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Les délogés s’exposent sur la mairie de Marseille

Par Marie Le Marois, le 5 novembre 2020

Journaliste

[bref] Le 5 novembre 2018 est une date funeste pour les Marseillais. Deux immeubles se sont effondrés, provoquant la mort de huit personnes et délogeant plus de 4000 autres. Anthony Micallef a photographié pendant deux ans ceux qu’il appelle ‘’les invisibles’’. Pour leur donner un visage mais aussi témoigner d’une situation inacceptable. Une cinquantaine de photos sont exposées jusqu’au 22 novembre sur et autour de l’hôtel de ville.

Les délogés s’exposent à l'hôtel de ville 2
@Anthony Micallef

Étalée sur un plus d’un mètre de long, l’image d’une femme qui nous regarde. Elle est assise sur un lit, une lampe à la main, un chauffage d’appoint à ses pieds. Son regard, vide, déborde de tristesse. C’est Baya, 70 ans. Délogée en juin 2018, avant les effondrements de la rue d’Aubagne, elle vit toujours dans une chambre d’hôtel dépourvue de commodités.

Un peu plus loin, s’affiche Chaïma dans une cuisine délabrée, le jour de son retour dans son appartement. Cette maman avait dû le quitter précipitamment avec ses deux enfants.

 

Rendre visibles les invisibles

Sur ces visages tirés du projet ‘’Indigne Toit’’ d’Anthony Micallef, transparaissent la sidération, la colère, la détresse. Parfois, la résignation. « Le délogement devait durer trois semaines, il a duré six mois, davantage pour d’autres », lâche dans un souffle celui qui continue à accompagner ces « invisibles ». Un mot pour designer « ceux qu’on a envoyés dans des hôtels à 45 minutes de leur quartier. Ceux qui ont fait l’amère expérience de la fragilité du lien social ».

Quand on ne croise plus ses voisins, ses amis, ses commerçants, le cafetier du coin, « il se passe chez l’homme un chose terrible : il disparaît ». Et avec lui sa dignité.

 

Vocation thérapeutique
Les délogés s’exposent à l'hôtel de ville 4
@Anthony Micallef

Parfois, les conséquences engendrées sont sans retour. Dépression, séparation, perte de boulot. Des drames qui se nouent dans des chambres d’hôtel de 12 m², auxquels Anthony Micallef a assisté parfois. « Cette situation a été très traumatique et l’est toujours pour les délogés. Ce travail est en quelque sorte thérapeutique ».

Avec sa cinquantaine de photos, dont cinq de 4 mètres de haut affichées sur la façade de la mairie, elle apparaît aussi majestueuse que le sujet est grave. « Il fallait cet affichage immense, public, républicain, pour contrebalancer la disparition de ces gens de l’espace public. Cette expo n’est pas qu’un hommage », souligne le photo-reporter.

L’accrochage s’accompagne de témoignages sonores ou écrits. Tous poignants. « Les textes sont presque plus importants que les photos, car ils sont là pour porter la parole et le récit des délogés. Ces textes sont les témoins de ce qui s’est passé ».

 

Le logement insalubre nous concerne tous

Ce natif de Montpellier, passé 10 ans à Paris, a débarqué à Marseille quatre mois avant les effondrements. En pénétrant dans l’intimité des habitants, après le drame, Anthony Micallef a découvert l’envers du décor, le côté sombre de la carte postale ensoleillée. « Il existe une grande violence dans cette ville pour les pauvres ».

Il n’hésite pas à affirmer que « c’est un drame humanitaire qui se joue ». Car non seulement plus de 400 personnes se trouveraient encore à l’hôtel, mais le logement insalubre est toujours d’actualité. « Et il ne concerne pas seulement les personnes qui logent là-dedans, il nous concerne tous. Quand un immeuble s’effondre, il en met d’autres en péril. Et les habitants qui vivaient confortablement jusqu’alors sont obligés de partir du jour au lendemain, avec l’essentiel ». Même dans le plutôt bourgeois 7e arrondissement, le Centre d’action sociale (CAS) signale un immeuble vétuste menaçant de s’effondrer.

 

L’espoir
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@Anthony Micallef

’Indigne Toit’’ témoigne du drame, mais aussi de l’immense solidarité dont ont fait preuve les Marseillais. Citons le Collectif du 5 novembre, Aouf (voir bonus) mais aussi des milliers d’anonymes mobilisés. « C’est la partie de mon expo porteuse espoir », tient à ajouter cet engagé. Pour lui, rester les bras croisés est impensable.

Il est sur une piste pour reloger Baya et envisage dès ce week-end de lancer une opération de soutien participatif pour sa réinstallation – « ce serait une jolie fin au projet ‘’Indigne Toit’’ ». Quant à l’expo, il est possible qu’elle tourne en France grâce au soutien de la Fondation Abbé Pierre. ♦

 

Bonus
  • Jusqu’au 28 novembre au moins à l’Hôtel de ville de Marseille et place Bargemon – (1er). Une bonne idée de l’expo avec cette vidéo.
  • Anthony Micallef poste régulièrement sur sa page Facebook de nouveaux témoignages sous forme de portraits photographiques et sonores.
  • Le bailleur social Marseille Habitat a été mis en examen, notamment pour « homicides involontaires par violation délibérée d’une obligation de sécurité ».
  • AOUF, plateforme d’entraide locale, a été créée par plusieurs bénévoles suite au drame du 5 novembre à Marseille, pour répondre à la situation difficile des personnes délogées disséminées dans Marseille. Elle est toujours très active, particulièrement pendant ce deuxième confinement, où les besoins sont criants. Vous voulez aider ou vous avez des besoins, cliquez ici.
  • Le rapport du Collectif ALERTE PACA fait état de constats sans appel : « En 2020, la pauvreté s’est aggravée pendant la crise épidémique simultanément à un empilement de problématiques déjà existantes : l’insuffisance de droits et de ressources ; l’insécurité alimentaire ; le mal-logement et le manque d’hébergements ; le difficile accès à la santé et aux soins ; le non-recours aux droits et le difficile accès aux institutions’’.