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Zenab, première de cordée chez Hippocrate

Par Neijma Lechevallier, le 23 février 2023

Journaliste

Deux fois par semaine, en plus de ses cours, Zenab donne à son tour des cours aux élèves de la prépa solidaire de Marseille ©DR

Quand elle arrive en France à l’âge de 11 ans, Zenab Al Hamidi ne parle pas un mot de français. Ses parents non plus. Après un an de cours intensifs de français, elle rejoint une classe de 6e. C’est le début d’un parcours exceptionnel, qui va la mener aux bancs des amphithéâtres de la faculté de médecine de Marseille. Rencontre avec une jeune femme déterminée, qui sous une douceur apparente analyse lucidement les obstacles qui se dressent sur le chemin des jeunes talents issus de quartiers prioritaires. Avec une profession de foi chevillée au corps : ne laisser rien ni personne nous détourner de nos rêves.

 

Souriante, l’ovale du visage encadré d’un voile crème, je retrouve la jeune femme dans une brasserie ensoleillée sur la place de la préfecture de Marseille. Zenab Al Hamidi est née le 30 décembre 2001 à Sanaa au Yémen. Ses parents fuient leur pays en 2012 au moment de la répression de la révolution populaire orchestrée par le président autoritaire Ali Abdallah contre ses opposants politiques. La jeune fille arrive en France avec ses quatre frères et sœurs. Dans la famille, personne ne parle un mot de français, et ils ne connaissent personne dans ce nouveau pays. Ils s’installent dans le 11e arrondissement de Marseille, dans un appartement où les enfants doivent partager les trois chambres disponibles. Le père, commerçant, prend des cours de français pour pouvoir travailler rapidement. La mère s’occupe de la maisonnée.

Petite, Zenab avait dans un coin de la tête l’idée que devenir médecin lui plairait bien. « Être utile aux autres, les aider, les soigner, cela m’intéressait », explique la jeune femme. Mais au collège, une professeure parviendra à les dissuader, elle et d’autres camarades, de tenter de se lancer dans l’aventure des études de médecine. À force d’insister sur la difficulté de la première année, elle finit par convaincre les plus motivés que ces études ne sont pas pour eux. « Elle ne pensait certainement pas à mal, c’était pour éviter les désillusions », relativise la jeune femme.

 

Une vocation qui résiste et s’impose malgré les obstacles

« Pour des jeunes qui n’ont pas de médecins dans la famille ou parmi leurs proches, ce qui était déjà flou dans l’esprit et les représentations s’éloigne rapidement », explique Zenab. D’autant que le prix des écuries privées qui préparent et accompagnent les étudiants tout au long de la première année commune aux études de santé pour les médecins, dentistes, sages-femmes et kinésithérapeutes – entre 3000 et 5000 euros l’année – ont de quoi décourager les plus motivés. Des sommes dont ni eux ni leurs parents ne disposent ajoutées à une année éprouvante et plus qu’incertaine (dépeinte comme inatteignable par celles et ceux qui devraient les encourager à rêver haut) détournent trop souvent les meilleurs éléments d’études longues et méconnues de leurs proches.

Zenab met son rêve de côté et commence à se renseigner sur d’autres cursus. Jusqu’à la rencontre en première avec un professeur d’enseignements scientifiques qui est en dentaire et leur parle de cette fameuse première année. Les élèves intéressés lui posent des questions. Il leur donne des conseils. L’appel de la médecine se réveille alors chez la jeune femme. L’enseignant les motive, leur explique comment se passe la prépa. Les prévient que la sélection est plus que rude. Qu’ils doivent être prêts à sacrifier leur temps libre et leur vie personnelle pendant une année entière. Zenab se met dès lors à courir les journées portes ouvertes, rencontre des étudiants. « J’ai fini par me dire que si d’autres y arrivaient, il n’y avait pas de raison pour que je ne puisse pas y arriver moi aussi », explique Zenab de sa voix douce.

 

♦ Lire aussi l’article Un boosteur social à la fac

 

Une écurie solidaire pour sa première année de médecine

Ce sera médecine, c’est décidé. Le baccalauréat en poche – mention très bien -, elle s’inscrit en première année, sans cours supplémentaires. « Je n’avais pas les moyens de me payer une écurie. De plus, j’étais allée voir ce qu’ils présentaient et trouvais que ce qui était proposé, pour un tel coût, n’était pas suffisant. Je ne voyais pas la valeur ajoutée. Donc je me suis dit que j’allais tenter sans et que l’on verrait bien », poursuit la jeune femme. Studieuse, elle se met au travail dès le mois d’août, commence à réviser des cours de première année, transmis par le professeur qui les avait encouragés.

« C’est en septembre que j’apprends par le réseau de nos professeurs qu’une écurie solidaire et gratuite vient de se créer, explique Zenab. C’était incroyable ! Précisément l’année où je m’inscris en PASS, quelle chance, quelle coïncidence. » Elle assiste à une présentation de Medenpharmakiné (bonus). Conquise, elle décide de s’embarquer avec cette équipe composée de médecins et d’étudiants en médecine qui préparent des élèves pour la somme symbolique de… 10 euros par an. L’écurie est née dans le berceau de L’Après M, mobilisation portée par Salim et Aïssa Grabsi en 2019 pour s’opposer à la disparition d’un McDonald au cœur d’un quartier où il permettait aux jeunes et aux moins jeunes de se retrouver. La rencontre avec le psychiatre Noé Jedwab, très engagé auprès des populations des quartiers Nord, sera décisive dans la naissance de cette écurie au cœur du Marseille défavorisé.

 

♦ (re)lire l’article : Une écurie solidaire pour les étudiants en médecine

 

Selon que vous serez issu de quartiers aisés ou populaires

« Dans les quartiers prioritaires, il y a autant de talents qu’ailleurs, mais les jeunes n’ont souvent pas l’idée de se lancer dans des cursus longs. Quand, par hasard, ils connaissent ces cursus, souligne-t-elle. Ainsi, quand les parents ont eux-mêmes fait des études supérieures, ce sont eux qui créent pour leurs enfants l’environnement propice au travail, l’espace dont ils ont besoin pour préparer leurs concours. Mais quand vos parents ne connaissent pas ces cursus, c’est à vous de créer cet espace autour de vous, de l’expliquer à vos proches. C’est très difficile. Cela représente, je pense, la plus grande différence entre les jeunes issus de milieux sociaux différents. Un obstacle majeur à la réussite dans les quartiers populaires.»

La jeune femme explique alors à ses proches qu’ils doivent « l’oublier », qu’elle va « disparaître » pendant un an, ce qui n’est pas facile pour elle. Car Zenab est un peu le pilier de sa famille, garde un œil sur les documents administratifs, les déclarations, l’organisation de la maison. Mais sa famille la soutient, ne fait qu’un derrière elle. Sa sœur aînée lui cède sa chambre, qu’elle occupait seule, et rejoint celle de leur petite sœur. Parfois, son père insiste : « Repose-toi ma fille, ne travaille pas le week-end ». Zenab leur explique que ce n’est pas possible. Elle tient bon. Elle travaille de 8 heures à 22 heures tous les jours, avec une pause le dimanche soir. Ses professeurs l’ont en effet prévenue, la course est dense et d’endurance. « Ceux qui ne sont pas prévenus à l’avance peuvent mettre plusieurs semaines à comprendre. Et ainsi perdre des chances importantes parce que les autres, eux, seront déjà dans la course. Le sont même avant la rentrée. »

 

  • Pour en savoir plus : comptes FacebookTwitter et LinkedIn du Sel de la vie et mail le.sel.de.la.vie@laposte.net

 

Les premiers pas à l’hôpital et l’engagement comme tutrice

Une écurie solidaire pour les étudiants en médecine 2
En même temps que ses études de médecine, Zenab, à gauche, donne des cours aux élèves de la prépa solidaire.

En milieu d’année, à la fin du premier semestre, Zenab est 227e pour 249 places. Elle prend peur cependant, ne veut pas d’un départage à l’oral ni d’une autre voie que médecine si elle n’était pas dans les 125 premiers. Elle redouble d’efforts. Six mois plus tard, elle sort du deuxième semestre 96e au classement général. C’est gagné. Elle a obtenu le Graal tant convoité du premier coup. La jeune femme à qui on expliquait doctement que cette première année était trop compliquée pour des « enfants comme elle » a déjoué les pronostics.

Calme, souriante, elle raconte ses premiers pas à l’hôpital. « Lors de mon premier stage, je ne savais pas comment je devais me comporter, ce que je devais demander ou pas, faire ou pas. Cela ne s’est pas très bien passé à vrai dire », avoue-t-elle simplement. Puis elle discute avec des étudiants plus avancés, des médecins, des professeurs, et les suivants se déroulent parfaitement bien. « Lors de l’un de mes stages, on me demandait si je connaissais Victor. Tous les soignants connaissaient Victor. Mais moi je ne le connaissais pas. C’était le fils de l’un des chefs de service. Tout le monde l’appelait par son prénom. » La jeune femme énonce ces faits sur le ton neutre du constat, souriant désormais de ses propres découvertes.

Dans quelques années, elle se verrait bien gynécologue ou pédiatre, mais ne s’interdit aucune spécialité car plusieurs l’intéressent. Celle qui avance en éclaireuse veut à son tour ouvrir la voie pour d’autres. Dès l’annonce de ses résultats, elle a donc proposé à l’équipe de l’écurie de devenir tutrice. Deux fois par semaine, en plus de ses cours, elle rallie les salles dédiées que l’AP-HM met à leur disposition à La Timone. Heureuse de donner des cours à des jeunes qui rêvent comme elle de devenir médecins. La relève est assurée. ♦

 

*La Criée, Théâtre national de Marseille, parraine la rubrique éducation et vous offre la lecture de cet article*

 

Bonus

[pour les abonnés] – Réforme PACES et numerus clausus –

  • La réforme de la PACES. Elle a mis fin au numerus clausus au profit d’un numerus apertus. En effet, avant la réforme des études de santé, le nombre de places en première année de médecine offertes aux élèves sortant de Terminale était limité. Dorénavant, la sélection chiffrée se fait à la fin de la première année. Ce sont les facultés elles-mêmes désormais, qui fixent le nombre de places disponibles en deuxième année dans chacune des filières MMOPK. Ces objectifs sont définis pour répondre aux besoins du système de santé, réduire les inégalités d’accès aux soins et permettre l’insertion professionnelle des étudiants.

MMOPK ? Médecine pour les Médecins généralistes et spécialistes. Maïeutique pour les Sages-Femmes. Odontologie pour les Dentistes. Pharmacie. Et kinésithérapie. Entre 2021 et 2025, il s’agira de 51 505 étudiants formés.

 

  • Les études de santé. Chaque année sur Parcoursup, elles restent en tête des formations les plus demandées. Malgré la suppression de la PACES au profit de deux nouvelles voies d’accès aux filières MMOPK, les PASS (parcours spécifique accès santé) et les L.AS (licence avec option « accès santé ») ne dérogent pas à la règle. Environ 45 000 étudiants ont pu faire leur entrée dans l’une de ces deux formations en 2020.

En 2021, la majorité des étudiants de Las ont échoué. À l’arrivée, selon la conférence des doyens de la faculté de médecine, seulement 40% de ces élèves ont réussi à valider leurs examens. Les étudiants issus de Pass affichent, quant à eux, un taux de réussite de 80%. Soit le double. En 2021 en 2022, les places réservées aux élèves issus de Las n’ont pas pu être pourvues en deuxième année, et redistribuées à 70% aux Pass.