Dans une interview très complète à la fin du livre ‘’Sam. L’envol d’un enfant Asperger’’, ce  pédopsychiatre et psychiatre, spécialiste de l’autisme, chercheur associé au CNRS et enseignant à l’université d’Aix-Marseille, fondateur de la Fédération Autisme Vie Entière, explique qu’au bout du spectre autistique, on rencontre des personnes autistes très sévèrement atteintes, avec des troubles importants du développement du langage et intellectuel. Et de l’autre, des personnes dont l’intensité des troubles autistiques est légère, sans déficience du langage ni intellectuelle. Voire avec des compétences accrues par rapport à la moyenne dans certains domaines.

Les points communs entre ces deux formes cliniques extrêmes ? L’auteur de ‘’Autismes. Ralentir le monde extérieur, calmer le monde intérieur’’ égrène des difficultés de communication et d’interactions socio-émotionnelles, des particularités sensorielles et/ou motrices, des intérêts focalisés, obsessionnels, envahissants, des comportements ritualisés. Chez les personnes autistes sans déficiences ou avec de hauts potentiels, le paradoxe ressort du fait qu’en dépit de leur intelligence, elles restent souvent naïves et peu compétentes ou bizarres sur le plan relationnel, social, communicatif et comportemental.

Ce chercheur associé à l’Institut de neuro-physiopathologie et chargé d’enseignement à Aix-Marseille Université et Paris-Cité préfère le terme de Trouble du spectre de l’autisme (TSA) sans déficience verbale ni intellectuelle. Pour deux raisons : la désignation SA n’a plus cours dans la nomenclature médicale et le premier psychiatre qui l’a diagnostiqué, Hans Asperger, a collaboré activement à l’idéologie nazie.

 

  • Les habilités sociales

Les personnes TSA ont du mal à comprendre et à prévoir les comportements et les intentions des autres du fait de leur incapacité plus ou moins grande à saisir l’implicite et l’abstrait dans leur relation à l’autre. Il en résulte, pour la personne atteinte, une difficulté d’interagir de façon adaptée. Un des accompagnements préconisés est l’enseignement des habiletés sociales. Elles peuvent être définies comme la capacité à être en relation avec les autres de façon adaptée selon les circonstances.

Les groupes permettent aux personnes de comprendre et de s’entraîner aux différentes situations d’interactions sociales. Le blog de solutions pour une société plus inclusive explique que « Toutes les thématiques liées aux habiletés sociales peuvent être abordées : aspects conversationnels, rapports amicaux, gestion des conflits, reconnaissance, expression et gestion des émotions. Mais aussi compétences pratiques telles que téléphoner ou demander un renseignement à une personne inconnue ».

 

  • Julie Dachez, histoire d’une Aspergirl

Julie Dachez est diagnostiquée autiste Asperger à l’âge de 27 ans dans un Centre Ressource Autisme. « Loin d’être un fardeau, ce diagnostic m’a permis d’apprendre à m’aimer et exprimer ma personnalité comme jamais je n’avais osé le faire auparavant », écrit cette chercheuse sur son site.

Cette diplômée de l’ESCP décide de changer de vie. Elle quitte le monde de l’entreprise pour entamer une thèse de doctorat en psychologie sociale sur le sujet de l’autisme. Elle est la première personne ouvertement autiste à soutenir une thèse sur le sujet en France, en 2016, Envisager l’autisme autrement : une approche psychosociale.

Julie Dachez publie deux ouvrages au sujet de l’autisme. La Différence invisible, est une bande dessinée autobiographique coécrite avec Mademoiselle Caroline. Dans ta bulle ! relate les expériences de plusieurs personnes adultes et autistes sans déficience intellectuelle

Conférencière, elle donne à voir une autre vision de l’autisme, loin des clichés et du sensationnalisme. En considérant l’autisme non pas comme une déficience, mais comme une différence. L’autisme est selon cette trentenaire « une différence de fonctionnement pathologisée par une société obsédée par la normalité ». Elle affirme davantage souffrir des préjugés des autres vis-à-vis de l’autisme et de l’inadéquation entre les structures sociales et ses besoins, plutôt que du fait d’être elle-même autiste.

Elle propose depuis peu des formations en ligne sur l’autisme, particulièrement l’autisme à l’âge adulte sans déficience intellectuelle.