Fermer

Un moulin à eau de 1514 joue les fées électricité

Par Agathe Perrier, le 4 novembre 2019

Journaliste

L'Arc, la rivière qui permet d'alimenter la centrale hydroélectrique de Velaux © AP

Quand la centrale hydroélectrique de Velaux est tombée en panne en 2012, tout un pan de l’histoire et du patrimoine de cette commune du pays salonais a failli tomber dans l’oubli. C’était sans compter sur l’énergie d’irréductibles citoyens, mobilisés pour sauver celle qui porte le doux nom de Marie-Thérèse. Sept ans plus tard, la machine fonctionne de nouveau et alimente près de 150 foyers.

 

Lorsqu’on arrive à la centrale hydroélectrique de Velaux, rien ne laisse supposer que de l’électricité est produite ici. Installée dans l’ancien moulin de la commune – datant de 1514 (bonus) – je m’attendais naïvement à trouver une énorme roue brassant de l’eau au bord d’une rivière. Si un canal est bel et bien présent, nul trace d’un quelconque engin. « La turbine est en dessous du bâtiment, au fond de l’eau. Elle ne se voit pas », m’explique Jean-Marie Salignon, le propriétaire des lieux. C’est son oncle, monsieur de Vitry, qui a mis la Marie-Thérèse en marche en 1962 exactement. « Elle a fonctionné sans aucun problème pendant 50 ans. Mais en 2012, une pale de la turbine s’est cassée ». La réparation s’est avérée compliquée, l’installation étant ancienne et nécessitant une mise aux normes. Au-dessus des forces de Jean-Marie Salignon qui aspirait à un peu de repos, après 22 ans aux commandes. Le clap de fin ne sera cependant pas pour tout de suite.

 

Enercoop au secours de la Marie-Thérèse

Quand Enercoop Paca (Marcelle vous en racontait l’histoire il y a quelques mois) s’est montré intéressé par l’achat du courant de la centrale, il était trop tard. Elle était déjà hors service. Le fournisseur d’énergie verte soumet alors l’idée de relancer la machine. « Enercoop savait comment mobiliser les énergies au niveau local. Cela a abouti à la création de la SAS Provence Énergie Citoyenne (PEC) en mai 2016, afin de porter le projet », explique Denis Hoarau, son président. Entre temps, les discussions et échanges ont été nombreux pour choisir comment redonner vie à l’ensemble du mécanisme.

À Velaux, 150 foyers alimentés en électricité à la seule force de l’eau 3
L’équipe de bénévoles de Provence Énergie Citoyenne © DR

 

À Velaux, 150 foyers alimentés en électricité à la seule force de l’eau 2
Le dégrilleur, qui filtre végétaux, poissons et anguilles pour éviter qu’ils ne se retrouvent dans l’eau allant à la centrale © AP

Un fonctionnement (presque) identique

C’est finalement un système assez proche du précédent qui fait aujourd’hui fonctionner le dispositif. L’eau de l’Arc (bonus) est détournée à 280 mètres en amont de la centrale par un seuil de dérivation de 3,7 mètres de haut. Ce dernier fonctionne presque comme un barrage, à la différence que si le niveau de la rivière est supérieur, l’eau n’est pas stockée mais passe par-dessus pour poursuivre sa route.

Quant à l’eau déviée, elle glisse le long d’un canal pour rejoindre la Marie-Thérèse. En chemin, elle passe par une vanne, dont la fonction est de réguler la quantité d’eau qui circule, et par un dégrilleur, qui filtre végétaux, poissons et anguilles. Arrivée au niveau des bâtiments, elle entre dans une chambre d’eau puis dans une conduite forcée. Elle prend alors la direction de la turbine, située 5,50 mètres en dessous. « C’est la force générée par la chute de l’eau qui fait tourner l’installation et produit du courant », précise Jean-Marie Salignon. Puis termine enfin sa course dans un autre canal qui débouche dans l’Arc. Retour à l’envoyeur, dans les mêmes proportions qu’au départ.

 

Une modernisation des outils obligatoires

Si le fonctionnement n’a guère changé, il a fallu remplacer la totalité des pièces du système. « Ce n’était plus aux normes et, de toute façon, indispensable pour obtenir des subventions », souligne Denis Hoarau. Ces dernières sont venues de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’agence de l’eau (bonus). Elles ont en plus permis d’ajouter des nouveautés. Comme un « escalier » que les poissons empruntent pour remonter l’Arc, sans avoir à escalader les trois mètres du seuil. Ou encore un « toboggan » pour qu’ils rejoignent la rivière s’ils se retrouvent par erreur dans le canal menant à la centrale. « Le dégrilleur a également été changé, désormais automatisé. Tout le dispositif l’est aussi. Sans cela, il aurait fallu embaucher des personnes pour surveiller l’installation 24h/24, ce qui aurait été impossible économiquement parlant », détaille le président de PEC.

L’ensemble consomme 6 kWh pour fonctionner. Une goutte d’eau par rapport à l’énergie produite. Les résultats des six premiers mois d’activité ne sont pas encore connus – la centrale est en marche depuis le 13 mars 2019. Mais la machine ayant engendré une moyenne de 350 000 à 450 000 kWh ces 20 dernières années, l’équipement moderne devrait atteindre des niveaux encore plus élevés. À ce stade, l’électricité est diffusée dans le réseau Enedis et permet d’alimenter 150 foyers hors chauffage. Ce chiffre pourrait sembler faible mais, face à d’éventuels détracteurs, Denis Hoarau ne manque pas d’arguments : « On entend partout qu’il faut de l’énergie renouvelable, ç’aurait été dommage que cette source soit perdue. C’est en plus une partie de l’histoire de la région et de ce type d’énergie : on ne pouvait pas les gommer comme ça ».

À Velaux, 150 foyers alimentés en électricité à la seule force de l’eau 1
Au premier plan : le « toboggan » pour les poissons | Au fond à gauche : le seuil, le fameux « barrage » | Au fond à droite : la vanne qui régule la quantité d’eau dans le canal de dérivation © AP

Seuil maximal et contraintes météo

Puisque la même quantité d’eau entre et sort du système, puisque celle-ci n’est pas dénaturée, pourquoi ne pas en détourner davantage pour produire plus d’électricité ? La réponse n’est pas si simple. « C’est impossible, car 600 mètres de rivière se retrouveraient à sec. Et parce que les poissons et anguilles doivent pouvoir passer par un autre chemin que le canal de dérivation pour remonter l’Arc », précise Jean-Marie Salignon.

Aux côtés de ces aspects écologiques se greffe aussi une raison législative : le droit d’eau. « Pour exploiter une installation comme la nôtre, on doit demander l’autorisation d’utiliser l’eau du ruisseau, et un certain débit nous est accordé », précise Denis Hoarau. La particularité dans le cas de la Marie-Thérèse est que ce droit d’eau est dit « fondé en titre » (bonus). Cela signifie qu’il est perpétuel. Donc pas besoin de renouveler la demande tous les 20 ans, et aucun risque de mettre en péril la pérennité de la centrale.

Par contre, ce qui inquiète le président de PEC, ce sont les changements induits par le dérèglement climatique : « Les fortes pluies (ndlr : comme celles de la fin du mois d’octobre) ne nous servent pas car le surplus part dans la rivière. Et quand il ne pleut pas assez, comme cet été par exemple, on doit arrêter la machine. La météo pose de vraies difficultés ». De mémoire de propriétaire, habitué des lieux depuis 50 ans, les arrêts par manque de pluie, rares en un demi-siècle, se sont multipliés cet été.

À Velaux, 150 foyers alimentés en électricité à la seule force de l’eau
« L’escalier » pour permettre aux poissons de remonter la rivière. En arrière-plan, le seuil de 3,7 mètres © AP

Faire éclore des projets autour des énergies renouvelables

La Marie-Thérèse remise à flot, Provence Énergie Citoyenne s’est déjà attelée à un autre projet : la création de centrales solaires villageoises. L’idée est de recenser les toitures disponibles dans les communes de Velaux, Coudoux et La Fare-les-Oliviers pour y déployer des panneaux photovoltaïques courant 2020. Le tout piloté par une structure dédiée. La moitié des bénéfices annuels de PEC sera à terme consacrée à ce volet, dans l’espoir de voir émerger de nouvelles sources d’énergies renouvelables sur le territoire provençal. ♦

* Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article.

 

Bonus  – pour les abonnés : l’histoire du moulin de Velaux, budget de fonctionnement de la centrale, tout savoir sur le droit d’eau fondé en titre, un livre pour retracer la genèse du projet


  • La centrale hydroélectrique de Velaux est alimentée par l’Arc qui prend sa source à Pourcieux dans le Var, environ 55 km en amont. Cette rivière traverse notamment Aix-en-Provence et se jette dans l’étang de Berre.
  • La vocation première des bâtiments de la centrale lors de leur édification en 1514 était de servir de moulin à eau. Le seuil (le fameux mur qui fait office de « barrage ») date même de 1510 ! Le moulin servait à faire de l’huile d’olive l’hiver et de la farine de blé l’été. Puis il a été progressivement transformé en usine chimique. À partir de 1945, de la baryte et du calcaire de Coudoux y ont été broyés pour l’industrie. C’est en 1962 qu’il a pris ses fonctions actuelles de centrale hydroélectrique.
  • 700 000€ ont été nécessaires pour relancer la centrale hydroélectrique : la région PACA a apporté 150 000€ et l’Agence de l’eau 90 000€. 180 000€ ont été récoltés par des souscriptions via des particuliers ou des entreprises, complétés par 300 000€ de prêts bancaires. Depuis la mise en service en mars 2019, des revenus sont générés avec la vente de l’électricité produite à Enedis.
  • Quel que soit l’usage d’une installation, y compris si l’eau est immédiatement restituée, un droit d’eau est obligatoire pour en exploiter la force motrice. Sur les cours d’eau non domaniaux (ceux qui sont non flottables et non-navigables), il existe deux catégories de droit d’eau : le droit fondé en titre (quand l’ouvrage et le droit d’eau sont antérieurs à la Révolution Française de 1789) et le droit fondé sur titre (établi après 1790). Dans le cas de la Marie-Thérèse, Provence Énergie Citoyenne dispose d’un droit d’eau fondé en titre puisque les bâtiments et l’activité datent du 16e siècle. Il est porté à 4 200L/s pour une puissance installée de 290 kWh. Un débit réservé de 420L/s doit être obligatoirement maintenu en aval de la prise d’eau (il est même de 600L/s pendant la période de reproduction des poissons, du 1er mai au 15 juin).
  • En dépit du statut de SAS, l’ensemble de l’équipe de Provence Énergie Citoyenne (environ une vingtaine de personnes) est bénévole. Il est possible de les aider financièrement en achetant le livre « L’énergie citoyenne coule de source » qui retrace l’histoire de la Marie-Thérèse et du projet porté par la société. À commander sur internet en cliquant ici ou directement auprès de PEC en cliquant ici (25 euros).