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La reconversion solidaire des friches en espaces communs créatifs

Par Marie Le Marois, le 4 octobre 2018

Journaliste

Premier projet à Marseille en 2013. Photo Yes We Camp

J’ai connu Yes We Camp à l’occasion de Marseille Capitale de la Culture 2013. C’était alors un mini-village à l’Estaque, nourri d’habitats en bois recyclé, d’événements culturels et festifs. Et fréquenté par les habitants du quartier comme les bobos du centre ville. Comment cette initiative joyeuse et spontanée, lancée par une poignée d’artistes, est-elle devenue une association structurée ? Quelles sont les valeurs qui l’animent ? Comment se finance-t-elle ? Réponses sans détour avec Nicolas Détrie, boss et cofondateur.

 

Au départ, ils étaient une poignée à lancer Yes We Camp. Une initiative foutraque, joyeuse et spontanée fomentée par des artistes pour Marseille Capitale de la Culture 2013. Un camping temporaire peuplé d’habitats en bois recyclé, nourri d’événement culturels et festifs, ouvert aux touristes comme aux habitants de l’Estaque.

S’ils ont gardé leur slogan – ‘’Apportez vos merguez et on s’occupe du reste’’ –, les ‘’Yes We Campeurs’’ sont passés à la vitesse supérieure avec des projets à gogo et 70 salariés dont 20 à Marseille installés dans une ancienne imprimerie à Salengro. Des jeunes de 30 ans en moyenne et de tous horizons animés par cette aventure collective et innovante.

Leur objectif ? Exploiter le foncier vacant, tout en encourageant la mixité sociale et l’implication citoyenne au sein d’espaces communs éphémères. De Foresta à Marseille aux Grands Voisins à Paris, en passant par Esperienza Pepe à Venise ou Habitarium à Roubaix, le savoir-faire de Yes We Camp essaime en France et à l’étranger.

 

Friche urbaine, terrain vague et bâtiment à l’abandon
La reconversion solidaire des friches en espaces communs créatifs
Foresta, à Marseille. Photo Yes We Camp

Le processus est toujours le même : plutôt que de laisser leur foncier vacant, des propriétaires publics ou privés le mettent gratuitement à disposition de l’association pour un temps imparti, de quelques mois à plusieurs années.

A charge ensuite pour l’équipe d’imaginer un projet en lien avec le contexte, de faire les travaux, de trouver les occupants (entrepreneurs, artistes, artisans, associations…) puis de faire vivre au quotidien ces micro-villages.

Ainsi, Les Grands Voisins se niche sur l’ancien site de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul dans le 14e à Paris, Foresta sur un terrain coincé entre Grand Littoral et l’autoroute dans le 16e à Marseille, Esperienza Pepe dans une ancienne caserne militaire sur l’île du Lido à Venise. Pour chaque projet, les protagonistes y trouvent leur compte : les propriétaires économisent le coût du gardiennage, le quartier gagne en vitalité, les bénévoles de l’association bénéficient d’un nouveau lieu et les occupants, de services communs.

 

Coco Velten, nouveau projet pour Marseille

Situé à proximité de la Porte d’Aix dans le 2e arrondissement, ce bâtiment de 4000m2 propriété de l’Etat a hébergé l’ancienne Direction des Routes à Marseille. Il est aujourd’hui en cours de rachat par la Ville, procédure qui devrait s’achever fin 2021. D’ici là, plutôt que de laisser vide cet espace lumineux en plein cœur de ville, la Préfecture a choisi de le confier à Yes We Camp et ses partenaires.

Comme pour les autres projets, l’association distille son savant dosage éprouvé ailleurs entre économie, social et culture, et duplique les bonnes idées avec un esprit ‘’créatif, généreux et ouvert’’. Pour Coco Velten, ce sera une cinquantaine de bureaux (nouveaux médias, artisans, associations…), 100 places en hébergement d’urgence pour des sans-abri, et un café avec concerts, conférences, expo…. « On met au même endroit des gens différents ; les plus vulnérables ne sont plus en marge mais au centre, se réjouit Nicolas Détrie, boss et cofondateur de Yes We Camp. Cette mixité porte ses fruits. Aux Grands Voisins, il y a eu jusqu’à 800 personne réputées indésirables -pauvres, SDF, réfugiés…- hébergées dans le projet, et ça s’est très bien passé ».

 

Un écosystème qui s’auto-nourrit

Nicolas Détrie n’est pas un hurluberlu idéaliste. Sous ses allures d’ado, c’est un homme réfléchi et bosseur. Comme toute l’équipe qui ne compte ni soirées ni week-ends. L’aventure est collective, pareil pour les occupants. « La cohabitation sur papier, c’est très beau mais ça demande des efforts ».

Chacun apporte donc son écot. Pour faire corps mais aussi pour contribuer à l’autofinancement du lieu. Jardinage, bricolage, cuisine, organisation de balade dans le quartier, kermesse le dimanche… « Tout l’enjeu est de créer une dynamique, de réveiller les envies, de créer une histoire collective. Quand je me balade aux Grands Voisins, j’ai le plaisir de découvrir à chaque fois de nouvelles initiatives, qui ne sont pas forcément organisées directement par nous. Des cours de ferronnerie lancés par un réfugié Burkinabé, l’ouverture d’un centre pour les mères isolées qui entraîne dans son sillage une école, un festival syrien cet été…. Nous avons besoin qu’une partie de la programmation nous échappe ! », s’enthousiasme ce père de deux enfants.

Le succès de ces micro-territoires est qu’ils sont vivants. Liberté est donnée à tous les occupants et riverains d’agir à leur guise. Yes We camp n’est qu’un facilitateur, une machine à s’impliquer. « On accueille des structures mais à elles ensuite de faire les démarches pour s’installer ». Le processus d’appropriation compte plus que le résultat.

 

Pas de gouvernance
La reconversion solidaire des friches en espaces communs créatifs 1
La grande famille des YWC, ici à Paris aux Grands Voisins. Photo Yes We Camp

Comment l’association arrive t-elle à mettre sur pieds des projets d’aussi grande envergure en un temps si bref ? « Les délais courts créent une dynamique, il faut aller vite. Et les autorités nous facilitent d’autant plus la tâche quand le projet est éphémère – s’ils se plantent, pas grave. Notre gouvernance fluide permet de réajuster rapidement », souligne Nicolas Détrie.

S’il est le capitaine de la structure, celui qui cadre, donne la direction, partage les codes des Campeurs, il ne dirige pas. Il s’attache juste à impulser une dynamique, libérer les énergies et la créativité de chacun. « Notre force, c’est le groupe ». Les décisions sont transversales et le salaire est unique, à savoir le SMIC. A peine plus pour Nicolas Détrie. Les revenus proviennent de la participation aux frais des structures accueillies, d’une redistribution des recettes marchandes liées à la restauration et de la privatisation des lieux pour les événements.

Pour Coco Velten, par exemple, « le coût global d’investissement et de gestion du projet est budgété à 600 000 € par an, avec une capacité d’autofinancement estimée à deux tiers. Avec l’aide de la Préfecture qui est à l’initiative du projet, nous cherchons donc des partenaires publics ou privés pour une implication à hauteur de 200 000 € par an. Dans l’attente, Yes We Camp porte le risque entrepreneurial », détaille-t-il.

 

Tout n’est pas rose

Alors oui, tout n’est pas rose. Pas évident de verser 70 salaires tous les mois, ni de choisir d’investir dans des travaux alors que les projets sont de courte durée et sans possibilité de revente à leur issue. Relevant essentiellement de l’autofinancement, le modèle économique de l’association reste fragile, et beaucoup repose encore sur l’implication humaine des membres du collectif.

Des projets sont plus difficiles que d’autres. Foresta par exemple était un no man’s land, sans eau ni électricité. Le rôle central de Yes We Camp peut aussi prêter le flanc aux critiques, les uns reprochant à l’association d’être trop dirigiste, les autres, de manquer de fibre entrepreneuriale ou sociale. Certains, radicaux, estiment même que l’association ne devrait pas rendre à leurs propriétaires les bâtiments temporairement occupés.

Pas évident non plus pour l’équipe d’origine de garder la fougue, l’essoufflement guettant les troupes après cinq années d’engagement sur les différents projets. La suite ? « Nous souhaitons accompagner des projets similaires mais sans forcément être aux manettes. Et nous travaillons à la création d’un Diplôme Universitaire ‘’Espaces Communs Temporaires’’ pour partager notre savoir-faire », annonce ce campeur, diplômé d’une école de commerce, option économie urbaine…

Il a fait ses armes aux HLM de l’Office des Bouches-du-Rhône, « une expérience intéressante mais c’est une grosse machine qui pour moi manquait de réactivité », avant d’être recruté comme directeur des Ateliers de Cergy et de contribuer au développement international de ces ateliers de créativité sur l’urbanisme. Un bon mix d’expériences qui l’a amené à rejoindre la dynamique Yes We Camp et à la structurer.

 

Un label qui inspire confiance

Le seul nom Yes We Camp est devenu une garantie. L’association est tellement connue et reconnue pour son sérieux et son savoir-faire qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’on lui propose de revitaliser une friche ou un bâtiment. Le dernier en date – une maison appartenant aux sœurs franciscaines de Marseille – n’a pas été retenu, pour ne pas se disperser et garder les forces sur les projets déjà en cours de déploiement.

L’association propose néanmoins de jouer les intermédiaires et permettre à une plus jeune structure, l’association Caracol, d’y déployer un projet innovant : une colocation entre 10 étudiants et 10 réfugiés qui viennent d’obtenir leur droit d’asile. En juin, le collectif a reçu le prix “Pionniers French Impact” du Haut-Commissaire à l’Economie Sociale et Solidaire. Cette reconnaissance consacre l’urbanisme temporaire et la création de lieux partagés.♦

 

Bonus

  • Mais aussi : extension de Yes We Camp, Caravanade est un parc de caravanes et dispositifs mobiles mis à disposition des habitants. Chacun développé autour d’une thématique particulière : construction (travail du bois principalement), média (radio et cinéma), cuisine, bain de vapeur. La Caravane Atelier va prêter main forte à Architectes Sans Frontières, Médecins du Monde Marseille et aux étudiants de l’école d’architecture de Paris Belleville sur un chantier de réhabilitation de l’espace de vie collective d’une communauté Roms.
  • L’appel à candidature pour occuper les espaces de travail et d’activité sur le futur projet Coco Velten à Belsunce est lancé ! Les candidatures sont reçues jusqu’au 6 novembre.