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Tourisme #6 : l’alliance de Waze et d’une région contre la surfréquentation

Par Juliette Pic, le 14 août 2021

La calanque d'En-Vau pendant la saison estivale - © Z. Bruyas - Parc national des Calanques

Pour lutter contre le surtourisme galopant et le réguler, le comité régional Provence-Alpes-Côte d’Azur Tourisme s’adjoint les services de l’application de navigation Waze. Une première mondiale qui a déjà conquis huit parcs naturels de ce territoire.

 

Les réservations sont complètes ou presque, chez les hôteliers de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette année encore, la région est plébiscitée. À l’été 2019, 14 millions de touristes se sont pressés sur nos littoraux et dans nos montagnes. Entre l’été 2019 et l’été 2020, le nombre de nuitées (en hôtel ou via des plateformes comme Abritel ou Airbnb) a augmenté, l’effet Covid favorisant les déplacements en France.

Pour pouvoir accueillir encore sans tomber dans le surtourisme, la Région développe une stratégie visant à « désaisonnaliser » les séjours. Mais parce que le public préfère majoritairement l’été, la Région et son organisme dédié au tourisme ont imaginé un partenariat avec l’application Waze, pour mieux répartir les touristes en période d’affluence.

Après une phase de test en 2020 dans le Verdon et le Luberon, huit parcs naturels ont aujourd’hui signé : les Alpilles, les Calanques, les Écrins, le Mercantour, les Pré-Alpes d’Azur, Port-Cros, la Sainte-Baume et le Verdon.

 

Quand Waze influence l’affluence

La grande majorité des conducteurs français connaît le GPS Waze. Le pays représente un marché de 14 millions d’utilisateurs – une manne importante et un public de choix quand on sait que 80% des touristes en Paca sont français.

C’est donc vers cette application, et l’agence CI Média, régie publicitaire de Waze basée à Marseille, que le CRT Paca s’est tourné pour essayer de modérer et mieux répartir les flux touristiques.

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L’application waze donne des indications pour éviter la surfréquentation de certains sites – © waze

Waze utilise trois leviers : les recherches sponsorisées sont activées lorsque l’utilisateur cherche un lieu particulièrement fréquenté. « Elles permettent d’afficher un message d’alerte en cas de surfréquentation et de proposer des alternatives », explique une représentante de Waze.

Si l’utilisateur approche d’une destination trop visitée, l’application l’en informe, entre 15 à 20 km avant sa destination et s’il est à l’arrêt. Une bannière lui propose alors des alternatives à proximité.

Enfin, des épingles apparaissent automatiquement sur la carte, et pointent vers d’autres sites touristiques ou centres d’intérêt, pour inciter le voyageur à s’y rendre.
À côté de ces suggestions, l’application propose aussi au conducteur un parking moins fréquenté que le principal. Ou un parking-relais avec une navette, accessibles facilement.

 

Test positif en 2020

Une phase d’expérimentation est lancée en juin et juillet 2020, dans quatre sites particulièrement prisés : la plage Saint-Julien et le sentier Blanc Martel dans le Verdon ; le sentier des Ocres de Roussillon et le Colorado provençal dans le Luberon.

Pour Waze, « les résultats sont concluants : 325 000 conducteurs ont été exposés au dispositif et plus de 28 000 navigations vers les solutions alternatives proposées ont été « provoquées » à la suite de l’exposition aux messages ».

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Dans le Verdon, les bords du lac d’Esparron attirent chaque année plus de touristes – © agence de développement alpes de haute provence

Dans le Verdon, la pression estivale est forte en effet. On compte 1,5 million de personnes dans les gorges l’été et un problème de stationnement aux abords de certains sites. Pour Dominique Imburgia, chargé de projet notamment sur les questions de mobilité, « tout passe par la mobilité, c’est l’enjeu principal. Dès 2013, nous avons fait des études sur les enjeux tourisme, nous voulions expérimenter. Nous étions déjà en recherche de solutions globales ».

« Bien sûr, tout est perfectible, ajoute-t-il. Nous avons demandé à Waze d’améliorer l’outil de recherche en amont du départ : une fois sur la route, on change rarement de cap. Une famille qui part en tongs et en maillot à la plage pour une activité gratuite ne va pas se reporter si facilement. Il faut les interpeller au moment de la préparation ».

Le Verdon met en place d’autres solutions. Un portail avec des offres de randonnées à proximité de transports avec la plateforme coq trotteur (développée par la start-up marseillaise Feelcity) devrait ainsi voir le jour sous peu. Pour limiter la pression sur les sentiers, Waze n’est certes pas l’unique possibilité, mais elle une porte d’entrée indéniable.

 

Un outil indispensable pour l’avenir ?

L’Office du Tourisme du pays d’Apt avait aussi testé l’application, pour les Ocres du Lubéron. Si cette année, le programme n’était pas prévu au budget, l’accord n’est pas remis en cause : « C’est une question d’organisation, indique Martine Dicicco, chargée de projet sur le massif des Ocres. Nous devons déposer le dossier de labellisation en tant que Grand Site, puis nous reprendrons le partenariat en 2022 ou 2023 ».

Selon elle, la navigation sur la route est « un outil qui sera indispensable à l’avenir ». Pour autant, il ne se suffit pas à lui-même, surtout dans un territoire éclaté, avec de nombreux acteurs à mobiliser. « Il faudra quelques années pour que tout se mette bien en place, en fonction des besoins des territoires ». Plus de temps, de personnel et de pédagogie pour rendre le dispositif fluide entre l’application Waze et les collectivités.

Le regard que porte l’association du Colorado de Rustrel, qui gère le lieu, est plus mitigé. « Waze nous pénalise, affirme sa présidente Chantal Pontet. L’application propose aux utilisateurs de passer par un chemin réservé aux secours : c’est bien de vouloir désengorger, mais ça peut vite créer la panique ». Depuis, l’association a mis en place des panneaux indiquant les parkings annexes, une communication sur les réseaux sociaux et la réservation en ligne.

 

La qualité avant la quantité

À Marseille, on s’intéresse de près au partenariat, et on réfléchit à des dispositifs similaires. La ville est d’ailleurs en discussion avec l’application Bobee Spot, incubée par la Région Paca.

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Un outil tel que Waze deviendra peut-être indispensable à l’avenir – © waze

Mais Laurent Lhardit, élu délégué notamment au tourisme durable, reste prudent : « À ce stade, pour la ville, le sujet est plus celui de la stratégie que de la technique. La précédente municipalité avait fait le pari du développement touristique incontrôlé, avec le chiffre comme Saint Graal, sans créer les équipements publics nécessaires. Nous voulons concevoir un plan global, parler avec les habitants, et ensuite seulement mettre en place les technologies associées ».

Loin d’accuser la Région de faire l’inverse, l’élu se questionne sur le rapport entre les habitants et les touristes. « La solution avec Waze est adaptée aux parcs naturels. En ville, la problématique est différente, et Marseille ne doit pas être entièrement dévolue au tourisme, comme le sont d’autres villes du littoral méditerranéen », considère-t-il. Et de citer les solutions actuellement en place : le déploiement d’agents sur le terrain pour guider les touristes, et l’Été Marseillais, qui désengorge les zones les plus fréquentées pour faire découvrir un autre Marseille.

 

Diversifier les outils

Le développement de plusieurs outils qui se complètent et la collaboration public – privé pourraient bien être la solution. « Il faut fonctionner de manière imbriquée : les différentes composantes du territoire, les start-ups innovantes… L’union fait la force ! Mais il faut une modération », nuance Laurent Lhardit, pour qui la campagne de communication « Vive le Sud » de la Région visant à attirer plus de monde est une erreur stratégique.

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Le démarketing selon le parc des Calanques passe par les réseaux sociaux – © instagram | pnr Les Calanques

La modération dans les flux touristiques, c’est la position adoptée par les Calanques avec une campagne de dé-marketing : inviter les touristes à se reporter vers d’autres lieux, une autre saison, expliquer que le lieu n’est pas le fantasme qu’ils imaginent, bref : inciter à ne pas venir.

Une campagne qui a beaucoup fait parler… Et qui interpelle les parcs naturels voisins. Dans le Verdon, Dominique Imburgia observe la méthode avec attention. « Nous n’avons pas de position ferme, mais cela nous interpelle. Ça ne peut pas durer, il y a un vrai enjeu de rééquilibrage et de saisonnalité et le démarketing peut être un des outils ».

Lorsque nous avons contacté l’association du Colorado de Rustrel, Chantal Pontet a alerté : « Ne faites pas l’éloge du Colorado ! Nous refusons toute publicité. Il faut absolument éviter la surfréquentation, c’est un site fragile qu’il faut vraiment préserver ».

Dont acte. N’allez pas dans le Colorado Provençal : il suffit d’un coup de mistral pour que la terre rouge salisse tout. Mais non loin de là, à 30 km au sud-ouest, moins fréquentée, l’Abbaye Saint-Hilaire, en partie troglodyte, n’attend que vous ! ♦