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Le Tipi, la ferme urbaine qui écoute pousser la nature

Par Nathania Cahen, le 27 octobre 2020

Journaliste

À Avignon, dans le quartier prioritaire Monclar Champfleury, les carrés de végétation, les bottes de paille et les poules ont remplacé l’ancien collège Paul Giera. S’ils produisent de quoi alimenter leur cantine, les acteurs du Tipi souhaitent surtout observer et sensibiliser.

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Les pionniers du Tipi autour de Paul-Arthur Klein (veste bleue).

« Lieu vivant, écologique et fertile », Le Tipi a été inauguré le 5 septembre dernier. Sur 2 500 m² se déploient différents espaces, à commencer par des carrés potagers où sont menées des expérimentations de culture low tech. Des combinaisons de plantes sont testées sur sept substrats différents (terre végétale basique – terre, compost et bois broyé – drêche de bière – déchets de champignonnière – bottes de paille – culture en lasagne avec bois broyé, compost et engrais vert…) afin de comparer les résultats. « C’est sur terre classique qu’on obtient les moins bons résultats, constate Paul-Arthur Klein, à l’origine de cette ferme urbaine. Et tant mieux, car pouvoir recycler les déchets urbains ou végétaux en compost, ça nous arrange ! » Pour info, la botte de paille et la drêche de bière fonctionnent très bien.

« Le public jeune essaye de comprendre comment ça marche et observe les différences, note le jeune néo-fermier. C’est pédagogique sans en avoir l’air ». Ils apprennent ainsi que cultiver sur une botte de paille, donc hors sol, est possible n’importe où, y compris sur un toit ou par-dessus un sol pollué.

 

L’accueil des publics de jeunes

Le Tipi, la ferme urbaine qui écoute pousser la nature 2Ce mercredi-là. Il y a du monde au Tipi. Ce ne sont pas les bénévoles invités à participer aux travaux (leur jour, c’est le jeudi !), mais des jeunes de la Mission locale qui s’activent au sein de deux groupes : la fabrication de composteurs avec Isabeau Gaillard, de l’association Cyclo Compost. Et un atelier plantes aromatiques avec Léa (bonus), service civique recrutée par le Tipi. « Il faut effeuiller les feuilles séchées, du basilic aujourd’hui. Elles seront transformées en condiments secs ou en tisanes ». Laure Delle Piane de la mission locale Jeunes Grand Avignon accompagne la vingtaine de « NEET » (jeunes sans diplôme, emploi ou formation) présents. « Avec cette journée nous voulons leur faire prendre conscience de leur impact sur l’environnement, explique-t-elle. C’est aussi l’occasion de découvrir certains métiers verts, le travail au grand air… » Écoles, centres sociaux ou centres aérés sont également en demande de visites ou de journées au Tipi. Le portail est grand ouvert, c’est important que les gens du quartier et les publics puissent y accéder facilement.

 

Comme un tiers-lieu
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Au fond, la salle de spectacles avec sa scène clic-clac. À l’avant, la cantine.

Il n’y a pas que les carrés potagers et les composteurs d’Isabeau, qui fait la tournée des restaurants d’Avignon avec une remorque attelée à son vélo électrique. Le Tipi fonctionne un peu comme un tiers-lieu, avec un esprit village. Il y a ainsi un quartier pour les ruches d’Alice Galy (L’Abelha), un poulailler, un tipi végétal, un mandala de plantes aromatiques, une mini-forêt avec 15 variétés d’arbres fruitiers, un bar aménagé dans un gros container maritime (ouvert lors des spectacles, où l’on vend la bière La Comédienne, qui fournit la fameuse drêche), une scène escamotable, un terrain de pétanque et un espace atelier pour les cours de céramique notamment. « L’artisanat nous importe beaucoup, insiste Paul-Arthur Klein, il est important de réapprendre à faire les choses soi-même ».

Les différentes éléments relèvent tous de l’écoconstruction et de la récup’. Les cloisons de l’atelier par exemple sont les vieilles portes des caves d’un immeuble.

 

New York-Bobigny-Avignon

Le Tipi, la ferme urbaine qui écoute pousser la nature 6Paul-Arthur Klein est un idéaliste de 25 ans. Il a d’abord suivi des études de géographie et d’aménagement du territoire avant de se lancer dans un master de gestion de l’environnement. « J’avais envie d’être dans la protection de l’environnement. J’ai par exemple fait de l’éco-volontariat au Cap Vert, auprès des tortues marines. Et puis je me suis aperçu que la ville me manquait, je me suis alors documenté sur la nature en ville, et en particulier la nature comestible ». L’étudiant s’intéresse à des initiatives comme « Les incroyables comestibles » et aux fermes urbaines qui poussent un peu partout. Il passe quelques mois à New York où il fait le tour des jardins ouvriers issus du mouvement de la « guerrilla gardening » (bonus), puis effectue un stage à La prairie du Canal, une ferme sur béton à Bobigny, qui va beaucoup l’inspirer.

Il cherche où implanter son projet. Avignon, sa ville natale ? « J’ai d’abord pensé trop de pression immobilière, trop peu de jeunes. Puis je me suis dit que pour ces raisons justement, c’est à Avignon qu’il fallait se lancer ». Il s’associe avec Inès Revuelta de l’association nîmoise Un plus Bio, pour créer en 2018 l’association Les jeunes pousses, qui va mûrir le projet.

 

270 000 euros de la municipalité

Un an plus tard, le budget est proposé au vote des habitants dans le cadre du budget participatif de la ville d’Avignon (bonus). Il arrive en tête et se voit doté de 150 000 euros et d’un terrain pour douze ans, juste à côté de la salle de spectacle La Fabrica !

La somme va servir à viabiliser le terrain, qui servait de dépotoir. La mairie socialiste va également débloquer une aide de 120 000 euros pour les aménagements. Le modèle économique repose sur différents postes, de l’événementiel surtout avec une scène pour des concerts, un bar, une cantine, mais aussi des ateliers de céramique et d’herboristerie. Environ 60 000 euros supplémentaires ont été abondés par différentes fondations – Nicolas Hulot, Fondation de France, Nature et découverte. Et les collectivités locales. « C’est important d’emmener les institutions avec nous car l’impact est plus fort », relève Paul-Arthur Klein. Le Tipi compte gagner de l’argent avec les soirées et événements, à l’occasion desquels bar et cantine sont ouverts.

Le jeune homme espère pouvoir se salarier d’ici la fin de l’année et recruter d’autres jeunes en service civique. Mais ce qui lui tient surtout à cœur, c’est d’essaimer, et voir d’autres espaces comme le Tipi pousser en Avignon et ailleurs. ♦

* Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « agriculture – alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus [pour les abonnés] Léa – Le budget participatif des Avignonnais  – Le mouvement « guerrilla gardening »

  • Le Tipi, la ferme urbaine qui écoute pousser la nature 4Léa, 18 ans – Elle va faire 8 mois de service civique au Tipi puis postuler à la capacité professionnelle agricole (BPREA). Le coeur de cette formation réside dans l’acquisition de compétences en élevage et en cultures, ainsi qu’en gestion d’entreprise. « J’ai envie d’avoir ma propre ferme plus tard, avec une activité de maraîchage surtout, à la campagne ».

 

  • Le budget participatif des Avignonnais – Créé en 2017, le budget participatif invite les habitants à proposer un projet d’intérêt général qui leur tient à cœur. Une fois examiné par les services et les élus, ce projet est soumis au vote des citoyens et les projets plébiscités sont réalisés par la Ville.

En 2019, 18 des 35 projets proposés ont été retenus. Arrivé en tête, le Tipi a reçu une dotation de 150 000 euros. Parmi les projets retenus : traversée sécurisée des piétons et vélos au carrefour de l’Amandier (150 000 euros), création d’espaces de jardinage à la grange d’Orel (150 000 euros), création d’un city-stade Pierre Baizet (132 000 euros), création d’une aire de jeux et de sports place Léon de Berluc Perussis (90 000 euros), révolution d’arbres fruitiers à Montfavet (50 000 euros), nichoirs pour oiseaux et refuges à insectes (30 000 euros), Avignon en lettres capitales (20 000 euros)…

 

  • Le mouvement « guerrilla gardening » – Il a débuté officiellement en 1973 à New York avec Liz Christy et la « guérilla verte » (green guerrilla), avec pour objectif de convertir un lotissement abandonné de Manhattan en jardin. On peut cependant remonter jusqu’aux « diggers» (« bêcheurs ») de Gerrard Winstanley et William Everard sous la république anglaise : ils réclamaient le droit de cultiver et habiter les terrains communaux et ceux des propriétaires terriens sans leur consentement et sans redevances (suite à l’enclosure).

En France, les pionniers sont sans doute les membres de l’association Rennes jardin. Suite aux restructurations de circulation, notamment du métro, l’association a planté 200 m² d’ifs, troènes et merisiers rue de l’Alma à Rennes, à l’emplacement d’une maisonnette détruite par les travaux. Grâce à ses actions, une convention est signée entre cette association et la ville permettant aux habitants de végétaliser leur quartier, et plus particulièrement leurs murs, avec l’opération « Embellissons nos murs », lancée en 2004. Et Paris mène l’opération « Végétalisons la ville » depuis 2014.